Certains conseillers et ministres partagent avec 42mag.fr leurs réflexions sur la chute anticipée du cabinet dirigé par Michel Barnier, suite au vote de censure auquel les députés ont procédé mercredi soir.
Un Pari Mal Calculé
Dans l’obscurité de la nuit parisienne, une conseillère vient de quitter son ministère, après avoir vu, sans grande surprise, la chute du gouvernement de Michel Barnier suite à un vote de censure. « On espérait prouver que les choses pouvaient fonctionner et que le coût de la censure serait trop élevé pour les opposants. C’était un pari mal pensé. » Avec un sentiment de gâchis, elle partage son désespoir face à la scène politique française. Elle se sent inutile et envisage déjà un changement vers le secteur privé, perdant sa passion pour la politique publique après deux mois seulement au pouvoir. Mercredi 4 décembre, l’équipe dirigée par l’ancien négociateur du Brexit a été renversée, après que 331 députés ont voté la censure, déclenchant une crise politique inédite. « Le résultat inattendu m’a pris de court, je m’attendais à ce que quelques députés hésitent, mais ils ont tous voté. J’ai pris un coup », raconte un autre conseiller gouvernemental.
Un Sentiment de Gâchis Partagé
Ce matin, d’autres partagent ce sentiment de déception. « On ressent forcément du gâchis. On travaillait dans un cadre politique nouveau et on avait accompli des choses importantes. Tout cela est annulé à cause de calculs politiques », critique Paul Christophe, l’ancien ministre des Solidarités, de l’Autonomie et de l’Égalité entre les sexes. Ce membre d’Horizons, le parti d’Édouard Philippe, avait prévu avec le Premier ministre une importante annonce pour la fin de semaine concernant son ministère. « Tout s’effondre, je ne suis plus ministre », explique-t-il. Un autre conseiller exprime sa déception non seulement pour les citoyens exaspérés par ce spectacle politique, mais aussi par le fait de voir les intérêts partisans l’emporter sur l’intérêt général. Un collègue partage son amertume en constatant que le sens de l’intérêt commun a disparu chez les élus, dénonçant le triomphe des intérêts personnels.
Néanmoins, certains nuancent leur expérience. « À force de fréquenter les remaniements, on apprend à ne pas se projeter épuiser », sourit une conseillère d’un ministre en partance. « On s’occupe des affaires courantes, et on verra après. » Depuis minuit, mercredi, le gouvernement de Michel Barnier limite ses activités à la gestion des affaires courantes, comme cela avait été le cas précédemment sous Gabriel Attal.
Un Échec Annoncé
De nombreux dossiers restent à traiter, préoccupant Marc Ferracci, l’ancien ministre délégué à l’Industrie. « L’enjeu est de maintenir le pays à flot dans chaque domaine ministériel et de gérer des dossiers très urgents », explique ce proche du président, se voulant combatif. Il a décidé de maintenir, par exemple, une réunion jeudi matin pour aborder la situation de l’entreprise chimique Vencorex, près de Grenoble, menacée de fermeture. Bien que certains n’aient pas encore vidé leur bureau, plusieurs se remémorent la période sous le gouvernement Barnier, critiquant les méthodes de l’ancien Premier ministre. « Barnier a été présenté comme un grand négociateur, mais avec qui a-t-il vraiment négocié ? », se demande une conseillère.
La majorité des personnes interrogées par 42mag.fr estiment que cet échec était inévitable. « En repensant à tous les évènements depuis lundi, je me rends compte que l’on était condamné dès le départ, pris entre le NFP et le RN dans une situation insoluble. C’était destiné à échouer », affirme un conseiller d’un ministre influent. « Il fallait un gouvernement audacieux pour essayer malgré les difficultés, c’était celui-là. Nous n’avons pas réussi, le suivant doit réussir. » Le Premier ministre l’a rappelé hier : dès sa rencontre avec Boris Vallaud et Olivier Faure, ils parlaient déjà de censure avant même de commencer les discussions. « Franchement, ce gouvernement était vulnérable dès le début et à la merci du RN. Il n’y avait pas d’autres solutions. », soutient une autre conseillère.
Dialoguer Avec le RN : Une Impasse
La stratégie de Marine Le Pen et de son groupe continue de hanter les ministères. Depuis la nomination de Michel Barnier, le RN a été un acteur clé, jouant le rôle d’arbitre tandis que la gauche avait clairement annoncé son soutien à la censure. Pour tenter de séduire le RN, le gouvernement avait lâché du lest sur certaines mesures, comme la taxe sur l’électricité ou le remboursement des médicaments. Cependant, sans succès, car Marine Le Pen avait fixé des limites, notamment sur la désindexation des retraites. « Ce que l’on retient, c’est que dialoguer avec le RN ne mène à rien », observe Marc Ferracci.
Le dernier communiqué de Matignon avant le vote, où le Premier ministre a assuré qu’il n’y aurait pas de déremboursement des médicaments par la Sécurité sociale, a laissé un goût amer à beaucoup des soutiens à Michel Barnier. Le texte mentionnait nommément Marine Le Pen : « De nombreuses demandes ont été exprimées sur ce sujet, Mme Marine Le Pen l’a rappelé au Premier ministre ce matin lors d’un échange téléphonique. » L’ex-chef du RN réclamait également que son parti et ses électeurs soient reconnus, mais cela n’a pas empêché son vote en faveur de la censure.
Face à cette situation, chacun réfléchit à l’avenir avec l’espoir de construire une coalition comprenant le PS. « Il reste des partis de gouvernement qui ont voté la censure, l’objectif est malgré tout de collaborer avec eux », déclare Marc Ferracci. « On ne va pas changer l’Assemblée. La solution réside dans un accord sur les contenus, puis sur le Premier ministre », ajoute Paul Christophe, souhaitant une coalition allant des sociaux-démocrates à la droite. Et l’ancien député d’ajouter : « Mais il faut abandonner les lignes rouges, elles sont destructrices. »