Le courant de la gauche radicale souhaite répondre à cette offensive lancée par le parti conservateur en mettant en avant, particulièrement au cours de cette commission parlementaire, les connexions présumées entre Nicolas Sarkozy et le régime libyen dirigé par Mouammar Kadhafi.
Il s’agit d’une attaque directe envers La France insoumise (LFI). Le groupe LR à l’Assemblée nationale, dirigé par Laurent Wauquiez — qui a essuyé une défaite nette face à Bruno Retailleau pour prendre la tête du parti dimanche dernier — a officiellement demandé, vendredi 16 mai, la mise en place d’une commission d’enquête portant sur « les liens éventuels entre certains représentants politiques et des structures ou réseaux soutenant l’action terroriste ou diffusant une idéologie islamiste ». À moins d’un retournement de situation, cette demande devrait être validée mercredi 28 mai par la commission des lois.
Au premier abord, le titre choisi pour cette commission ne cible pas explicitement LFI. Rappelons qu’une commission d’enquête permet aux parlementaires de collecter des informations et d’interroger des personnes au sujet de faits spécifiques. Une désignation trop ouverte ou trop dirigée contre un parti aurait pu entraîner un rejet de la requête.
Cependant, les députés de droite visent clairement le parti de gauche radicale. Dans la proposition de résolution visant à créer la commission, Laurent Wauquiez affirme : « Chaque jour, un faisceau d’indices semble démontrer des complicités et un soutien actif entre certains élus, principalement issus de La France insoumise, et des groupements islamistes, voire terroristes ». Le nom « La France insoumise » est mentionné à sept reprises dans le document introductif de cette commission.
Louis Boyard, Rima Hassan et Raphaël Arnault dans la ligne de mire
Le président du groupe LR à l’Assemblée détaille plusieurs accusations contre les membres de LFI. Il rappelle notamment la participation des insoumis à la signature en 2019 « d’un appel à une ‘marche contre l’islamophobie’, initié notamment par le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) ». Il ajoute que plus récemment, d’autres manifestations ont rassemblé des membres de La France insoumise et des personnalités de la mouvance islamiste.
Louis Boyard, député LFI du Val-de-Marne, est aussi concerné : il est critiqué pour avoir présenté une liste aux élections municipales partielles de Villeneuve-Saint-Georges sur laquelle figurait un colistier accusé de soutenir publiquement le Hamas. En effet, Mohammed Ben Yakhlef avait qualifié sur Twitter le Hamas de « résistance palestinienne » répondant au « terrorisme d’État » israélien, faisant référence aux attentats du 7 octobre dernier.
Par ailleurs, Laurent Wauquiez interpelle : « Que faisait Rima Hassan en Jordanie, lors d’un rassemblement en faveur du Hamas ? Quel rôle jouait Raphaël Arnault, fiché S, quand il a accueilli à l’Assemblée nationale des membres du CCIE, dérivé du CCIF interdit en France après le meurtre de Samuel Paty ? ». Il cible aussi le leader de LFI, Jean-Luc Mélenchon, en prétendant que son antisémitisme est « affirmé ouvertement », selon les termes employés par Wauquiez dans une interview au JDD début mai.
Ces accusations violentes ne sont pas une nouveauté, mais avec les récentes déclarations de Laurent Wauquiez, elles prennent une ampleur sans précédent. Le président du groupe LR à l’Assemblée a même déclaré au JDD : « Trop de faits convergent pour nier une complicité entre LFI et certains réseaux islamistes (…) Il est urgent de les exclure des cadres républicains et de les écarter du débat démocratique ».
Une commission d’enquête jugée « lunaire » par LFI
Suite à l’annonce de cette commission d’enquête, La France insoumise a réagi rapidement de deux manières. D’abord, sur BFMTV dimanche 11 mai, Manuel Bompard, coordinateur du mouvement, a dénoncé face à Laurent Wauquiez ses « fantasmes » ainsi que ses « attaques grotesques ». Puis, lors d’un entretien avec 42mag.fr, le député LFI Pierre-Yves Cadalen a qualifié la demande d’une commission d’enquête « lunaire », soulignant à quel point ces outils parlementaires reflètent souvent les priorités partisanes des groupes qui les instaurent. Selon lui, « c’est surtout une démarche très politicienne », comme le confirme aussi Benjamin Morel, constitutionnaliste et auteur de Le Parlement, temple de la République.
Pierre-Yves Cadalen ajoute que cette commission représenterait selon lui « une perte de temps », puisqu’il nie catégoriquement l’existence de liens entre son mouvement et l’islamisme.
« C’est très étrange… Ils vont tourner en rond. »
Pierre-Yves Cadalen, député LFI du Finistèreinterview pour 42mag.fr
Par ailleurs, les insoumis souhaitent inverser le discours des Républicains au sujet des supposés contacts entre partis politiques et réseaux religieux extrémistes. Ainsi, Manuel Bompard a ironisé sur BFMTV en disant : « Si une commission doit être créée sur les connexions avec des réseaux extrémistes religieux, qu’ils la fassent d’abord au sein de leur propre famille politique ». Contacté par 42mag.fr, un cadre LFI précise qu’ils pourraient évoquer « les liens entre Nicolas Sarkozy et la Libye de [Mouammar] Kadhafi », thème central du procès lié aux allégations de financement libyen de la campagne présidentielle de Sarkozy en 2007.
Quoi qu’il en soit, La France insoumise pourra prendre part aux travaux de la commission et potentiellement contrecarrer les orientations souhaitées par les Républicains. En effet, le règlement de l’Assemblée nationale impose que la composition du bureau de toute commission tente de refléter l’équilibre politique de la chambre et assure la représentation de toutes les forces présentes. Comme LFI compte 71 députés, soit plus que les 48 représentants LR, et bénéficie également du soutien de partenaires de gauche hostiles à cette enquête, la droite risque de se retrouver en infériorité sur plusieurs points lors des débats dans cette instance. Benjamin Morel parle même de « syndrome de l’arroseur arrosé ».