À l’occasion de l’ouverture du Salon de l’agriculture à Paris, trois élus partagent comment ils ont dû s’éloigner de leurs exploitations pour assumer un autre rôle au sein de l’Assemblée nationale. Là-bas, ils jouent un rôle particulier en tant que porte-parole d’un secteur en grande difficulté.
Avec un pied dans les champs et l’autre au palais législatif, des députés engageés dans l’agriculture naviguent entre deux mondes. Alors que l’agitation parmi les membres du secteur agricole ne faiblit pas et que le Salon de l’agriculture s’apprête à ouvrir ses portes à Paris, plusieurs députés se font les porte-voix de la « vraie vie » agricole dans l’hémicycle. Douze agriculteurs ont été élus en 2024, et parmi eux, trois, appartenant à des partis divers, ont accueilli 42mag.fr dans leurs fermes pour expliquer comment ils jonglent entre leurs deux rôles et comment ils cherchent à « amplifier la voix des campagnes ».
Eric Martineau, agriculteur de pommiers et député MoDem de la Sarthe : « Je souligne leur quotidien »
Paré de sa veste vive et de sa chemise à motifs, Eric Martineau tranche au milieu de ses 12 hectares de pommiers. « Il faut bousculer les habitudes, » plaisante cet homme de 56 ans, qui a passé son enfance dans la ferme familiale de Chenu, un petit village de la Sarthe. Depuis 2022, il insuffle un ton original à l’Assemblée nationale. « Je voulais m’investir là-bas parce que je pense avoir une perspective unique à apporter, » explique-t-il, affilié au MoDem.
Avec son arrivée au Palais Bourbon, il ose monter à la tribune pour dénoncer les défis liés aux prix agricoles. « À l’époque, on me disait : ‘Pourquoi parler de ça ?’ Ce n’était pas d’actualité, » se souvient-il. Il a toutefois fait face à des années éprouvantes où les caprices climatiques anéantissaient sa récolte et ses gains.
« En un mois, mon salaire de député [5 957 euros nets] correspondait à ce que je gagnais en un an durant une mauvaise saison. »
Eric Martineau, Député et agriculteurà 42mag.fr
Avec les manifestations paysannes de fin 2023 et début 2024, Eric Martineau fait preuve de sa double expertise agricole et parlementaire. Quand les tracteurs occupent les routes, il choisit de rester à Paris. « Je pouvais bien poser en photo sur un tracteur comme certains de mes pairs, mais mon impact était plus grand au sein de l’Assemblée, discutant avec Marc Fesneau, » confie-t-il. Le ministre de l’Agriculture de l’époque, aussi du MoDem, est l’un de ses guides. Eric ne manque pas d’évoquer ses préoccupations de vive voix avec lui.
Monsieur Martineau a une connaissance intime des défis agricoles. Ayant souvent participé à des blocages routiers en passant par la FNSEA, il se sent proche du syndicat, même aujourd’hui. « Si le gouvernement ne dialogue pas avec le syndicat dominant, c’est problématique, » précise-t-il. Il met un point d’honneur à intervenir en tant qu’agriculteur dans les débats nationaux. Fort de ses expériences concrètes, le député savoure les moments où il remet à leur place « les politiques déconnectés et les écologistes de bureau qui n’ont jamais touché la terre. »
« Quand je m’exprime, c’est indiscutable. Il n’y a aucune réplique. »
Eric Martineau, Député et agriculteurà 42mag.fr
Quant aux discours trop simplistes sur l’agriculture biologique, Eric Martineau n’y adhère pas. Sa ferme est passée à 95 % en bio, mais il conserve quelques parcelles en conventionnel pour garantir une récolte annuelle. « Quand certains affirment que le bio est idéal, je leur remets les pieds sur terre », assure-t-il. Ses années passées dans les pommiers sont devenues un atout politique dans un groupe parlementaire peu versé dans la ruralité.
Sa légitimité se manifeste lors des discussions sur les orientations agricoles, où il sait s’éloigner des directives de groupe, au besoin. Malgré sa frustration lorsqu’un projet monté pour les agriculteurs s’effondre après la dissolution par Emmanuel Macron, il reste ferme. « Tout s’est écroulé, y compris notre labeur pour les agriculteurs, » fulmine-t-il. Avec deux ans et demi en tant que législateur, il s’aperçoit des limites liées à son poste : « Il ne faut pas attendre tout du politique. » Ex-dirigeant d’une association de producteurs, il clame pour des rassemblements solides. « Désunis, les supermarchés choisissent le moins coûteux. Unis, on est plus forts, » énonce-t-il devant ses pommes rangées avec soin.
Marie-José Allemand, éleveuse et députée PS des Hautes-Alpes : « Ma vie personnelle s’efface »
Délestée de ses escarpins citadins, Marie-José Allemand arbore des baskets usées. Au sommet de Gap, la députée retrouve ses brebis avec affection mais aussi une pointe de tristesse. « Les moutons me manquent, » avoue cette éleveuse de 55 ans. Depuis sa victoire en 2024, elle confie le quotidien de sa ferme à son mari et son fils, ne pouvant plus y consacrer autant de temps qu’avant.
