Dans une assemblée où l’agitation régnait, le Premier ministre s’est exprimé mardi après-midi pour exposer les axes prioritaires de son équipe gouvernementale. À cette occasion, il a également déclaré que des discussions seraient lancées dès vendredi concernant la délicate question des retraites.

« Un étonnant 84 % de Français considèrent que l’actuel gouvernement ne tiendra pas jusqu’à la fin de l’année. Parfois, je me demande quelle peut bien être la source du positivisme des 16 % restants. » Avec un brin d’humour, François Bayrou a précisé ses priorités le mardi 14 janvier devant une Assemblée nationale agitée, lors de sa déclaration de politique générale. Entre réduction de la dette, réforme du système de retraites et modification du mode de scrutin pour les législatives, un mois après sa nomination, le Premier ministre a tracé le contour des grands travaux à venir en près de 90 minutes.

À l’issue de son intervention, le sixième Premier ministre sous Emmanuel Macron n’a pas cherché à obtenir un vote de confiance, une démarche visiblement trop périlleuse dans un hémicycle où le bloc présidentiel manque de majorité. Toutefois, les groupes politiques auront la possibilité de se positionner vis-à-vis du gouvernement à travers une motion de censure que La France insoumise a soumise et qui sera votée en fin de semaine. Voici les principaux points de sa déclaration de politique générale.

La dette colossale, une « épée de Damoclès » menaçante

Le Premier ministre a débuté son discours en soulignant l’ampleur de la dette, qui culmine à 3 228 milliards d’euros, représentant « une épée de Damoclès suspendue au-dessus de notre pays et de notre système social ». Il a affirmé qu’« aucune initiative visant à revitaliser et refonder notre pays ne serait viable sans prendre en compte cette situation de surendettement et sans viser à la maîtriser et la réduire ». François Bayrou a fait remarquer que « tous les partis ayant exercé le pouvoir » partagent « une part de responsabilité dans cette accumulation de dette », déplorant aussi que les forces de l’opposition entrent dans « une danse fatale nous ayant menés au bord de l’abîme ».

Relancer la réforme des retraites, mais vite

Sur la question cruciale des retraites, attendue au tournant par beaucoup, François Bayrou a fait remarquer que cette réforme « reste une cause de division dans notre pays », annonçant sa remise en discussion avec les partenaires sociaux dans un délai compressé, dans un effort de transparence. Ce sujet a récemment provoqué des pourparlers intenses avec les socialistes.

Précisément, pour identifier « des pistes d’amélioration » vers une « réforme plus équitable », « une commission permanente sera instituée » dès vendredi, incluant les « représentants des partenaires sociaux ». « Si durant ces discussions, un compromis équilibré et plus juste émerge, nous l’adopterons. Le Parlement l’étudiera lors du prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale, ou via une loi si nécessaire. (…) Faute de consensus, la réforme actuelle serait maintenue », a-t-il averti, soulignant « les profonds défis financiers de notre système de retraites ».

Des ajustements budgétaires indispensables

François Bayrou a insisté sur l’importante nécessité d’élaborer un budget. Il s’est interrogé: « Est-il justifié d’avoir plus de 1 000 agences, organes ou opérateurs dans la sphère publique? ». Le Premier ministre a plaidé pour des efforts avec des budgets réévalués et revus, précisant que les ministres devront les actualiser « au printemps prochain ». Il a confirmé « l’objectif d’un déficit public de 3 % en 2029 », avec un déficit « pour 2025 fixé à 5,4 % du PIB ».

Il a annoncé la mise en place d’un fonds spécial entièrement destiné à la réforme de l’Etat, « alimenté par la vente de portions d’actifs publics, notamment immobiliers », afin de financer « des investissements tels que le développement de l’intelligence artificielle dans notre administration publique ».

Alléger le carcan de la paperasserie

François Bayrou a critiqué la lourdeur de la bureaucratie française, précisant que ce poids engendre une perte moyenne de 4 % du PIB chaque année. Il a appelé à un « changement radical pour alléger les procédures administratives » et a composé une demande pour « une adoption accélérée du projet de loi pour simplifier la vie économique ». Le Premier ministre a valorisé les expériences pratiques du terrain, invitant à une transformation de la logique actuelle : l’administration devrait remplir les formulaires, laissant aux utilisateurs le soin de les valider.

Proposition de proportionnelle aux élections législatives

François Bayrou a remis au goût du jour la possibilité de réformer le système de scrutin pour les législatives, en y ajoutant une dimension proportionnelle. « Il est temps d’avancer sur cette question », a-t-il insisté. « Chacun pourra exprimer sa vision. Une décision sur le principe devra être prise, ainsi qu’un débat sur sa mise en œuvre. Les orientations majeures sont claires : à mon avis, ce système électoral doit rester ancré dans les territoires », a expliqué le leader du MoDem, abordant aussi la possibilité de restaurer le cumul des mandats nationaux et locaux.

