Ce lundi, le chef de l’exécutif doit affronter un vote de confiance des députés, un scrutin dont l’issue pourrait s’avérer fatale pour lui. Franceinfo retrace ces 269 jours passés à Matignon, décrits comme un enfer, en les décomposant en quatre temps forts, au fil des motions de censure et de l’affaire Bétharram.
Bien qu’il puisse évoquer Richard Gere par quelque ressemblance, c’est surtout Tom Cruise qu’on appelle à la rescousse avant de dérouler les 269 jours de François Bayrou comme Premier ministre. Le défi insensé que le centristе a accepté consiste à instaurer une stabilité politique aussi durable que possible, malgré l’équation délicate née des élections législatives anticipées de l’été 2024 qui n’ont donné lieu à aucune majorité nette à l’Assemblée nationale pour gouverner. Une mission qui risquera fort d’échouer si le chef du gouvernement est renversé à l’issue du vote de confiance qu’il avait lui-même convoqué, lundi 8 septembre.
À moins que les députés du Parti socialiste ou du Rassemblement national ne renoncent au veto à la dernière minute, l’issue semble la plus plausible. Était-ce une voie bloquée d’emblée, ou le candidat du MoDem s’est-il trompé au fil des semaines ? Quelle empreinte restera-t-il de l’action de ce Palois ? Franceinfo propose une revenir sur ses huit mois et vingt-six jours passés dans l’« enfer » de Matignon.
Des débuts hésitants d’un Premier ministre qui s’est imposé
13 décembre 2024. Moins de deux semaines avant Noël, la réalité donne à François Bayrou un petit cadeau inattendu: le pouvoir. Pas exactement celui qu’il espérait à l’Elysée, mais Matignon. Un acte qu’il a dû s’imposer pour contrer Emmanuel Macron et obtenir, pour remplacer Michel Barnier, le poste convoité après la purge budgétaire. Le président de la République envisage même Sébastien Lecornu, ministre des Armées, pour remplacer Barnier. Bayrou, qui menace de quitter le camp présidentiel et d’accentuer la crise, obtient gain de cause. À 73 ans, il devient le 28e Premier ministre de la Ve République, consacrant ainsi une carrière centriste sur le tard et jusqu’alors entière.
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« Enfin, les ennuis démarrent. » Telle est la formule, empruntée à François Mitterrand, qu’il lâche en entrant à Matignon, selon le récit confié à 42mag.fr par Marc Fesneau, l’un de ses proches. « Cela donne l’état d’esprit dans lequel Bayrou rentre à Matignon. On se réunit le soir. On ne fait pas la fête, mais ce n’est pas une fête non plus », se rappelle le président du groupe MoDem à l’Assemblée nationale.
« Immédiatement, s’impose la question: comment faire tenir, comment la faire durer, et comment faire fonctionner le tout. Donc il n’y a pas d’euphorie. »
Marc Fesneau, président du groupe MoDem à l’Assemblée nationaleà 42mag.fr
À peine trois jours après sa prise de fonction, le nouveau chef du gouvernement commet une première bavure communicationnelle: il participe par visioconférence à une cellule de crise interministérielle sur l’ouragan ayant frappé Mayotte, puis se rend au conseil municipal de Pau, sa ville dont il reste maire. En Mayotte, les habitants s’indignent, et les oppositions de gauche ironisent sur un Premier ministre « à mi-temps ». Yael Braun-Pivet, présidente LREM de l’Assemblée nationale, le somme même de revenir: « J’aurais préféré que le Premier ministre, au lieu de prendre l’avion pour Pau, prenne celui pour Mamoudzou », affirme-t-elle.
Le socle commun se met à douter. Car les débuts du nouveau Premier ministre à l’Assemblée nationale, qu’il n’avait pas fréquentée depuis longtemps, se révèlent laborieux. Que ce soit lors des questions au gouvernement ou lors de sa déclaration de politique générale, il perd le fil de son discours et dépareille ses feuilles.
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« Dès le premier discours, ce fut une énorme déception et une stupeur », se rappelle le député Emmanuel Maurel, apparenté au groupe communiste, qui appréciait pourtant en Bayrou « quelqu’un d’expérimenté, avec une sensibilité littéraire ». « Je m’attendais à un autre niveau pour quelqu’un qui vise la fonction suprême depuis des années », lâche-t-il.
Marc Fesneau plaide la différence de code. « Ce que les gens n’avaient pas encore vu, c’est que François Bayrou incarne aussi un style qui ne suit pas le rythme de la vie politique actuelle, désormais marquée par l’activisme, la précipitation, voire l’agitations », avance-t-il. Il a choisi de rappeler que le travail du Premier ministre ne se réduit pas à de la communication en guise d’action principale. »
Il échappe à la censure, mais « sait que c’est un sursis »
5 février. François Bayrou exprime son soulagement dans l’hémicycle: il a échappé à deux motions de censure déposées par La France insoumise, conséquences des deux articles 49.3 qu’il a utilisés pour faire adopter la loi de finances pour 2025 et le budget de la sécurité sociale sans vote des députés. Le centriste bénéficie de la neutralité du RN, mais surtout de celle du PS, après des négociations acharnées jusqu’au dernier moment. Malgré un début mouvementé, il franchit sa première épreuve politique.