Les retrouvailles sont réconfortantes, mais le moral est en berne. Avec fébrilité, elle constate le manque de bétail. L’épidémie de fièvre catarrhale a sévèrement touché l’élevage, un problème qui touche l’ensemble de la France et qu’elle est désormais en position de porter au parlement. « C’est un honneur, » insiste-t-elle.
« Je ne suis pas une ‘députée atypique’, contrairement à ce que certains pensent. Ma présence au parlement est légitime, c’est l’aboutissement d’un long engagement. »
Marie-José Allemand, Députée et éleveuseà 42mag.fr
Elle débute sa carrière militante au début des années 90, avec la mise en place du Label rouge pour l’agneau de Sisteron. « À l’époque, on se moquait de nous, » se rappelle-t-elle. Ce label lui permet de vendre ses agneaux à un prix majoré d’un euro par kilo et représente surtout « la reconnaissance de notre travail » comme elle aime le répéter, après avoir remporté une médaille au Concours général agricole 2024.
La reconnaissance n’a cependant pas atténué sa colère lors des manifestations agricoles. Marie-José a manifesté sur un rond-point près de l’A51, déclarant : « J’étais parmi les autres agriculteurs, on en avait assez. » C’est avec sa tricolore écharpe que sa vie prend une direction différente mais intense : « Ma vie personnelle s’est volatilisée. »
« L’administratif est un fardeau colossal, il consume notre temps. »
Marie-José Allemand, Députée et éleveuseà 42mag.fr
En semaine à Paris, elle se bat pour « les territoires ruraux » contre ce qu’elle dépeint comme des discours creux sur l’agriculture. Pourtant, les clivages politiques s’interposent, comme lors du rejet brutal de son amendement budgétaire sur les exploitations. « Je défends une agriculture qui dépasse les lignes partisanes, » affirme-t-elle. Les week-ends sont consacrés à sa terre natale, alliée à des rencontres syndicales : utile dans les tensions, mais sa position est scrutée, surtout après la sanction contre le gouvernement Barnier, qu’elle a soutenue.
Elle reste confrontée aux périls de l’élevage, notamment le loup, une menace constante. « Un jour, 68 de nos bêtes ont été perdues, » dit-elle, les yeux humides. Alors, en entendant d’autres élus minimiser cette menace, une douleur la traverse : « Peu savent la gravité de la situation. »
Eric Liégeon, éleveur et député LR du Doubs: « La capitale n’était pas mon souhait »
« Avec mes veaux, tout va bien, » assure Eric Liégeon en souriant, au milieu de son exploitation laitière. Belles bottes aux pieds, il est fier de ses installations modernes, implantées dans de nouveaux bâtiments en bois avec énergie renouvelable. « C’est bon tant pour nous que pour eux, » commente-t-il.
Après quatre décennies à la ferme, Eric Liégeon a levé un peu le pied. Pas pour la retraite, mais pour devenir député LR du Doubs, après le départ d’Annie Genevard, propulsée ministre de l’Agriculture par Barnier, puis Bayrou.
« Le symbole qu’un suppléant agriculteur devienne député était fort. »
Eric Liégeon, Député et éleveurà 42mag.fr
Un changement de cap radical. « En tant que suppléant, on reste en coulisses, » précise-t-il. Suivant Annie Genevard, discret mais constant, il n’a rien vu venir jusqu’à septembre. « Tout a basculé ce jour où mon fils m’a informé de la nomination de Barnier, » dit-il. « Je compris alors que ma quiétude serait bientôt troublée. »
Avec des doutes sur sa nouvelle vie parisienne, Eric Liégeon n’a pu ignorer les indications de son entourage. « Prépare ta valise ! » le conseillait-on. Lorsque Genevard l’informe de son passage au gouvernement, son engagement lui dicte de poursuivre.
Ainsi, Eric se retrouve à Paris, devant équiper la ferme de nouveaux responsables. « Mes fils blaguaient souvent sur l’importance de mon travail, » rit-il. Une employée est embauchée rapidement. A l’Assemblée, il se montre prudent, surtout en commission des affaires culturelles où il est moins à l’aise.
« Je prends le temps de comprendre avant d’agir. »
Eric Liégeon, Député et éleveurà 42mag.fr
L’ancien militant syndical fait rapidement sa place grâce à son expertise en agriculture. Présent lors d’une session avec Emmanuel Besnier de Lactalis, il l’interroge sur la baisse de collecte laitière en France. « Ça me concernait, ça affectait les éleveurs locaux, » souligne-t-il.
Les collègues lui demandent souvent d’intercéder auprès de la ministre, et il profite d’une oreille attentive. Cependant, il garde un équilibre prudent avec les divers syndicats. « Si les mesures n’aboutissent pas dans les fermes, je suis attendu au tournant, » reconnaît-il.
En peu de temps, Eric Liégeon se félicite de voir l’agriculture en tête des priorités gouvernementales. La question des contrôles de l’OFB, critiquée jusqu’au sommet de l’État par Bayrou, résonne aussi avec son vécu. Trop de régulations, trop de pressions : « On craint de faire le moindre geste, » s’offusque-t-il. Les préoccupations semblent prises au sérieux.