Ce jeudi, le Sénat examine une proposition de loi déposée par les centristes visant à interdire aux individus en situation irrégulière de se marier. Si cette législation était votée, elle pourrait être rejetée par le Conseil constitutionnel.
Le Sénat se détourne de la Saint-Valentin. Ce jeudi 20 février, les sénateurs examinent une proposition de loi présentée par Stéphane Demilly, un sénateur centriste. Cette proposition vise à « empêcher qu’un mariage soit célébré en France si l’un des futurs époux réside illégalement sur le territoire ». Selon la législation actuelle, les officiers d’état civil ne peuvent refuser de célébrer un mariage pour ce motif. À titre d’exemple, le maire de Béziers (Hérault), Robert Ménard, a indiqué qu’il serait jugé pour avoir refusé de célébrer un mariage en 2023 entre une citoyenne française et un Algérien en situation irrégulière.
Bien que soutenu par les ministres Gérald Darmanin et Bruno Retailleau, le projet de loi pourrait ne pas entrer en vigueur s’il était adopté par les deux chambres. « Ce projet de loi semble ignorer les principes constitutionnels et représente une forte probabilité de censure par le Conseil constitutionnel, au vu de sa jurisprudence actuelle », explique Nicolas Hervieu, un expert en droit.
Seulement quatre restrictions au mariage
En France, le droit de se marier est « une liberté fondamentale reconnue par la Constitution », soulève la commission des lois dans un rapport concernant le projet centriste adopté. Ce droit est affirmé dans de nombreux textes, tels que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ainsi que la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Le Code civil impose toutefois quatre restrictions à ce droit : les époux doivent être majeurs (sauf dispense spéciale du procureur de la République), le mariage ne peut aboutir à une situation de polygamie, les époux ne peuvent être des membres proches de la même famille, et le consentement des deux parties est requis. Par conséquent, les mariages de complaisance, c’est-à-dire contractés uniquement pour l’acquisition de la nationalité française, sont prohibés car considérés comme une entorse au consentement.
Le statut administratif d’un des époux ne constitue donc pas une raison valable pour s’opposer à un mariage, rappelle la commission des lois. Un maire qui refuserait de célébrer un mariage pour cette raison risque cinq ans de prison, 75 000 euros d’amende, ainsi qu’une inéligibilité potentielle, avertit le Code pénal.
Une « lacune législative » à combler ?
Les promoteurs de la loi perçoivent cette situation comme « une lacune législative » générant des « situations absurdes ». Ils souhaitent donc que le séjour irrégulier devienne un critère supplémentaire pour restreindre le droit au mariage. Leur texte, ne comprenant qu’un seul article, stipule que « le mariage ne peut être contracté par une personne séjournant de manière irrégulière sur le territoire français ». Cela a deux objectifs : renforcer la prévention des mariages de complaisance et protéger les maires qui refusent d’unir des couples comportant un partenaire en situation irrégulière.
Si le texte était adopté, il incomberait à l’officier d’état civil de vérifier le statut administratif des futurs époux lors de la préparation de la cérémonie. Cependant, seul le procureur de la République pourrait évaluer la validité de leur titre de séjour et, le cas échéant, empêcher la célébration du mariage, précise la commission des lois. Les officiers agissent sous son autorité, et seul le procureur peut aujourd’hui s’opposer à un mariage au nom des quatre restrictions existantes. Selon le Code civil, il a quinze jours pour décider d’autoriser ou de s’opposer au mariage. Il peut également retarder sa décision pour mener une enquête, ce délai étant limité à un mois, renouvelable une fois.
Une liberté jusqu’ici largement protégée
Cependant, la proposition de loi pourrait être jugée inconstitutionnelle, le Conseil ayant déjà affirmé protéger le droit au mariage des personnes sans papiers. En 2003, il a déclaré que « la situation irrégulière d’un étranger, associée à d’autres éléments, peut éventuellement servir d’indication quant à un mariage de complaisance », mais que cet indice seul n’était pas suffisant. Ainsi, le Conseil a invalidé une partie de l’article 76 de la loi sur l’immigration de 2003, dite « loi Sarkozy », qui permettait au procureur d’interdire un mariage si l’un des futurs mariés ne pouvait prouver son droit de séjour en France.
Si cette proposition législative était adoptée par les deux chambres, le Conseil constitutionnel serait-il alors obligé de réitérer sa position passée ? « La jurisprudence est très claire sur ce point », affirme Nicolas Hervieu. Sans « révision constitutionnelle », le Conseil est susceptible de déclarer contraire à la Constitution tout texte qui interdirait en principe le mariage à une personne en raison de son statut administratif. Cependant, « un changement de jurisprudence est toujours une possibilité », admet-il.
Conscients des obstacles, les sénateurs de la commission des lois n’ont pas adopté le texte avant de l’envoyer à l’assemblée plénière. « A moins d’une évolution jurisprudentielle, impossible à prévoir à ce stade, seuls une révision de la Constitution permettrait d’aller dans le sens souhaité par le porteur de la proposition », concluent-ils.