Lundi, un ancien président de l’Assemblée nationale, connu pour son étroite relation avec le président de la République, a été suggéré pour diriger cet organe crucial de la Ve République. Cette institution a pour mission de vérifier que les lois respectent bien la Constitution. Sa nomination doit toutefois recevoir l’accord des membres des commissions des lois du Parlement.
« C’est une figure très proche d’Emmanuel Macron, et qu’il soit perçu ainsi, ce n’est pas favorable », déplore un ancien membre du Conseil d’État. À 62 ans, Richard Ferrand réintègre la scène politique et médiatique, bien que sa nouvelle fonction l’oblige à une grande discrétion : l’ex-président de l’Assemblée nationale a été choisi pour présider le Conseil constitutionnel par Emmanuel Macron, ce lundi 10 février. Son mandat, qui durera neuf ans, s’étendra jusqu’aux élections présidentielles de 2027 et 2032.
De plus, Gérard Larcher, président du Sénat, a nommé le sénateur LR Philippe Bas, tandis que Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationale, a choisi l’ancienne députée MoDem Laurence Vichnievsky comme membres du Conseil. Ces désignations, d’une importance significative dans le contexte politique actuel, attendent toutefois l’aval des parlementaires.
Les nominations pourraient être rejetées par un vote à la majorité des trois cinquièmes, au sein des commissions des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat, suite à des auditions prévues pour le 19 février. Cependant, une telle opposition n’a jamais eu lieu pour une désignation au sein de l’institution prestigieuse, qui s’assure que les lois sont en accord avec la Constitution.
« Macron recycle un ami »
La proximité entre Richard Ferrand et Emmanuel Macron est critiquée, surtout parmi les opposants politiques du président. « Le Conseil constitutionnel est utilisé à des fins politiques, ce que nous déplorons, » s’indigne un député RN. C’est un mauvais signal de nommer Ferrand. Macron recycle un ami proche ». À gauche, l’indignation n’est pas moindre. « Bien entendu, nous nous opposerons à sa nomination », affirme Thomas Portes, député LFI et membre de la commission des lois.
« Il n’a aucune compétence, et le Conseil constitutionnel ne devrait pas servir à recaser les proches de Macron rejetés par les électeurs. »
Thomas Portes, député LFI, commissaire aux loisà 42mag.fr
« Je suis très surprise de voir une personne sans compétence juridique – aucune – nommée à un tel poste. C’est un affront pour l’institution et pour la démocratie », ajoute Sandra Regol, députée écologiste siégeant également à la commission des lois. Bien que le gouvernement Bayrou ne soit pas sanctionné, le PS, parti où Richard Ferrand militait avant 2017, ne se montre guère indulgent. « Un groupe d’opposition n’a aucune raison de soutenir une nomination faite par un président dont nous combattons la politique », soutient Hervé Saulignac, député socialiste et membre de la commission des lois.
Sans mandat électif depuis 2022 après avoir été battu par une candidate socialiste, Richard Ferrand, aujourd’hui à la tête d’une société de conseil, n’a jamais vraiment coupé avec le monde politique, au point d’avoir été considéré pour Matignon à plusieurs reprises. Ancien député du Finistère, il avait siégé dans l’ombre sous François Hollande, avant de rejoindre très tôt Emmanuel Macron au sein d’En Marche. « Il a un accès unique auprès du président, pouvant lui parler franchement, et Macron l’écoute réellement. Ce lien, je n’ai jamais vu s’effacer », confie Stanislas Guerini, ancien ministre macroniste.
« Toutes les nominations ont un fond politique »
Les alliés d’Emmanuel Macron s’efforcent ainsi de défendre la nomination de Richard Ferrand en soulignant ses atouts. Ferrand, qui a présidé l’Assemblée de 2018 à 2022, est vu comme ayant un « excellent profil ». « Indépendamment de sa proximité avec le président, c’est l’impact qu’il a eu comme président de l’Assemblée qui a marqué les esprits », souligne Pierre Cazeneuve, député EPR, rendant hommage à « un immense républicain qui a dédié sa vie à la chose publique ».
« Il possède l’intelligence d’Alexis Kohler, la ruse d’Hervé Marseille et la bonne humeur de François Hollande. »
Pierre Cazeneuve, député EPRà 42mag.fr
Certains pro-Macron voient dans les critiques des opposants une « tentative de nuire au président en s’en prenant à un proche ». Un autre évoque « un procès d’intention » contre Richard Ferrand, soulignant que « toutes les nominations sont d’ordre politique ».
Une opposition même chez les juristes
« Il n’est pas surprenant de choisir une personnalité politique pour ce poste – tous les anciens présidents du Conseil ont été des politiques –, mais Richard Ferrand est un proche d’Emmanuel Macron, et il y a l’affaire des Mutuelles de Bretagne », souligne un ancien Sage. Fraîchement nommé ministre de la Cohésion des territoires en 2017, Ferrand avait fait face à une tourmente judiciaire dans ce dossier. Mis en examen pour « prise illégale d’intérêts », l’affaire s’est finalement estompée en octobre 2022, la Cour de cassation confirmant la prescription des faits que Ferrand a toujours jugés « non prouvés ».
Même si l’affaire est close juridiquement, elle continue d’être mentionnée par ses détracteurs. Plus surprenant, certains juristes expriment également leur désaccord. Benjamin Morel, constitutionnaliste, oppose à la nomination de Ferrand, soulignant que « nous ne faisons pas face à un Robert Badinter, un Jean-Louis Debré, ou même un Laurent Fabius qui s’était distancié de la politique : Richard Ferrand pose un problème de légitimité vis-à-vis de son passé politique. » Il insiste en déclarant que Ferrand est « l’homme de confiance d’Emmanuel Macron ».
« Avec cette nomination, vous affaiblissez une institution qui n’en a pas besoin. »
Benjamin Morel, constitutionnalisteà 42mag.fr
Benjamin Morel se réfère à « la théorie des apparences » pour soutenir ses arguments. Cette approche juridique, émanant de la Cour européenne des droits de l’homme, accorde une grande importance à l’apparence de justice et à la confiance accordée par les citoyens. Jean-Eric Schoettl, dans un article pour Le Figaro, partage cet avis, bien qu’implicitement : « Le pire serait que le président de la République, via le choix d’un président trop proche, donnerait l’impression de reprendre indirectement le contrôle sur des institutions auxquelles les élections lui ont échappé. »
Les Républicains en arbitres du jeu
Le Conseil constitutionnel a également un rôle de juge électoral. Sur son site, il est mentionné qu’il « veille à la régularité des élections présidentielles et des référendums, dont il proclame les résultats ». Les opposants de Macron rappellent que Richard Ferrand avait créé la polémique en proposant de modifier la Constitution pour lever la limitation à deux mandats présidentiels. « Je déplore toute restriction à la pleine expression de la souveraineté (…) Préservons le bicamérisme et le Conseil constitutionnel, gardien vigilant des principes républicains et de nos libertés », avançait Ferrand dans Le Figaro en 2023.
Cela soulève des questions sur l’impartialité potentielle de Richard Ferrand en tant que futur président du Conseil constitutionnel. La décision quant à sa nomination repose désormais entre les mains des Républicains, et plus particulièrement au Sénat, où ils dominent. Un accord a-t-il été trouvé avec Emmanuel Macron ? « Aucun commentaire« , répond Philippe Gosselin, député LR et membre de la commission des lois de l’Assemblée nationale.