Abordant la thématique de la « démocratie », François Bayrou ambitionne de « reconnaître le pluralisme ». Il propose de « classer les partis politiques, comme les syndicats, en tant que mouvements d’utilité publique. Je suggère également de créer une banque de la démocratie », a-t-il lancé, justifiant que le financement ne devrait pas dépendre des décisions des banques privées, une idée qu’il avait déjà soutenue en 2017 lors de la campagne d’Emmanuel Macron à la présidence et à son bref passage à la tête du ministère de la Justice. 

Rétablir le dialogue autour des doléances des « gilets jaunes »

Le chef du gouvernement a exprimé sa volonté de « réexaminer les doléances soumises par les gilets jaunes », se montrant solidaire envers ceux qu’il désigne comme les « oubliés ». Ces doléances avaient émergé lors du grand débat national lancé par Emmanuel Macron en réponse à la crise des gilets jaunes à la fin de 2018.

L’enjeu migratoire, une « question de proportions »

Pour François Bayrou, « l’immigration relève fondamentalement d’un équilibre », illustrant avec l’exemple de Mayotte. Il juge crucial de mener une action de contrôle, de régulation et de retour vers leurs pays d’origine des individus dont la présence, par son ampleur, menace la cohésion nationale. Il a pointé que sur les 140 000 obligations de quitter le territoire français émises chaque année, « 93 % ne sont pas mises en œuvre », une situation qu’il impute au « refus des pays d’origine d’accueillir à nouveau leurs ressortissants expulsés de France ». Le Premier ministre a annoncé que le comité interministériel de contrôle de l’immigration sera réactivé.

Énergie nucléaire, une priorité pour la transition écologique

François Bayrou a déclaré : « L’écologie, contrairement à certaines idées reçues, constitue la solution, pas le problème », soulignant le rôle crucial de l’énergie nucléaire pour assurer une production « à la fois décarbonée et accessible à tous ». Il a évoqué le traitement de la gestion de l’eau comme un enjeu crucial via une conférence nationale qui serait décliné subjectivement aux régions, tout en continuant de soutenir le plan vélo initié par Élisabeth Borne « en dotant ce programme des ressources nécessaires ».

Parcoursup, un sujet de débat

François Bayrou s’est questionné: « Comment se peut-il que notre système éducatif, qui fut jadis le premier au monde, soit aujourd’hui tant déclassé, tant en mathématiques qu’en lecture? ». Soulignant que « comme les légumes, les enfants ne croissent pas au même rythme », il a ainsi dénoncé les orientations précoces dans le parcours scolaire français. Il a réfléchi à « l’idée d’une année de transition entre le secondaire et le supérieur », tout en pointant du doigt le système Parcoursup, qu’il explique par les interpellations de députés durant son discours, sans toutefois apporter davantage de précisions.

Nouvelle-Calédonie, un processus à conclure par trimestre

François Bayrou et son cabinet reprennent la gestion du dossier néo-calédonien, après de longs mois d’indécision liés à un climat politique instable. « Dès janvier, je convoquerai les acteurs politiques à Paris pour engager des négociations ayant l’objectif de trouver une solution d’ici la fin du trimestre », a-t-il précisé, exauçant ainsi les souhaits de Yaël Braun-Pivet et Gérard Larcher, respectivement présidents de l’Assemblée et du Sénat, lors de leur voyage en Nouvelle-Calédonie en novembre. De plus, il a confié à Manuel Valls, ministre des Outre-mer, une implication « particulièrement assidue » dans ce débat.

Rethink the housing policy extensively

« Notre pays exige une révision profonde et audacieuse de sa politique en matière de logement », a souligné François Bayrou, évoquant la récurrence des crises dans le secteur immobilier. Le Premier ministre a détaillé des pistes telles que la réduction des délais, l’assouplissement des processus d’autorisation, l’appui à la densification des constructions, le soutien à l’investissement locatif et l’incitation à l’accès à la propriété. Il a aussi souligné l’importance de soutenir les maires qui œuvrent pour le développement grâce à des mécanismes favorisant l’investissement, y compris privé. Cependant, il n’a pas énoncé les actions précises que prendraient la ministre du Logement, Valérie Létard.

Renoncer à dérembourser certains médicaments

François Bayrou a évoqué un changement de paradigme pour les hôpitaux qui passerait « d’une approche budgétaire annuelle à une logique de financement pluriannuel ». Il a confirmé que la santé mentale serait la cause majeure de l’année, comme instauré par son prédécesseur Michel Barnier. Le Premier ministre a assuré que « la suppression du remboursement de certains traitements et consultations ne sera pas appliquée », et a réitéré l’engagement de rembourser intégralement les fauteuils roulants d’ici 2025. Pour finir, il a confirmé la mise en place du Haut-Commissariat à l’enfance, annoncé par Emmanuel Macron fin décembre.