À de nombreuses occasions, le Premier ministre a affirmé qu’il n’avait « jamais été informé » des allégations de violences concernant cet établissement catholique sous contrat. Cependant, plusieurs personnes affirment avoir averti l’ex-ministre de l’Éducation nationale.
François Bayrou reste catégorique sur sa position. Le Premier ministre a affirmé, le mardi 11 février, à l’Assemblée nationale, qu’il n’avait « jamais été informé de quelque violence que ce soit, et encore moins de violences sexuelles » concernant l’établissement Notre-Dame de Bétharram, qui se situe dans les Pyrénées-Atlantiques, son département. Pourtant, des témoignages et révélations médiatiques remettent en question les déclarations du chef du gouvernement, d’autant que François Bayrou a des liens directs avec ce lycée catholique sous contrat. Plusieurs de ses enfants y ont été scolarisés et son épouse, Élisabeth Bayrou, y a dispensé des cours de catéchisme.
À gauche, on n’hésite pas à crier à « l’affabulation » du Premier ministre et à exiger des comptes pour ce qui est qualifié de « scandale national », comme l’a fait Manuel Bompard, coordinateur de La France insoumise, sur RTL. Plusieurs élus socialistes des Pyrénées-Atlantiques ont rédigé une lettre adressée au Premier ministre lui demandant de s’exprimer avec transparence. Le député insoumis Paul Vannier réclame même la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire. Pour faire la lumière sur les accusations concernant François Bayrou, 42mag.fr retrace le déroulement des événements.
Une première plainte en 1996
La controverse s’appuie principalement sur une plainte déposée en avril 1996 contre un surveillant, accusé d’avoir porté une violente claque à un adolescent, lui causant une perforation du tympan. « Mon fils a perdu une part de son audition, les médecins n’ont pas pu sauver son oreille », déclare le père à l’origine de la plainte auprès de Mediapart. Il affirme que François Bayrou, alors ministre de l’Éducation nationale, ne pouvait pas ignorer les faits. « Mon fils était dans la même classe que le sien », s’étonne-t-il auprès de Mediapart. « À l’époque, j’étais furieux de son inaction. »
Le Premier ministre a pourtant affirmé devant les députés : « Jamais je n’ai été averti (…) des faits qui ont donné lieu à des plaintes ou à des signalements ». Dans ses différentes interventions médiatiques, François Bayrou s’est montré ambigu sur ces premiers rapports de violences. « Seule l’une de mes filles se souvient d’une affaire de claques infligées par un surveillant », déclarait-il en mars 2024 dans La République des Pyrénées.
« C’est vrai que la rumeur, il y a vingt-cinq ans, laissait entendre qu’il y avait eu des claques à l’internat. »
François Bayroudans « Le Parisien » en mars 2024
Malgré cela, France 3 Nouvelle-Aquitaine a retrouvé un article de Sud Ouest qui semble indiquer que le ministre s’était réellement penché sur l’affaire lors d’une visite à l’établissement. « Beaucoup de Béarnais ont ressenti ces attaques de manière douloureuse et injuste », avait-il déclaré à l’époque. « Toutes les vérifications ont été favorables et positives. Le reste suit son cours. » François Bayrou explique aujourd’hui que les journalistes ont « mal compris » ses déclarations.
Les médias avaient pourtant largement couvert l’affaire en 1996. « Si François Bayrou n’avait pas eu un fils ici, personne n’en aurait entendu parler », avait confié un parent d’élève à Libération. « Le ministre de l’Éducation nationale (…) ne veut pas s’exprimer publiquement tant que l’enquête est en cours », précisait La République des Pyrénées. Le journal télévisé de 20 heures de France 2 avait aussi laissé entendre que « le ministre de l’Éducation pourrait exiger des explications de cet établissement sous contrat ». Le surveillant concerné avait été condamné cette même année à une amende de 5 000 francs avec sursis. « C’est une surprise pour moi », affirme actuellement François Bayrou dans Le Monde.
Diverses alertes dans les années 1990
En plus de cette première plainte, d’autres voix avaient déjà alerté sur l’atmosphère régnante au sein du collège. Françoise Gullung, enseignante en mathématiques à Notre-Dame de Bétharram de 1994 à 1996, avait porté plainte pour dénoncer un climat de violence. « Je marchais dans un couloir quand j’ai entendu, dans une salle à ma gauche, un adulte hurler et battre un enfant. L’enfant lui demandait d’arrêter, qu’il lui faisait mal », se remémore-t-elle auprès de France 3 Nouvelle-Aquitaine. L’enseignante affirme qu’Élisabeth Bayrou, l’épouse de François Bayrou, a été témoin de la situation. Françoise Gullung lui aurait demandé conseil sur la manière d’agir, et cette dernière aurait répondu : « Oh, les [élèves] sont ingérables, il n’y a rien à faire. »

« J’ai abordé le sujet directement avec François Bayrou pour lui dire qu’il fallait faire attention à ce qui se passait car il y avait des choses inquiétantes », continue-t-elle face à l’AFP. « Il a minimisé en soulignant que je devais exagérer quelque peu », disait-elle en juillet dans Le Point. Elle ajoute avoir alors écrit, avec l’infirmière de l’établissement, au conseil général des Pyrénées-Atlantiques, où siégeait le futur Premier ministre. « J’ai rapidement été convoquée par la direction diocésaine qui m’a assuré que je faisais des histoires pour rien », confie-t-elle à France 3.
