Suite à la parution de « Godard Averty, Petit et grand écran » en décembre dernier, la chercheuse dévoile au public le style singulier de Godard en matière de création littéraire pour le cinéma. Cette présentation se tient au Musée de l’imprimerie de Lyon. Entretien.
Découverte de l’art graphique de Jean-Luc Godard
Paule Palacios-Dalens, à la fois graphiste et chercheuse, est à l’origine de l’exposition intitulée Jean-Luc Godard, le typographe à la caméra, qui a été inaugurée le 31 janvier au Musée de l’imprimerie et de la communication graphique à Lyon. Cette exposition met en lumière l’approche graphique unique du cinéaste Jean-Luc Godard, explorée en profondeur par Palacios-Dalens dans ses ouvrages publiés aux Éditions de l’Œil en décembre 2024 : Vox JLG, du plomb au film et Godard Averty, Petit et grand écran.
Un travail de mise en page cinématographique
Titulaire d’un doctorat en esthétique et histoire des arts plastiques, Paule Palacios-Dalens étudie les interactions entre le cinéma, la littérature et la typographie. Elle affirme que chez Godard, le graphisme va bien au-delà de simples éléments visuels : « Les cartons, les génériques, les enseignes, ou encore les références aux livres, montrent que son œuvre graphique est une véritable mise en page pour le film, transformant le film en livre », explique-t-elle dans son livre Godard Averty, Petit et grand écran.
Entretien avec Paule Palacios-Dalens
Franceinfo Culture : Qu’est-ce qui vous a poussé à étudier l’aspect graphique des films de Godard ?
Paule Palacios-Dalens : En tant que chercheuse et graphiste, j’ai reconnu dans le cinéma de Godard une démarche de mise en page. J’ai par la suite découvert qu’il avait pour grand-oncle Maximilien Vox, un pilier de la typographie en France, fondateur des Rencontres de Lure, un événement consacré à la réflexion autour de l’écriture et de la typographie. Ce lien familial a probablement influencé l’intérêt pour le graphisme et l’omniprésence du livre dans les films de Godard.
Un nouveau regard sur l’ouvrage cinématographique
Pour beaucoup des contemporains de Godard, publier un roman, notamment chez Gallimard, était une forme d’accomplissement suprême. Le cinéma était souvent perçu comme moins prestigieux, et encore moins la télévision. Godard a pris le livre comme un modèle pour réinventer le cinéma. Il l’a transformé en une expérience artistique sur grand écran avec des projets comme Histoire(s) du cinéma, un projet multimédia qui utilise des images mentales partagées collectivement. Initialement créé pour la télévision en 1989, cette œuvre a été adaptée au cinéma sous une forme abrégée, avec Moments choisis ayant été incorporé en 1998 dans la collection La Blanche de Gallimard. Godard réussit ainsi à intégrer le cinéma dans un univers littéraire.
Ancrage historique et typographique
Bien qu’il ne soit pas spécialiste, Godard a toujours su choisir des éléments typographiques représentatifs de leur temps. Par exemple, l’utilisation de l’Antique Olive dans les années 60 est un choix emblématique, incarnant un style typiquement français de l’époque.
Dialogue graphique entre Godard et Averty
Pourquoi comparer l’œuvre graphique de Godard avec celle de Jean-Christophe Averty ?
Cette comparaison est inédite. Les Rencontres de Lure, créées par Vox, ont décerné un prix à Jean-Christophe Averty en 1969 pour sa créativité graphique à la télévision. En soulignant ces similarités, il m’a semblé évident de mettre en parallèle les travaux de Godard et d’Averty. Cette confrontation enrichit notre compréhension de leur art, chacun étant une figure majeure de leur domaine respectif. En exploitant la mise en page, ils réinventent leur médium, que ce soit à l’écran ou sur une feuille de papier, établissant des ponts entre deux formes d’expression.
Averty, le pionnier de la télévision moderne
Comment Averty est-il perçu dans le monde de la télévision ?
Le mot « téléaste », spécialement inventé pour Averty, désigne un réalisateur qui emprunte à la télévision l’influence de la culture savante, qu’il intègre même dans les programmes de divertissement par des adaptations fascinantes de l’art surréaliste. Très érudit, il était notamment un pionnier du clip vidéo, transformant les chansons populaires françaises — qu’elles soient de qualité ou non — en créations visuelles d’une grande inventivité.
Films et télévision, un dialogue avec le livre
Comment Godard et Averty perpétuent-ils la tradition littéraire à travers leurs médias respectifs ?
Averty voyait l’écran de télévision comme une page à agencer, renforçant son intention. Godard, en revanche, cheminait vers une oeuvre où film et livre se confondent, comme l’indique son dernier projet, Le Livre d’image de 2018. Si la télévision d’Averty opérait sous les contraintes de l’industrie, son approche visait à percuter les téléspectateurs – un engagement public qui n’était pas dénué d’une volonté de mémoire, contrairement à l’oubli souvent associé à ce médium. Godard, libéré de ces restrictions, abordait également la question de la mémoire, explorée de façon distincte.
Précurseurs de la mixité médiatique
Pourquoi cette approche préfigure-t-elle un modèle d’intégration médiatique devenu courant aujourd’hui ?
Se jouant des frontières entre médias, Godard et Averty visionnaient l’avenir. Avec une conscience aigüe de l’histoire, leurs œuvres anticipent cette mixité médiatique, qu’il s’agisse des Histoire(s) du cinéma de Godard ou des programmes de variété d’Averty.
Le pop art à la française
Comment leur travail graphique s’inscrit-il dans le pop art français ?
En recycleurs visuels de leur époque, ils intègrent les images de consommation, tout en sublimant les actualités dans une approche artistique.
Exploration de la dimension graphique de Godard
Que révèle votre exposition sur Godard ?
L’exposition, tirée de Vox JLG, déroule sur quatre salles un parcours de l’œuvre graphique de Godard. Elle s’ouvre sur ses liens familiaux avec Maximilien Vox, transmettant bien plus qu’une simple influence visuelle. Suivent ses inspirations, puis sa rencontre avec Averty à travers des projets comme Le Gai Savoir et les émissions télévisées des années 60 avec l’arrivée de la couleur.
Enfin, la dernière salle dévoile les maquettes papier du projet Histoire(s) du cinéma, prêtées par Gaumont; un aperçu des collages et expérimentations préalables de Godard.
La typographie, un art sous-estimé
En quoi souligne votre travail l’importance de la typographie ?
La typographie influence notre lecture, mais nous en avons rarement conscience. Un caractère bien conçu est presque invisible, mais il imprime une impression forte, souvent non reconnue, sur notre perception de l’écrit.
L’exposition « Jean-Luc Godard, le typographe à la caméra » se tient au Musée de l’imprimerie et de la communication graphique du 31 janvier au 4 mai 2025, ouverte de mercredi à dimanche de 10h30 à 18h.
Adresse : 13, rue de la Poulaillerie, 69002 Lyon