Il a été révélé cette semaine que le projet de loi concernant la fin de vie sera soumis au Conseil des ministres en décembre. Cela représente un certain retard par rapport aux prévisions initiales. Pour comprendre les enjeux de cette problématique sociétale, explorons-la en détail avec l’expertise du sociologue Jean Viard.
Fixation du calendrier pour la loi sur la fin de vie
Le programme de la loi relative à la fin de vie a enfin été déterminé, elle sera soumise en décembre au Conseil des ministres, ce qui correspond à une échéance plus tardive que prévue. Cette loi a été précédée par des consultations citoyennes sur le sujet. À présent, la balle est dans le camp du gouvernement et du président de la République, qui vont prendre des décisions sur cette question. Pour rappel, à l’heure actuelle, ce qui est autorisé est la sédation continue et profonde pour les patients en phase terminale. Toutefois, l’euthanasie et le suicide assisté ne sont pas permis.
Franceinfo : D’après vous, est-ce nécessaire de modifier la loi ?
Jean Viard : Je dirais que c’est le souhait du peuple. Les statistiques sont claires à ce sujet. Quatre-vingt-sept pour cent de la population souhaite un débat parlementaire sur cette question. En outre, 93 % des personnes interrogées réclament le droit de mourir dans la dignité. Ces chiffres sont impressionnants. Presque 70% considèrent qu’il faudrait abolir la loi actuelle.
Globalement, nous souhaitons nous protéger de la souffrance et, idéalement, décider de notre propre fin de vie. Ce choix est plus aisé à concevoir lorsqu’on n’est pas directement concerné. Les personnes très âgées peuvent avoir une perspective différente de celles plus jeunes.
Néanmoins, il faut préciser que nous vivons dans un pays très conservateur où le corps médical est souvent réticent à appliquer de telles procédures. Fidèles à leur mission première, ils se voient avant tout comme des sauveurs de vies. Il y a donc un basculement à effectuer dans la façon dont nous soignons les gens et jusqu’où nous les accompagnons. Cela représente un profond changement culturel.
Le problème est que la France est un pays remarquablement conservateur sur les questions d’éthique et de morale. Ainsi, lorsque l’on compare avec la situation en Suisse ou en Belgique, où de nombreux Français vont finir leurs jours, il apparaît clairement qu’il existe un écart considérable.
Il est surprenant de constater que, malgré un consensus populaire, le corps médical et nos dirigeants demeurent très conservateurs. J’y vois une fracture entre le peuple et les élites.
Comment expliquer le caractère conservateur de la France par rapport à ses voisins ?
C’est une question difficile. Je pense que cela peut être lié à notre système politique très hiérarchisé, avec notamment la figure omniprésente du président de la République. De plus, il y a un manque de diversité parmi nos gouvernants. Tous ces éléments donneraient l’impression que nous sommes restés dans la France catholique des années 50.
Cependant, la France a changé. Les religions n’ont plus la même influence, mais elles restent très présentes dans les institutions et l’appareil d’État. La France a un pas à franchir vers la modernité, y compris dans les questions éthiques, dans les débats scientifiques et la réflexion sur la transformation des industries, entre autres.
Notre pays persiste à croire que le monde de demain doit ressembler à celui d’hier, un peu modifié, alors qu’il a peut-être profondément évolué. D’autres pays qui nous ressemblent y parviennent, mais la France ne suit toujours pas.
La décision majeure à prendre d’ici décembre concerne la création d’une aide active à mourir. On parle aussi de la possibilité d’autoriser le suicide assisté. C’est un sujet tabou parce qu’il touche à la sphère intime. Comment cela influence-t-il le débat sur la fin de vie ?
C’est une question dont on refuse de parler, comme si cela nous embarrassait, comme si ce n’était pas important. Or, protéger les gens du risque de suicide, notamment les adolescents et les personnes endeuillées, nécessite des politiques de soins spécifiques et une formation appropriée.
Il s’agit de protéger les personnes en bonne santé et d’accompagner celles qui voient la fin approcher et ne veulent pas souffrir, qui souhaitent le suicide comme une option autonome.
En Belgique, il n’y a pas que la douleur physique qui peut justifier l’euthanasie, mais aussi la souffrance psychologique liée à la solitude et au vieillissement. C’est donc reconnu comme une cause légitime de suicide en Belgique. La souffrance psychologique est tout aussi pénible que la souffrance physique.