Le président de la République a, de manière indirecte, repoussé mardi soir la candidature de la haute fonctionnaire que la coalition de gauche avait suggérée. Bien que cette désignation soit en accord avec les dispositions constitutionnelles, elle rencontre une forte opposition.
Une proposition de dernière minute a été rejetée avec désinvolture. Depuis le toit du musée de l’Homme, sur France 2, France Inter et 42mag.fr, Emmanuel Macron a implicitement refusé mardi 23 juillet de désigner Lucie Castets comme Premier ministre, comme l’exigeait moins d’une heure auparavant le Nouveau Front populaire. « Il est erroné d’affirmer que le Nouveau Front populaire détient une quelconque majorité », a observé le président de la République sans nommer la haute fonctionnaire de 37 ans, jusqu’alors méconnue. « La question ne concerne pas un seul nom », a-t-il balayé depuis le plateau des Jeux Olympiques de France Télévisions.
Face à ce rejet, les figures du NFP se sont montrées particulièrement irritées, dénonçant ce qu’ils perçoivent comme l’aveuglement du président. « Emmanuel Macron ignore le résultat des élections législatives. C’est un déni de démocratie inadmissible », a déclaré sur X Manuel Bompard, coordinateur de La France insoumise (LFI). « Le déni est la pire des politiques. C’est celle qui conduit à la politique du pire », a poursuivi Olivier Faure, chef du Parti socialiste (PS), sur le même réseau social. Le député LFI Emmanuel Fernandes a même évoqué un « coup d’État institutionnel ». Marine Tondelier, cheffe des Ecologistes-EELV, a comparé le président à… son jeune fils de 5 ans, sur 42mag.fr.
Depuis le 8 juillet, au lendemain du second tour des législatives, la coalition de gauche demande à Emmanuel Macron de choisir une personne issue de leurs rangs pour le poste de Premier ministre, après sa courte victoire électorale. Mais le président se défend en affirmant que le Premier ministre doit éviter d’être évincé par une motion de censure des députés. « La question est de savoir quelle majorité peut se dégager à l’Assemblée pour qu’un gouvernement de la France puisse passer des réformes, adopter un budget et faire avancer le pays », a-t-il argumenté lors de son interview, tout en appelant à « des compromis ».
Emmanuel Macron « ne viole pas » la Constitution
Le président de la République a-t-il le droit de ne pas appeler Lucie Castets à former un gouvernement ? La nomination du Premier ministre est définie à l’article 8 de la Constitution : « Le président de la République nomme le Premier ministre. Il met fin à ses fonctions sur la présentation par celui-ci de la démission du gouvernement », y lit-on. Aucune obligation explicite de nommer une personne spécifique, aucun calendrier imposé… Le président détient donc une grande liberté d’action, selon les experts en droit public. « Emmanuel Macron n’a pas enfreint la Constitution et n’en a pas fait une interprétation problématique », souligne Bertrand-Léo Combrade.
« Il n’y a aucun coup d’État institutionnel. »
Bertrand-Léo Combrade, professeur de droit publicà 42mag.fr
« C’est assez excessif de parler de coup d’État. Du point de vue de ses prérogatives, il ne viole rien », renchérit le constitutionnaliste Thibaud Mulier. « La nomination du Premier ministre est l’une des rares fonctions parfaitement autonomes, qui n’a pas besoin de contreseing » ou de l’approbation du gouvernement. « Si on peut critiquer quelque chose, c’est la Constitution elle-même, mais pas Emmanuel Macron », estime Bertrand-Léo Combrade. « On peut constater que l’article 8 laisse une telle latitude qu’il peut permettre une interprétation présidentialiste d’une Constitution conçue pour un régime parlementaire. »
Une entorse aux principes républicains ?
Pour ce qui est de l’analyse purement constitutionnelle, le cadre est clair. Mais d’un point de vue historique, la situation est plus nuancée, expliquent les experts. « Quand on regarde les précédents de la cohabitation en 1986, 1993 et 1997, le président qui avait perdu sa majorité à l’Assemblée nationale nommait un Premier ministre proposé par la formation politique arrivée en tête des élections. On pourrait donc penser qu’Emmanuel Macron aurait dû envisager de nommer un Premier ministre désigné par la coalition en tête, c’est-à-dire le NFP », explique Bertrand-Léo Combrade.
« Une élection a eu lieu, mais elle n’est pas prise en compte par le pouvoir en place« , ajoute Thibaud Mulier. « Cela soulève un problème plus large : notre scène politique est dominée par le président de la République, alors qu’il devrait y avoir un meilleur équilibre entre le gouvernement et l’Assemblée nationale. »
« On a l’impression de voir quelqu’un qui a la lumière sur lui, et qui ne veut pas qu’elle s’éteigne. »
Thibaud Mulier, constitutionnalisteà 42mag.fr
En fin de compte, le Nouveau Front populaire n’a pas vraiment de moyen contraignant pour forcer la main d’Emmanuel Macron, mis à part une pression médiatique continue sur l’Elysée. « Ils ne peuvent rien faire », affirme Thibaud Mulier. « Le NFP ne peut invoquer aucun article de la Constitution à son avantage. Il n’y a pas de dispositions qu’ils pourraient utiliser contre le président de la République », assure Bertrand-Léo Combrade.
« Plus il va attendre, plus il s’expose à des critiques »
Néanmoins, le professeur modère en précisant que « le président de la République n’aura pas le dernier mot » dans cette situation unique. En effet, « le gouvernement actuel est démissionnaire et ne peut plus légiférer. Toute tentative de réforme serait susceptible de recours judiciaires ». De plus, la gauche pourrait esperer infliger une défaite à Emmanuel Macron à l’automne: si le chef de l’État choisit de former un gouvernement avec un membre de l’alliance naissante entre le camp présidentiel et la droite, le NFP pourrait réagir avec une motion de censure… en comptant sur le soutien nécessaire du Rassemblement national.
Pour l’instant, le président de la République a opté pour une « trêve » olympique qu’il appelait de ses vœux depuis plusieurs jours. « Manifestement, jusqu’à la mi-août, nous devons nous concentrer sur les Jeux Olympiques. Et ensuite, en fonction de l’avancement de ces discussions, il sera de ma responsabilité de nommer un Premier ministre ou une Première ministre pour former un gouvernement », a-t-il précisé mardi soir. Ici également, la prise de risques est plus politique que constitutionnelle. « Plus il va attendre, plus il s’expose à des critiques sur le déni de démocratie dont il serait coupable », met en garde Thibaud Mulier.