Clément Viktorovitch se pose toutes les semaines en analyste des discussions et des défis politiques. Le dimanche 31 mars, le thème abordé a été celui de la rigueur. Ce concept a été invoqué le mardi précédent par le premier ministre, Gabriel Attal.
En politique, le terme « rigueur » provoque souvent une réaction atomique. Cela évoque inévitablement une période qui va forcer les citoyens français à faire des sacrifices financiers. C’est pour cette raison que les politiciens évitent généralement de l’utiliser.
« Nous devons rééquilibrer les finances de l’État. Nous allons procéder calmement, résolument et sans austérité. Juste avec de la détermination et de la patience. «
Bruno Le Maire, ministre des Financesle 18 mars sur France Inter
Le ministre de l’Économie n’aborde essentiellement pas la rigueur, seulement la détermination et la constance. En langage courant, cela s’appelle jongler avec les mots. Et voici la preuve : le mardi 26 mars, sur le parvis de l’Assemblée nationale, le Premier ministre Gabriel Attal, fait référence au déficit budgétaire : « Nous avons connu une diminution de nos recettes, en raison d’un ralentissement économique. Face à cela, nous devons faire preuve d’une grande rigueur dans nos décisions. Nous continuerons sur cette voie de rigueur et de responsabilité. » Il n’y a aucun doute que la rigueur est présente.
« Rigueur », un terme toujours compliqué à utiliser
Souvenez-vous : en 2010, la France a adopté une nouvelle série de mesures pour faire face au choc économique de la crise de 2008, mais le président Sarkozy refuse d’utiliser le mot « rigueur ». C’est seulement lors d’un voyage au Japon que le Premier ministre François Fillon reconnaît finalement : « Parmi tous les budgets de l’État, le seul qui n’est pas touché par la rigueur est celui de l’enseignement supérieur. »
Un autre souvenir : le 23 mars 1983, lorsque François Mitterrand a présenté son plan de redressement économique, qui sera plus tard désigné comme « l’angle de la rigueur », il l’a fait en contraste avec un autre terme, utilisé sept ans plus tôt dans une lutte contre l’inflation, qui rappelait aux Français une époque difficile : l’austérité. « J’ai confié à Pierre Mauroy la tâche de mener cette mission. Mes attentes envers lui ne sont pas qu’il mette en place une quelconque nouvelle austérité, mais plutôt qu’il continue dans la même direction, adaptée à la dure réalité des temps actuels, afin que nous puissions sortir rapidement de la crise. »
Ce qui est intéressant à noter, et qui est souvent négligé aujourd’hui, c’est que François Mitterrand utilisait alors le terme « rigueur » dans un sens spécifique, signifiant « sévère, dur », « la rigueur des temps ». Au fil du temps et des discours politiques, le terme a pris un sens différent : « le revirement vers la rigueur », dans le sens de « solide, précis, responsable ». Les connotations négatives initialement associées à ce mot ont été progressivement écartées. C’est pourquoi les gouvernements actuels continuent de préférer parler de « plan de rigueur » plutôt que de plan d’austérité ou de restriction.
Un mot à double sens
D’un côté, il nous rappelle des temps plus durs. De l’autre, il est difficile de le critiquer. Comment peut-on s’opposer à une politique économique présentée sous le voile de la rigueur ? Le terme en lui-même porte les traits du sérieux, du réalisme et de la raison : c’est pour cette raison que les gouvernements successifs hésitent à l’utiliser mais finissent par y succomber. Ce n’est pas un tabou dans le monde politique, mais simplement une arme rhétorique qu’on réserve pour le moment opportun afin de faire passer plus facilement des politiques impopulaires.
Le gouvernement répondrait probablement qu’on ne peut tout simplement pas aller à l’encontre de l’idée de réduire le déficit public. C’est ce que Bruno Le Maire ne cesse de marteler. Cependant, cela est questionnable. En matière de réponse à une crise économique, il y a deux options principales. La première consiste à diminuer les dépenses publiques pour compenser une baisse des revenus – c’est l’austérité, l’épargne, la rigueur. La seconde, par contre, consisteerait à augmenter les dépenses pour relancer l’économie, même si cela pourrait aggraver le déficit dans un premier temps – c’est la politique de relance. C’est ce qu’ont fait les États-Unis en 2022 avec la loi sur la réduction de l’inflation : face à la crise inflationniste, ils ont injecté 500 milliards de dollars supplémentaires de dépenses publiques, menant à une augmentation notable de la croissance.
Austérité ou relance, quelle est la meilleure approche dans le contexte européen ? Je ne suis pas en mesure de l’affirmer : c’est un débat économique. Cependant, ce que je peux dire, c’est que présenter la rigueur comme la seule politique économique sensée est tout à fait discutable.