Lors de l’audience, des membres des familles des victimes de l’attaque terroriste, orchestrée par le Libyen Abdallah Senoussi, ont pris la parole. Quelques-uns se sont adressés directement à l’ex-président de la République, qui a répondu avec émotion à leurs récits bouleversants.
« Jean-Pierre avait une passion intense pour la scène théâtrale. » Quand elle s’exprime devant le tribunal, le jeudi 23 janvier, lors du procès relatif aux soupçons de financement libyen de la campagne présidentielle de 2007 de Nicolas Sarkozy, Danièle Klein débute en honorant son frère, un acteur dévoué. « Il possédait le charme propre aux artistes qui aiment provoquer, mais toujours avec élégance, » affirme-t-elle, s’appuyant sur ses notes soigneusement préparées. Jean-Pierre Klein, parti mettre en scène une pièce de théâtre au Congo, a trouvé la mort le 19 septembre 1989 lors de l’attentat contre le DC-10 d’UTA. L’avion a été détruit en plein vol au-dessus du désert du Ténéré au Niger, emportant avec lui les 170 passagers, dont 54 Français.
Pour Danièle Klein, ces victimes représentent « 170 innocents » qui « ne pèsent presque rien ». Ont-ils été utilisés dans des négociations par Nicolas Sarkozy ? C’est ce que prétend l’accusation, selon laquelle une des « compensations » des millions libyens aurait pu être les « discussions » concernant la levée du mandat d’arrêt contre Abdallah Senoussi, ancien chef des renseignements militaires libyens. Cet homme, le beau-frère du dirigeant Mouammar Kadhafi, avait été condamné à perpétuité en France, en 1999, en son absence, pour sa participation dans l’attentat du DC-10 d’UTA. C’est ce qui a poussé les familles des victimes à se constituer parties civiles dans ce procès lié au financement libyen. Jeudi, neuf d’entre elles ont choisi de prendre la parole.
« Cette affaire est un glissement vers la méfiance généralisée »
Devant le tribunal correctionnel de Paris, Danièle Klein se remémore la douleur ressentie le 10 décembre 2007, date de l’arrivée en France de Mouammar Kadhafi pour sa première visite officielle depuis 1973. « J’ai patienté longuement sur mon scooter pour laisser passer le cortège de Kadhafi. Cet événement, même sans impact juridique, reste douloureux, dit-elle. Cette visite était pour moi une humiliation. » On peut y voir une allusion à l’expression employée par Nicolas Sarkozy en 2016 lors d’un entretien avec le journaliste David Pujadas à propos de l’affaire de financement libyen. « Quelle indignité ! », avait alors déclaré l’ancien président.
Aujourd’hui responsable dans l’Association française des victimes du terrorisme (AfVT), qu’elle a contribué à fonder, Danièle Klein réagit aux assertions de Brice Hortefeux, également jugé dans ce procès. Ce dernier a affirmé que sa rencontre avec Abdallah Senoussi en décembre 2005, lors d’une brève visite en Libye, n’était qu’une « manigance » orchestrée par l’intermédiaire franco-libanais Ziad Takieddine. « Hier, j’ai entendu un serviteur de l’Etat affirmer : ‘Il n’y avait pas d’alternative, il ne s’est rien passé de sérieux’, déclare Danièle Klein. C’est notable. Aujourd’hui, face à un attrape-nigaud, on dit : ‘On se lève et on s’en va’. Cette affaire est un glissement vers la méfiance généralisée et la montée des votes extrêmes. »
« Évaluer la portée de la déception envers Nicolas Sarkozy »
D’autres proches de Jean-Pierre Klein prennent également la parole. « Je refuse de garder le silence et de continuer à être une victime muette. Je désire savoir si des compatriotes, cette fois, ont débattu de la valeur de la justice accordée à mon père », déclare Mélanie Hoedts-Klein, âgée de quatre ans lors du décès de son père. « Comment des citoyens républicains pourraient-ils ainsi fouler aux pieds les principes républicains ? », s’interroge Yohanna Brette, dont la mère, hôtesse de l’air à bord de l’avion, a péri. Devenue pupille de la nation, elle avait un an et demi lorsque sa mère a été tuée.
« Le procès actuel permet de discerner l’ampleur de la déception causée par Nicolas Sarkozy. Je suis consterné que ses actions aient pu alimenter des ambitions personnelles, si cela est prouvé », soutient Guillaume Denoix de Saint-Marc, qui a aussi perdu son père dans l’attentat. Cofondateur de l’AfVT, il relate comment il s’est retrouvé à négocier en 2003 la reconnaissance et l’indemnisation des victimes de l’attentat. L’année suivante, la Libye a versé un million de dollars par famille en dédommagement, sans pour autant admettre sa culpabilité.
« Ce procès ne concerne pas directement l’attentat »
De son côté, Christophe Raveneau, le fils d’un des pilotes du vol, s’adresse directement à Nicolas Sarkozy. « Imaginez-vous devant un cercueil presque vide et entendre cette phrase, devant une boîte : ‘C’est papa’. Monsieur Sarkozy, ce jour-là, j’avais l’âge que votre fille a aujourd’hui », déclare-t-il, en se tournant vers l’ancien président. Ce dernier est autorisé à lui répondre après une brève suspension de séance. « Monsieur Raveneau m’a dit qu’il avait l’âge de ma fille à l’époque, c’était très poignant. La souffrance est là, elle persiste et ne mérite que du respect », réagit-il.
Nicolas Sarkozy se lance ensuite dans une réflexion plus approfondie. « Je voudrais juste rappeler quelques termes qui m’ont traversé l’esprit. Le premier terme est la dignité des témoignages », commence-t-il. « Le second est la douleur, que je respecte et comprends. » Il poursuit avec « la colère » et, enfin, le « doute, qui a imprégné toute cette audience ».
« Je peux assurer ceux qui ont témoigné : je ne les ai jamais trahis. Je n’ai jamais échangé leur sort pour quelque accord ou logique de realpolitik. »
Nicolas Sarkozydevant le tribunal correctionnel de Paris
« Je leur demande de faire davantage confiance aux paroles de leur ancien président qu’à celles des responsables des actes commis contre leurs familles », insiste-t-il, étant jugé notamment pour « corruption passive », « association de malfaiteurs » et « financement illégal de campagne électorale ». « Je ne suis pas un homme à acheter ! Que les victimes expriment de vives critiques après ce qu’elles ont subi, oui ! Toutefois, ce procès ne porte pas sur l’attentat », s’enflamme-t-il, avec un discours aux accents politiques, illustrant ses propos de mouvements de bras. « Je ne suis pas un criminel et je n’ai jamais été complice de ces criminels-là », répète l’ancien chef d’État, risquant, comme la plupart des accusés, une peine de dix ans de prison et une amende de 375 000 euros.