Chaque semaine, Clément Viktorovitch analyse les discussions et les défis politiques. Le dimanche 25 juin, il se penche sur la décision de dissoudre les Soulèvements de la Terre, prise mercredi lors d’une réunion du Conseil des ministres.
C’est désormais officiel : trois mois après l’annonce de Gérald Darmanin, les Soulèvements de la Terre (SLT) ont finalement été dissous par décret lors du dernier Conseil des ministres. La procédure a été retardée de trois mois en raison de la complexité juridique du dossier. En effet, les Soulèvements de la Terre ne sont pas une association ayant des statuts, un bureau ou un objet social, mais plutôt un mouvement fluctuant et une structure horizontale sans leader, avec des porte-paroles et une identité propre.
Les Soulèvements de la Terre sont non seulement un réseau d’associations, mais aussi une organisation réelle que de nombreuses personnes ont choisi de rejoindre et qui s’est développée localement en plusieurs relais. Cette structure peut être dissoute, mais est-ce vraiment la fin de l’expérience initiée par les SLT ? Le mouvement va-t-il se reformer sous une autre forme ou d’autres appellations ? Certaines activistes vont-ils choisir, au contraire, de basculer vers des formes plus souterraines et potentiellement plus illégales de contestation ? Dans le passé, la dissolution administrative a rarement réussi à étouffer les aspirations profondes d’une partie de la population.
« Écoterrorisme », une sémantique aux conséquences judiciaires
Il est difficile de savoir si cette dissolution sera efficace ou légitime. Gérald Darmanin met en avant la violence des SLT, qu’il qualifie « d’écoterrorisme ». Le ministre de l’Intérieur a utilisé ce terme après la mobilisation contre le projet de « méga-bassines » à Sainte-Soline (Deux-Sèvres). Ce terme est tout à fait exagéré. Ce n’est pas une opinion personnelle, tous les universitaires qui ont étudié la question – tels qu’Isabelle Sommier, professeure à l’Université Paris 1 et spécialiste de la violence politique, Sylvie Ollitrault, directrice de recherche au CNRS et spécialiste du militantisme écologique, ou encore Cyrille Bret, auteur du livre Qu’est-ce que le terrorisme ? – estiment qu’aucune définition juridique sérieuse du terrorisme ne s’applique aux SLT. Il s’agit d’un abus de langage, utilisant l’accusation la plus abominable qui soit dans le seul but de stigmatiser un mouvement politique.
Cette rhétorique entraîne désormais des conséquences judiciaires. Le lundi 5 juin, une quinzaine de personnes proches des SLT ont été mises en garde à vue. Elles sont suspectées d’avoir participé, en décembre dernier, à une action contre la cimenterie Lafarge de Bouc-Bel-Air (Bouches-du-Rhône). Elles ont été arrêtées par la sous-direction antiterroriste (SDAT). Toutes sont ressorties libres, mais certaines gardes à vue ont duré 96 heures, au lieu des 24 ou 48 heures habituelles. Le même scénario s’est répété mardi 20 juin, lorsqu’un groupe de sept militants a été arrêté par l’antiterrorisme.
La législation antiterroriste face à la lutte écologiste
La dérive sémantique du ministre de l’Intérieur n’était pas anodine : elle préfigurait plutôt une criminalisation des luttes écologistes. Ce mot est fort, mais je ne suis pas le seul à l’utiliser. Par exemple, l’anthropologue Philippe Descola, professeur au Collège de France, l’assume également, en tant qu’auteur de la tribune « Je suis les Soulèvements de la terre » publiée dans L’Obs.
Ce n’est pas la première fois que des dispositions prévues pour lutter contre le terrorisme sont utilisées contre le mouvement écologiste. En novembre 2015, quelques semaines après la déclaration de l’état d’urgence à la suite des attentats, le gouvernement a utilisé le même état d’urgence pour assigner des militants écologistes à résidence afin qu’ils ne viennent pas troubler les négociations lors de la conférence des Nations unies sur les changements climatiques, organisée à Paris. L’ancien président français François Hollande a reconnu dans l’ouvrage Un président ne devrait pas dire ça…, co-écrit par les journalistes du Monde Gérard Davet et Fabrice Lhomme, que l’état d’urgence avait servi à sécuriser la COP21.
En 2017, six chercheurs, en collaboration avec le Défenseur des droits – Jacques Toubon à l’époque – ont étudié les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence. Ils montrent non seulement que les militants écologistes ont été particulièrement visés, mais surtout que, dans la plupart des cas, le juge administratif n’a pas été en mesure de contrôler que les libertés publiques soient bien respectées. Leurs conclusions sont terribles : l’état d’urgence est « de nature à encourager le développement d’un état de police ». Depuis lors, ces dispositifs d’exceptions ont été renforcés par trois nouvelles lois antiterroristes.
Que nous, citoyens, acceptions de concéder une partie de nos garanties de libertés pour lutter contre le terrorisme et la barbarie est déjà discutable. Mais que les mêmes dispositifs soient utilisés pour criminaliser des luttes politiques, c’est une dérive qui devrait nous alerter tous.