La large mobilisation réclamant la suppression de la loi Duplomb, qui a rassemblé plus de 1,7 million de signatures, suscite des interrogations tant au sein du gouvernement que parmi les parlementaires centriste et de droite. Les élus qui s’étaient opposés à ce texte nourrissent l’espoir que cette dynamique incitera leur camp à prendre davantage en main les questions liées à l’environnement.
Le « terrain commun » entre le centre et la droite semble avoir trouvé son feuilleton estival, mettant à rude épreuve cet assemblage politique disparate sous la pression de points de vue opposés voire antinomiques. Alors qu’une pétition a recueilli plus de 1,7 million de signatures au 23 juillet, demandant le retrait de la loi Duplomb concernant l’agriculture, le gouvernement et ses alliés au Parlement sont partagés quant à la manière de traiter cette seconde pétition en ligne la plus plébiscitée en France, juste derrière les 2,32 millions de soutiens à « L’Affaire du siècle » contre l’inaction climatique de l’État.
Faut-il soutenir cette pétition ? La rejeter ? Ou bien tenter une voie médiane pour prendre en compte la contestation sans pour autant ouvrir la porte à une abrogation de la loi ? Mardi matin, Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, a insisté avec force : la position du gouvernement est « claire ». « Une proposition de loi a été soutenue par l’exécutif. Il n’est pas question de multiplier les avis personnels en permanence », a-t-elle déclaré sur 42mag.fr.
« Quand on fait partie d’un gouvernement, il faut accepter la solidarité quant aux décisions prises, sinon on crée de la confusion. »
Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommessur 42mag.fr
Dans la pratique, la ligne officielle du gouvernement s’avère plus complexe, comme en attestent les récentes interventions d’Agnès Pannier-Runacher et d’Annie Genevard, ministres respectivement de la Transition écologique et de l’Agriculture. La première, qui exprime des réserves sur certains aspects de la loi Duplomb, a demandé lundi soir sur le réseau social X que « l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire) soit sollicitée pour donner son avis sur les exceptions prévues par la loi ». Cette demande est appuyée par Gabriel Attal, chef de file du parti et du groupe parlementaire Ensemble pour la République (anciennement Renaissance).
Quant à Annie Genevard, favorable au texte, elle a rappelé sur le même réseau que « les parlementaires ont adopté une version très encadrée », définitivement entérinée le 8 juillet. Même si « l’organisation d’un débat » devient possible dès lors qu’une pétition dépasse les 500 000 signatures sur le site de l’Assemblée nationale, et que « le gouvernement se tient bien évidemment prêt à y participer », la ministre membre des Républicains n’a toutefois pas souhaité encourager la tenue de ce débat.
« Désinformation » et « vitalité démocratique » au cœur des débats
Pour l’instant, le point de convergence minimal entre le centre et la droite consiste à reconnaître le succès remarquable de cette pétition. « Je perçois prioritairement cette mobilisation comme un signal de bonne santé de notre démocratie », a ainsi estimé Agnès Pannier-Runacher. « Cette pétition (…) reflète un attachement aux questions environnementales et sanitaires que je partage pleinement », a indiqué Annie Genevard. Elle montre également que les citoyens français sont attentifs à la nature de leur alimentation, ce dont je me réjouis. »
Cependant, les divergences sont bien marquées au sein de l’exécutif, notamment sur la liberté d’appréciation des 1,7 million de signataires. « Face à une désinformation massive et à une instrumentalisation, il est compréhensible que de nombreux Français soient inquiets. Ils ont entendu matin, midi et soir des messages affirmant que des parlementaires planifiaient d’exposer nos enfants à des risques de contamination et de cancer », a déploré Aurore Bergé. Cette critique rejoint celles de Laurent Duplomb, sénateur LR à l’origine de la loi, ainsi que de François-Xavier Bellamy, eurodéputé vice-président des Républicains. Cette analyse contraste avec celle d’Agnès Pannier-Runacher, qui perçoit dans ce mouvement la preuve d’un « attachement aux enjeux écologiques et sanitaires environnementaux », des sujets qu’elle considère prioritaires.
Si la position gouvernementale n’est donc pas aussi « limpide » qu’assurée par Aurore Bergé, il en va de même pour les députés soutenant François Bayrou et ses ministres. Une large majorité des 157 députés du camp présidentiel – incluant EPR, MoDem et Horizons – présents lors du vote le 8 juillet ont validé le texte, mais on compte tout de même 26 votes contre et 15 abstentions. À droite, en revanche, la cohésion a prévalu, avec 47 députés sur 48 votant pour la loi.
Les centristes opposés, bien qu’étant minoritaires, espèrent que cette dynamique populaire relance les anciennes promesses de la majorité précédente en matière écologique, un sujet sur lequel Emmanuel Macron avait mis l’accent dans sa campagne contre Marine Le Pen en 2022. « Cette mobilisation ne peut pas être ignorée », a estimé le député Pieyre-Alexandre Anglade. « Peut-être est-ce la goutte d’eau qui fait déborder le vase », pense son confrère Guillaume Gouffier Valente, qui a « très mal vécu » le vote de la loi Duplomb, qu’il qualifie de « recul ».
« Cela pourrait provoquer un réveil écologique parmi certains, ainsi qu’une prise de conscience de la nécessité de se mobiliser. Le citoyen se réveille puissamment, et cette expression démocratique est essentielle. »
Guillaume Gouffier Valente, député du Val-de-Marneà 42mag.fr
Selon cette frange du camp présidentiel, le « vase » s’était déjà largement rempli ces derniers mois, au gré de décisions législatives remettant en cause plusieurs dispositifs environnementaux. Fin mai, l’Assemblée a par exemple voté la suppression des zones à faibles émissions (ZFE), qui limitaient la circulation des voitures les plus polluantes. Face à la gauche et à une partie du centre, la droite et le Rassemblement national ont également fortement affaibli le mécanisme de « zéro artificialisation nette » (ZAN). « Il est indispensable de ne pas dissocier le vote de la loi Duplomb des autres reculs écologiques », souligne Guillaume Gouffier Valente. « Le débat va s’intensifier, alimenté par une forte mobilisation citoyenne. »
Vers une absence de vote avant l’automne ?
Pour le moment, le centre-droit ne prévoit pas d’aborder ce dossier dans les semaines qui viennent, faute de session parlementaire. Par ailleurs, le Conseil constitutionnel, saisi par la gauche sur plusieurs articles de la loi, doit rendre une décision avant le 11 août. Si ces dispositions sont validées par les Sages et promulguées par Emmanuel Macron, un débat en réponse à la pétition pourrait être organisé avant l’automne. Mais cette décision reviendra à la conférence des présidents de l’Assemblée nationale à la mi-septembre. Quoi qu’il arrive, cet échange dans l’hémicycle ne donnera pas lieu à un vote.
Pour que leur contestation porte vraiment ses fruits, les opposants à la loi Duplomb devront patienter jusqu’aux « niches parlementaires » des groupes d’opposition, ces journées où les députés fixent librement leur agenda. Celle de La France insoumise est programmée le 27 novembre et pourrait déclencher une nouvelle confrontation entre camps adverses.
Une autre option serait qu’après l’avis du Conseil constitutionnel, le président de la République invite le Parlement à se prononcer de nouveau sur cette loi, à la demande des oppositions. En vertu de l’article 10 de la Constitution, cette procédure est possible. Toutefois, les intentions du chef de l’État restent inconnues. Si Emmanuel Macron choisissait d’utiliser cette prérogative, cela ajouterait sans nul doute un nouveau chapitre à cette saga politique estivale.