Cette formule est fréquemment utilisée par les secteurs les plus extrémistes de l’extrême droite, en particulier par certains petits groupes affiliés ou proches du Rassemblement National. Le principal suspect dans l’attaque survenue à Puget-sur-Argens emploie des expressions caractéristiques de ce courant radical, lequel favorise ce que l’on appelle la stratégie du chaos, comme le souligne le sociologue Erwan Lecœur.
Le principal suspect dans l’affaire du meurtre d’Hichem Miraoui a utilisé cette phrase dans l’une de ses vidéos à caractère raciste, où il revendique l’attaque. « Votez bien la prochaine fois », lance-t-il, avant d’enchaîner avec une série d’invectives dirigées contre les populations maghrébines. Cette expression se retrouve fréquemment dans de nombreuses publications d’internautes sur les réseaux sociaux, notamment dans les commentaires sous divers articles.
Selon Erwan Lecœur, sociologue spécialisé dans l’extrême droite, « ‘Votez bien’ est en quelque sorte l’équivalent du slogan ‘on est chez nous’, il sert à se reconnaître entre membres d’un même groupe ». Cette phrase illustre une fois de plus le phénomène dit de « dog whistling », une méthode consistant à transmettre des messages politiques codés à ses partisans sans provoquer un tollé. « Pendant longtemps, ces propos racistes ou antisémites n’étaient pas exprimés ouvertement dans l’espace public car ils pouvaient être sanctionnés par la loi ou jugés moralement et politiquement inadmissibles, précise-t-il. Face à cela, pour diffuser leurs idées auprès de leurs adeptes, ces individus ont recours à des formulations légèrement voilées qui laissent entendre : ‘Nous savons exactement de qui il est question’ ».
« L’idée de soutenir le Rassemblement national au vote commence réellement à prendre pied, même dans la ‘fachosphère’ où, historiquement, on privilégiait plutôt l’action directe plutôt que le vote. »
Erwan Lecœur, expert en extrême droiteà 42mag.fr
Ce spécialiste rappelle que le but principal des réseaux radicaux, tels que la fachosphère et les groupuscules extrémistes, « est d’instaurer le chaos, en vue d’une victoire qui pourrait intervenir soit via une guerre civile ou raciale, soit par un succès électoral. Dans les deux cas, il faut alimenter le désordre, par des actes semblables à celui qui s’est produit récemment » à Puget-sur-Argens. Ces passages à l’acte à caractère raciste ne sont pas isolés ces dernières années, notamment envers les musulmans.
Le suspect du meurtre d’Hichem Miraoui « s’inscrit clairement dans une continuité qui va d’Anders Breivik à Christchurch, ainsi qu’à d’autres meurtres néonazis perpétrés récemment, rapporte Erwan Lecœur. Son témoignage ne prête à aucune confusion ». Il incarne une « minorité très engagée, qui bouleverse les codes, communique en circuit fermé et donne l’impression d’être toute-puissante ».
L’impact de l’« effet Zemmour »
Entre la fin de l’année 2022 et le début de 2024, autour des élections présidentielles et européennes, une idée progresse au sein de l’extrême droite : le vote est une voie envisageable pour atteindre leurs objectifs. « Cela signifierait que ceux qui étaient auparavant marginalisés pourraient demain devenir majoritaires, analyse le sociologue. Ces individus estiment être réduits au silence, pensent que les lois contre le racisme jouent contre eux, et considèrent qu’un système les empêche d’accéder au pouvoir alors qu’ils représentent le peuple. Une victoire électorale serait donc la preuve qu’ils ne sont pas une minorité et qu’ils ont raison. »
« ‘Votez bien’ est désormais un mème, un slogan adopté par cette mouvance radicale. »
Erwan Lecœur, spécialiste de l’extrême droiteà 42mag.fr
La présidentielle de 2022 est d’ailleurs perçue comme un tournant majeur. « Marine Le Pen atteint 40 % au second tour, mais ce qui est surtout important, c’est ce que j’appelle l’effet Zemmour : Marine Le Pen est ainsi confrontée à droite à un candidat encore plus radical qu’elle, ce qui a pour effet de la normaliser, voire de la présidentialiser ».
Un triomphe électoral ouvrirait également la porte aux éléments les plus extrémistes de l’extrême droite pour accéder au pouvoir. « Il est maintenant avéré que certains députés du RN recrutent des individus issus de groupes radicaux, souvent des jeunes formés dans ces milieux, que ce soit dans L’Action française ou dans d’autres formations identitaires, poursuit Erwan Lecœur. Ces personnes deviennent assistants parlementaires et ainsi accèdent progressivement à des postes de commande. »