Juste avant le vote de confiance qui, à l’Assemblée nationale, va trancher du sort de François Bayrou et de son cabinet, les célèbres « boomers » prennent la parole à leur tour, après avoir été pointés du doigt par le Premier ministre, qui les accuse d’avoir profité des Trente Glorieuses et de vivre aujourd’hui dans le confort alors que la dette française s’envole.
C’était un après-midi festif et musical au Molay-Littry, une petite commune du Calvados comptant un peu plus de 3 000 résidents et nichée dans la campagne normande. L’ambiance prend de l’ampleur dans la salle des fêtes, qui organise son fameux « thé dansant ». Comme d’habitude, les retraités répondent présents: 192 inscriptions pour réchauffer la piste sur un chacha, une java ou un twist. On y croise des profils très différents, des pensionnés modestes ou plus nantifs, tous animés par le même désir de se déhancher. Vue de l’extérieur, la crise politique semble bien lointaine.
Dans la file d’attente, Marie-Henriette, 90 ans, a revêtu sa robe la plus élégante. Avant d’entrer dans le tempo du slow, elle a quelques mots à adresser au gouvernement: « Il faut tout changer ! Ça fait cinquante ans que c’est la même chose ». Elle rappelle aussi le montant de sa pension: 690 euros. Les efforts soutenus par François Bayrou, pour son plan de désendettement, laissent sur sa faim car ils « concernent aussi les retraités », dit-elle, criant au passage que « ce sont toujours les mêmes ! Qu’ils commencent par eux ! ». Elle évoque une élite politique qui, selon elle, devrait aussi tailler dans ses dépenses.
Les « boomers » accusés de vivre dans le confort
Un peu plus loin, Renata cherche un cavalier pour le tout premier pas de paso doble. Elle préfère ne pas révéler son âge, mais avoue être une enfant du baby-boom. Elle appartient à ces « boomers », ce terme souvent péjoratif désignant celles et ceux nés après la Seconde Guerre mondiale qui ont profité des Trente Glorieuses. Quand François Bayrou les accuse de vivre dans le « confort » et de « croire que tout va bien », Renata ne se sent pas directement visée. Elle estime percevoir une retraite modeste après une carrière dans le commerce du prêt-à-porter: « On entend dire que les personnes âgées ont de belles voitures et possèdent leur maison. Ce n’est pas vrai pour tout le monde. Je vis dans un HLM ». Si elle se définit comme boomeuse, elle demeure locataire. Son message pour Bayrou est simple et direct: « qu’il s’intéresse vraiment aux petites gens ».
Pendant ce temps, Pascal, 66 ans, retraité, s’adonne sans relâche à la danse sur le twist ou la country. Un peu plus loin, Pascaline, 71 ans, attend qu’un partenaire se manifeste. Les deux retraités s’irritent dès que l’on prononce le nom de François Bayrou. « Je ne peux pas le supporter », lâche Pascaline. Elle préférerait que les économies servent des personnes vraiment aisées et souhaiterait que les anciens Premiers ministres cessent de bénéficier d’avantages coûteux. Pascal, de son côté, regroupe tout le monde dans le même sac: « Ce sont des rigolos, ces politiques ». Toutefois, il déplore le gouffre qui s’est creusé entre électeurs et élus: « Ils ne savent plus ce qu’est la vie réelle des gens ». Sa situation se résume ainsi : « On survit, mais comme la maison est payée, qu’on a un jardin et des poules… » Il esquisse un sourire et ajoute: « Le seul plaisir, c’est la danse. ».
Participer à l’effort de réduction de la dette ?
Charles, 86 ans, tourne sans relâche sur la piste depuis plus d’une heure. Il se présente comme un retraité relativement privilégié, avec une pension de « 3 000 euros ». De son côté, Annick, 80 ans, bénéficiant de plus de 2 000 euros de retraite, confie: « J’ai même honte d’être payée autant pour ne rien faire ». Charles et Annick partagent toutefois une même opinion: lorsque le Premier ministre sollicite les retraités pour contribuer à l’effort de réduction de la dette, par exemple en n’anticipant pas une revalorisation des pensions annoncée pour 2026, ils accueillent l’idée sans broncher. « Ça ne me gêne pas », affirme Annick, car financièrement elle se dit « à l’aise ». Charles ajoute aussi: « Pourquoi pas ! Moi, j’ai une bonne retraite et j’ai de la chance. »
Le musicien-chanteur ralentit alors le tempo. C’est l’instant du slow, et Marie-Henriette n’a pas oublié sa promesse. Pilotant le micro, elle tient son engagement, tout en restant bienveillante. Puisqu’on est sur le plancher, bon nombre de ces danseurs retraités partagent aussi leur secret: « Danser ! Danser ! Pour tout oublier ».