Les parties adverses ont fait appel au système judiciaire suite à la divulgation d’investigations journalistiques concernant l’emploi douteux des sommes attribuées pour combattre le séparatisme. Le bureau de Marlène Schiappa, qui est à l’initiative de ce financement, nie toute déviation de fonds.
Le fonds mis en place suite à l’assassinat de Samuel Paty est-il détourné de son objectif initial ? Des enquêtes journalistiques ont soulevé des questions troublantes concernant l’utilisation des plus de deux millions d’euros de subventions initialement destinées à la lutte contre le séparatisme. France 2 et le magazine Marianne, suivis par Mediapart, décrivent la gestion opaque de ce fonds initié par Marlène Schiappa, alors ministre déléguée à la Citoyenneté et désormais secrétaire d’État chargée de l’Économie sociale, solidaire et de la Vie associative. En outre, une partie des sommes aurait été utilisée pour financer des vidéos critiquant les opposants à Emmanuel Macron, dont Anne Hidalgo.
L’affaire pourrait prendre une tournure judiciaire : la maire de Paris Anne Hidalgo et la cheffe des députés LFI, Mathilde Panot, ont annoncé saisir la procureure de la République de Paris, vendredi 14 avril. Par ailleurs, Virginie Le Roy, avocate de la famille de Samuel Paty, a demandé l’ouverture d’enquêtes judiciaire et parlementaire.
Le fonds Marianne a été créé peu après l’assassinat de Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie décapité le 16 octobre 2020 par un jeune homme radicalisé. Quelques mois plus tard, Marlène Schiappa lance le « fonds Marianne », dont l’objectif est de « financer des personnes et des associations qui vont porter des discours pour promouvoir les valeurs de la République et pour lutter contre les discours séparatistes, notamment sur les réseaux sociaux et plateformes en ligne ».
Plusieurs enquêtes se sont penchées sur l’utilisation de l’enveloppe de subventions. Parmi les quatre associations ayant reçu près de 1,3 million d’euros (soit plus de la moitié du fonds), l’Union des sociétés d’éducation physique et de préparation au service militaire (USEPPM) a attiré l’attention. Bien que son objet social semble très éloigné de l’appel à projets, elle a reçu la plus importante subvention, de 355 000 euros. Selon les enquêtes, l’USEPPM aurait utilisé ces fonds pour un site internet et des publications sur les réseaux sociaux à faible audience, ainsi que pour rémunérer deux de ses administrateurs, en contradiction avec les statuts de l’association.
Mediapart a également révélé qu’une autre structure, l’association Reconstruire le commun, a reçu plus de 300 000 euros alors qu’elle venait d’être créée et n’avait aucune activité connue. Selon le site d’information, cette association a diffusé des contenus politiques contre les opposants d’Emmanuel Macron pendant les campagnes présidentielle et législatives françaises, alors qu’il est interdit d’utiliser des fonds publics pour influencer les résultats d’une élection.
La famille de Samuel Paty s’est dite « particulièrement heurtée » par les premières enquêtes, estimant que le nom de Samuel Paty ne pouvait être « l’instrument de tels agissements ». Virginie Le Roy, avocate d’une partie de la famille, a écrit à Marlène Schiappa et à Sonia Backès, secrétaire d’État chargée de la Citoyenneté, pour demander des éclaircissements.
Les députés du Rassemblement national (RN) ont demandé la création d’une commission d’enquête parlementaire, sous réserve d’un vote de l’Assemblée nationale. Le groupe socialiste au Sénat a également souhaité la création d’une commission d’enquête sur le sujet.
Le cabinet de Marlène Schiappa a démenti que la ministre ait eu un quelconque mot à dire sur les bénéficiaires du fonds, et a annoncé avoir saisi l’Inspection générale de l’administration (IGA) d’un audit sur la question. Le parquet de Paris a indiqué être en possession de l’intégralité du signalement fait par Christian Gravel, président du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation, et étudie une éventuelle ouverture d’enquête.