Jean-François Kahn, journaliste renommé aujourd’hui décédé, a créé ce concept qui semble désormais peu adapté au contexte politique actuel. En effet, le président de la République ainsi que le Premier ministre se retrouvent avec une latitude d’action fortement réduite.
Le centrisme a-t-il la capacité de se montrer révolutionnaire? C’était en tout cas la conviction d’un éminent journaliste, dont on a appris le décès ce jeudi 22 janvier : Jean-François Kahn. Fort de ses 60 ans de carrière, il est connu, entre autres, pour avoir fondé les hebdomadaires l’Événement du jeudi et Marianne. Écrivain prolifique, érudit inépuisable, esprit indépendant, il est aussi le père d’un concept iconoclaste par essence : le centrisme révolutionnaire, qui paraît être un véritable oxymore. François Bayrou lui a reconnu la paternité de cette idée en saluant sa « créativité » et son « humanisme ». Jean-François Kahn a approfondi sa théorie dans un ouvrage intitulé l’Alternative, où il s’attaque à la dichotomie droite-gauche et rejette autant le culte du profit plébiscité par certains, que l’approche étatiste défendue par d’autres. Il appelait non pas à une renaissance d’un centre qui serait synonyme de modération et d’indécision, mais à l’émergence d’un centre audacieux, capable de transcender les divisions politiques traditionnelles et de forger des solutions profondément innovantes qui bouleverseraient la société.
François Bayrou est-il cette figure révolutionnaire? À première vue, ses premiers pas à Matignon pourraient faire douter et suggérer une réponse négative. Cependant, François Bayrou a bien été « révolutionnaire » à sa manière, oui, oui… En s’opposant à l’UMP toute-puissante, incarnée par Jacques Chirac puis Nicolas Sarkozy, il a offert au centre une autonomie vis-à-vis de la droite. Un véritable bouleversement politique sous la Ve République, qui aurait pu être un levier important pour le changement.
La déliquescence des grandes ambitions
Jean-François Kahn, rebelle envers toute forme de pensée monolithique, avait même choisi de le rejoindre pour porter ses couleurs lors des élections européennes de 2009. Toutefois, François Bayrou a rencontré un problème majeur lorsqu’Emmanuel Macron lui a subtilisé, dès 2017, le symbole de la « Révolution », qui était même le titre de son ouvrage de campagne. Depuis, l’idée de « dépassement » en adoptant la philosophie du « en même temps » a échoué politiquement, et le prétendu « nouveau monde » macronien s’est dissipé.
À Matignon, François Bayrou se trouve désormais avec très peu de liberté d’action. Sa nomination s’est faite dans un contexte politique extrêmement contraignant, en raison d’une dissolution parlementaire infructueuse et de l’absence de majorité. Dans ce climat, il lui faut maintenant miser sur le plus petit dénominateur commun, projet par projet. Les grandes aspirations « révolutionnaires » sont enterrées. Subsiste alors un état d’esprit, celui de tendre la main, rechercher le compromis, écouter l’autre au-delà des divisions partisanes, une approche chère à Jean-François Kahn, fervent détracteur de tout sectarisme. Cet esprit constitue une bouffée d’oxygène nécessaire dans cet environnement où le débat public se crispe, que ce soit sur les réseaux sociaux ou au Parlement. Déjà en 1965, pour atténuer un climat qu’il jugeait « énervé », « surexcité », « hypertendu », l’humoriste Pierre Dac avait créé un parti éphémère, le MOU, le Mouvement Ondulatoire Unifié, prônant avec humour : « Les temps sont durs, votez Mou! »