Sous la direction de Lee Shulman, ce film documentaire conçu à la manière d’un road-movie entremêle des moments pris sur le vif de la vie actuelle de Martin Parr avec des séquences d’archives et des entretiens. Ce mélange met en lumière son approche artistique et sa production, tout en abordant les débats et polémiques suscités par ses œuvres.
« La photo idéale n’existe pas. C’est une éternelle quête, un perpétuel défi », nous confie Martin Parr. « Chaque matin, il faut se dire que peut-être, aujourd’hui, un événement extraordinaire se produira. » Mais ce grand photographe britannique n’a jamais vraiment eu besoin d’attendre un événement particulier. Curieux insatiable, il parvient toujours à trouver quelque chose de fascinant à capturer avec son objectif, peu importe où il se trouve. Avec son appareil photo toujours à l’épaule, il garde un regard joueur et vif, constamment à l’affût derrière son objectif, et son apparence banale lui permet de se fondre aisément dans la foule.
Pourtant, dès les premières images du documentaire I Am Martin Parr, réalisé par Lee Shulman et désormais disponible sur France.tv, ainsi que le vendredi 14 février à 23h00 sur France 5, le vieillissement soudain de cet artiste de 72 ans nous saute aux yeux. Désormais, il se déplace à l’aide d’un déambulateur qui lui sert également de siège. Parr est atteint d’un myélome, une forme de cancer diagnostiquée en 2021, l’empêchant de rester debout plus de dix minutes sans ressentir de douleur. Néanmoins, cela ne l’empêche pas de continuer à photographier sans relâche.
En France, il est très apprécié, même si chez lui, en Grande-Bretagne, il a souvent divisé les opinions. Son travail a parfois été mal compris, certains lui reprochant un ton cynique, d’autres décriant une condescendance supposée envers la classe ouvrière britannique, qu’il a documentée durant son déclin sous Margaret Thatcher. Mais tout le monde s’accorde à le qualifier de l’un des plus grands photographes britanniques jamais connus.
Le film de Lee Shulman, un fervent admirateur de son œuvre, mêle des scènes de la vie quotidienne de Martin Parr, des images d’archives et des interviews. Grâce à ce documentaire, il réussit à faire lumière sur la démarche artistique de Parr, dissipant ainsi les derniers doutes et le rendant indéniablement captivant.
Reflet de la société anglaise
Le documentaire nous ramène d’abord aux débuts de Martin Parr, lorsque sa vocation photographique s’est révélée, alors qu’il n’avait que 13 ou 14 ans, grâce à un grand-père passionné de photographie. Dès ses premières photos en noir et blanc, son regard singulier se dévoile, empreint à la fois d’un décalage tendre et d’humour envers ses semblables.
Ces premiers clichés ont une dimension documentaire et humaniste qui réfute les accusations de cynisme qu’il subira plus tard. Toute sa finesse artistique était déjà présente à cette époque. Le photographe se souvient avec nostalgie de sa longue période en noir et blanc, qui a duré environ quinze ans.
Au début des années 1980, Martin Parr embrasse la photographie en couleur, une révolution à une époque où cette technique était majoritairement utilisée pour la publicité. Sa célèbre série The Last Resort, produite entre 1983 et 1985 à New Brighton, en est un exemple remarquable.
Cette série capture la classe ouvrière anglaise prenant d’assaut les plages, s’étalant sans gêne sur le béton ou les galets jonchés de déchets, pour profiter à fond du soleil, tolérant tant bien que mal les cris d’enfants. Bien que ses images en couleurs vives puissent paraître dures, Parr revendique que ce passage à la couleur était avant tout une critique de la société.
Un regard affûté mais affectueux
Ses clichés, autrefois controversés et aujourd’hui acclamés, sondent toutes les strates de la société britannique ainsi que le tourisme de masse. Son approche, empreinte d’ironie et de bienveillance, critique de manière à peine voilée le matérialisme et le consumérisme. « Mon sujet de prédilection est le loisir du monde occidental, dans toutes les couches sociales. C’est véritablement ce temps libre des gens qui m’interpelle », confesse-t-il.
Le documentaire aborde sa frénésie de collectionneur, qu’il a notamment manifestée en amassant des montres à l’effigie de Saddam Hussein, et relate également la scission que son admission à l’agence Magnum a provoquée. En 1994, après des années de débats au sein de l’agence fondée par Robert Capa et Henri-Cartier Bresson, il fut enfin admis.
Certains photographes de Magnum lui reprochaient de ne pas correspondre à la vision humaniste de l’agence. Pourtant, Martin Parr possède une véritable affection pour l’humanité. « J’adore prendre en photo les gens. J’aime les découvrir. Ils sont fascinants, imprévisibles, jamais ennuyeux », s’exclame-t-il. « J’essaie de les comprendre juste en les observant, à travers leur tenue, leur comportement, leur façon de parler.«
Bien que sa maladie l’ait obligé à diminuer son rythme, il reste ébahi par le monde et sa complexité. « Partout il y a quelque chose qui attire mon attention et me pousse à photographier », assure-t-il. Même en réanimation à l’hôpital, son épouse Susie se souvient qu’il était sur la voie de la guérison une fois qu’il a repris ses clichés, que ce soit de ses repas à l’hôpital ou du personnel soignant. Avec Martin Parr, il y a toujours un événement digne d’une photo.
Le film « I Am Martin Parr » de Lee Shulman (inédit, 51 minutes) est disponible sur france.tv du 30 janvier au 27 juillet 2025, et sera diffusé le vendredi 14 février à 23h00 sur France 5.