Cela fait maintenant cinq mois que ces individus sont incarcérés loin de chez eux, à 17 000 kilomètres de leurs familles. Parmi ces détenus se trouve Christian Tein, considéré comme le chef de la Cellule de coordination des actions sur le terrain.
Était-il pertinent de transférer à 17 000 kilomètres de leur foyer des militants kanaks tels que Christian Tein ? Était-il justifié de les maintenir, menottés et attachés, tout au long de leur vol de Nouvelle-Calédonie à Paris ? Ces questions cruciales sont aujourd’hui au centre de l’examen de la Cour de cassation, ce mardi 22 octobre.
Cinq militants indépendantistes calédoniens ont déposé un recours devant cette haute instance judiciaire française pour contester leur incarcération éloignée de leurs proches. Impliqués dans des événements tumultueux en Nouvelle-Calédonie, ils sont actuellement en détention provisoire dans diverses prisons en France métropolitaine. Christian Tein, figure emblématique perçue comme le leader de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT), est isolé au centre de détention de Mulhouse-Lutterbach dans le Haut-Rhin. Guillaume Vama, un entrepreneur de 30 ans, supposé associé à la CCAT, est incarcéré à Bourges, dans le Cher. Steeve Unë, Yewa Waetheane et Dimitri Qenegei se trouvent respectivement emprisonnés à Blois (Loir-et-Cher), Nevers (Nièvre) et Villefranche-sur-Saône (Rhône).
« Nos clients ont enduré un traitement humiliant »
Les événements examinés par la Cour de cassation se sont produits en juin. À cette époque, l’archipel calédonien était en effervescence à cause du débat sur le gel de l’électorat. Yves Dupas, procureur de la République de Nouméa, a pris la décision de ces « déplacements en métropole » afin de mener les enquêtes « dans un climat calme » sur le territoire. Les avocats ont réagi avec indignation, qualifiant la mesure de « profondément choquante et éprouvante ». « La destination vers la métropole n’avait été communiquée à personne au préalable », explique l’avocat Pierre Ortet. Pour nombre d’entre eux, ce sont des parents, séparés de leurs enfants », ajoute son confrère François Roux.
Dans la nuit du 22 au 23 juin, les militants kanaks ont été transportés vers Paris. Les avocats ont rapidement agi pour envoyer des effets personnels à leurs clients. Organisé à la dernière minute, le vol spécialement affrété, d’une durée d’environ 30 heures, s’est révélé « inhumain et dégradant », déplore François Roux à francenfo. « Nos clients sont restés menottés et attachés à leur siège durant tout le vol. De plus, ils ne pouvaient pas communiquer. »
« Pour aller aux toilettes, on leur imposait de garder les menottes et de laisser la porte ouverte. Et si quelqu’un osait protester, la réponse restait la même : ‘Vous ne devez pas réclamer.’ C’est dégradant. Quel individu a pu, en 2024, suivre un tel ordre en France ? Cela me dépasse. »
François Roux, avocat des militants kanaksà 42mag.fr
François Roux décrit des personnes arrivant en France métropolitaine dans un « état de choc ». Outre les cinq hommes, deux femmes également mises en examen, étaient « particulièrement traumatisées ». Il s’agissait de Brenda Wanabo, responsable de la communication de la CCAT, et Frédérique Muliava, directrice de cabinet de Roch Wamytan, président du Congrès de Nouvelle-Calédonie. « Peut-on imaginer l’humiliation pour elles ? » s’interroge l’avocat. Toutes deux ont décidé de relater sur quatre pages chacune leur expérience pendant ce transfert, sous le titre explicite : « Le récit de mon cauchemar ».
De plus, les avocats ont alerté Dominique Simonnot, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, sur la situation. Les conditions de détention préalables au transfert sont elles aussi objets de questionnement. « Nos clients ont été laissés enchaînés au mur, le bras levé », relate François Roux.
Une demande de transfert du dossier
Les sept militants ont été mis en examen principalement pour « complicité de tentative de meurtre », « vol en bande organisée avec arme », « destruction en bande organisée de biens par un moyen dangereux pour des personnes » et « participation à une association de malfaiteurs en vue de préparer un crime ». Leurs avocats ont demandé le transfert du dossier, toujours en cours à Nouméa.
Si les cinq hommes restent incarcérés, Frédérique Muliava et Brenda Wanabo ont été libérées durant l’été. Néanmoins, ces deux militantes de la CCAT sont aujourd’hui sous contrôle judiciaire, tenues de demeurer dans leur département actuel, respectivement le Puy-de-Dôme pour l’une et l’Hérault pour l’autre. Elles doivent se présenter trois fois par semaine au commissariat et ne peuvent toujours pas parler à la presse.
Quant à Christian Tein, surnommé « Bichou », sa demande de remise en liberté a été rejetée le 9 octobre. Dans l’ordonnance de refus, examinée par 42mag.fr, le tribunal de Nouméa justifie sa décision en décrivant que « Monsieur Tein est indubitablement le chef de ce groupement, en l’état des investigations », affirmant que « ses ordres et directives sont écoutés et suivis », et que « son influence est complète ». Aussi, il estime que « l’intéressé pourrait utiliser ses réseaux logistiques pour éviter de faire face à ses responsabilités ».