« Ils m’ont fait comprendre que si je continuais, il me faudrait partir. »
Françoise Gullung, enseignante en mathématiquesà France 3 Nouvelle-Aquitaine
« Tout ce qui est aujourd’hui révélé concernant les punitions corporelles à Bétharram était déjà connu. C’était presque inscrit dans les pratiques éducatives de l’école », affirme Thierry Sagardoytho, représentant légal d’une des victimes, sur 42mag.fr. « Tout le monde savait que les élèves difficiles seraient envoyés là-bas et subiraient la punition dite du perron, c’est-à-dire restant en sous-vêtement au bord du Gave, la nuit. Tout cela était public. Cela faisait l’objet d’articles dans la presse. » Pour François Bayrou, l’argument avancé est celui des choix faits par les parents : « Pensez-vous vraiment que nous aurions inscrit nos enfants dans un établissement avec de telles accusations graves ? »
Une enquête pour viol en 1998
François Bayrou a pu reconnaître avoir entendu parler de « claques », mais il persiste à dire qu’il ne savait rien des cas d’agressions sexuelles et de viols présumés à Notre-Dame de Bétharram entre les années 1970 et 1990. Des surveillants et membres de la direction sont actuellement mis en cause. Parmi les 112 personnes se disant victimes devant la justice, 72 ont formellement porté plainte. Mais l’ancien ministre, qui a quitté son poste à l’Éducation nationale en juin 1997, nie toute connaissance de ces affaires, y compris la procédure engagé en 1998 contre Pierre Silviet-Carricart, un ancien directeur de l’établissement, retrouvé mort dans le Tibre, à Rome, en 2000. « Je ne connaissais pas le père Carricart, sauf peut-être de loin. Jamais je n’ai eu vent de cette histoire à l’époque », a-t-il précisé au Monde. Cependant, d’après Alain Esquerre, qui a déposé la plainte collective des victimes l’an passé, ce religieux était vu comme « un proche de la famille Bayrou ». « Son épouse assistait aux funérailles » de Carricart en 2000, ajoute une autre victime, Jean-Marie Delbos.
De son côté, le juge d’instruction Christian Mirande, qui a enquêté sur l’accusation de viol en 1998, a confié à plusieurs médias que « François Bayrou est venu me trouver » lors de la détention du prêtre. « Il soutenait qu’il était inconcevable que le père Carricart ait pu faire ce dont on l’accusait », rapporte le magistrat à La République des Pyrénées. « Il s’inquiétait car il avait également un enfant inscrit dans cet établissement. Il voulait savoir où en était l’affaire », note-t-il aussi auprès de France 3, mais François Bayrou « n’a jamais cherché à peser sur moi ou sur l’enquête ». Questionné par Le Monde, François Bayrou nie avoir eu ce type de rencontre. Toutefois, il reconnaît auprès du Parisien une réunion : « Jamais, bien sûr, je n’aurais voulu intervenir dans l’instruction. »
Pour Thierry Sagardoytho, qui défendait la première victime de viol en 1998, François Bayrou n’était en tout cas pas au courant des détails de l’enquête. « Si on parle de connaissance du dossier, je comprends qu’il ne savait rien puisque cela ne le concernait pas directement. Sinon, il aurait bien sûr été réclamé une enquête sur une possible pression du politique sur la justice », déclare-t-il. En 1998, François Bayrou n’était plus ministre de l’Éducation nationale, c’était Claude Allègre, un socialiste. Alors, accuser la gauche aujourd’hui du silence ou de l’inaction du ministère de l’Éducation nationale, c’est vraiment prendre les événements de manière hypocrite. »
Une nouvelle lettre en 2024
Jean-Marie Delbos, lui, est très en colère. Cet ancien élève de Notre-Dame-de-Bétharram dans les années 1950 affirme avoir envoyé une lettre à François Bayrou en mars 2024, accusé de réception à l’appui, décrivant les violences sexuelles qu’il avait endurées. « Bien sûr qu’il était au courant ! Je lui ai écrit pour lui faire part des faits. Il avait la preuve puisqu’il a réceptionné l’accusé de réception. C’est arrivé il y a un an. Par conséquent, [François] Bayrou savait », confie-t-il à « ici Béarn ».
« C’est un menteur. Je lui ai écrit pour lui dire ce qu’il se passait. »
Jean-Marie Delbos, victimeà « ici Béarn »
Le député insoumis Éric Coquerel indique que François Bayrou « a changé de version » dans sa défense. « Il disait qu’il n’avait jamais été informé et aujourd’hui, il reconnaît qu’il n’avait pas été informé ‘à l’époque’, car il doit admettre l’existence de la lettre reçue en 2024 », a-t-il déclaré sur 42mag.fr. Devant les députés, le Premier ministre a évoqué cette lettre pour souligner qu’elle datait de 2024, « alors que les faits concernent le XXe siècle ».
Face aux élus, le chef du gouvernement a aussi exprimé sa « compassion » pour « les personnes, les enfants ou les jeunes hommes, qui ont souffert dans ces affaires ». Mais pour les plaignants, ces excuses viennent trop tard. Alain Esquerre, porte-parole des victimes de Notre-Dame de Bétharram, reproche à François Bayrou de « n’avoir rien dit » pour les victimes jusqu’à être poussé à le faire par les interrogations des élus. Il critique aussi le maire de Pau pour ne pas avoir agi de manière appropriée pour superviser l’établissement. « L’ensemble de l’administration a échoué », confie-t-il au Monde. « Et François Bayrou n’a pas agi différemment des autres. »