« Je suis rassurée en tant que parlementaire », témoigne la députée macroniste Prisca Thévenot. « La France a un budget et le gouvernement n’est pas tombé. François Bayrou a réussi sa première mission. Il faut se souvenir d’où l’on vient: dix jours avant Noël, il n’y avait ni budget ni gouvernement. » Dans l’entourage du locataire de Matignon, on reste posé. « Il ne triomphe pas, parce qu’il sait que c’est un sursis », insiste Marc Fesneau.
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C’est l’épilogue du bras de fer engagé autour des questions budgétaires: le 11 février, Paul Vannier, député LFI et corapporteur de la commission, interroge Bayrou sur ce que lui sait des violences à Bétharram. « Je pense qu’il n’avait pas du tout anticipé la querelle », décrit Marc Fesneau. « Il est d’un tempérament très direct: ‘Tu m’attaques, je réponds.’ Cela déclenche la polémique. »
Blessure personnelle et rupture politique
De dénégations en précisions ambiguës, le maire de Pau demeure deux mois et demi sous l’œil des enquêtes et des articles, avec des témoignages contrariant sa version évolutive des faits. « C’est un épisode qui a saturé une grande partie du travail, et entravé son action », regrette Marc Fesneau.
Mais, selon les proches de Bayrou, cet épisode constitue aussi une blessure intime et marque un tournant. Sa fille évoque des violences physiques et des humiliations vécues pendant des camps de vacances, sans jamais avoir confié ces détails à son père. « Lui n’a jamais craint d’être une cible politique », estime Marc Fesneau. « Mais il croyait sa famille épargnée et intouchable; là, c’était touché, et très violemment touché. »
Ce scandale contribue enfin à un éloignement avec le Parti socialiste. Bayrou affirme que la manière dont les socialistes ont agi sur Bétharram est « dégoûtante », selon l’expression du président du groupe MoDem, évoquant une question directe d’une députée PS lors d’un débat. Le Béarnais outrepassera alors les limites en s’en prenant violemment à Olivier Faure lors d’un échange parlementaire, ce qui agace les députés socialistes. Le premier signe d’un rendez-vous manqué avec les socialistes ? « Je pense que c’est surtout l’épisode d’un rendez-vous manqué avec lui-même », ironise Arthur Delaporte, député PS du Calvados. « Il a été médiocre du début à la fin, solitaire dans l’exercice du pouvoir, pétri de certitudes. Sa chute vient de lui-même. »
« Aller jusqu’au bout » sur la rigueur budgétaire
15 juillet. Le visage grave, François Bayrou attire l’attention sur l’état des déficits publics lors d’une conférence de presse où il expose ses orientations pour le budget 2026. Pour « sortir du piège mortel de la dette et du déficit », il propose près de 44 milliards d’euros d’économies, notamment par la suppression de deux jours fériés ou encore une année blanche en matière de dépenses publiques.
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Face à ces mesures audacieuses, Bayrou tranche sans demi-mesure afin de démontrer que son bras ne tremble pas lorsque les décisions s’imposent. « Il est toutefois contrarié par l’échec du conclave sur les retraites; il sentait monter l’idée: ‘Il ne dit rien, il bavarde sans avancer’, décode Marc Fesneau. Alors il se présente au budget en affirmant: ‘J’irai jusqu’au bout de ce que je crois, et de ce que les autres pensent qu’il faut que je fasse autrement’.
La réaction des oppositions est immédiate. « Il faut faire partir Bayrou. C’est pire que prévu », tonne sans surprise l’insoumis Eric Coquerel. Le PS semble peu réceptif: « Ce budget est injuste », affirme Olivier Faure sur BFMTV, ajoutant que « la seule perspective est la censure ». Et ce ne serait pas du côté du RN qu’il trouverait du soutien: « Si Bayrou ne revoit pas sa copie, nous le censurerons », prévient Marine Le Pen.
L’été n’apporte aucune clarification des positions. Face au blocage persistant, Bayrou organise, lors de sa conférence de presse de rentrée le 25 août, un électrochoc en appelant à un vote de confiance. Un choix qui conforte les observateurs: le centriste cherche probablement à bâtiirson départ et n’a aucune intention de négocier un compromis. « François Bayrou donne l’impression de vouloir partir », ironise le socialiste Philippe Brun sur 42mag.fr. « Il ne prépare pas le budget comme s’il s’agissait d’un budget pour se retirer, mais bien comme un budget qui défend le combat qu’il porte depuis 30 ans », nuance Marc Fesneau.
Quel avenir politique après Matignon ?
Pendant quinze jours, François Bayrou paraît plus isolé que jamais, multipliant les entretiens tandis que les coulisses préparent les scénarios de son éventuel remplaçant. Il pourrait trouver du réconfort chez celui qui comprend le mieux cette situation: son prédécesseur à Matignon, qui avait été mis à l’écart en décembre 2024. « Je suis bien placé pour connaître la difficulté de l’Assemblée actuelle. Il y a trois grands blocs qui ne veulent pas coopérer entre eux. C’est cela le problème », confie Michel Barnier à 42mag.fr.
« Il a fait tout ce qu’il pouvait. En homme honnête. »
Michel Barnier, ancien Premier ministre LRà 42mag.fr
Comment Bayrou pourrait-il rebondir ? L’a-t-il envisagé comme une éventuelle candidature à la présidentielle de 2027 ? Vendredi sur RTL, il semble avoir fermé cette porte. « Ce n’est pas mon objectif aujourd’hui », affirme-t-il. Mais faut-il vraiment le croire ? « Il est à un moment de sa vie politique où il peut se permettre de ne pas gâcher tout un parcours d’engagements », juge Marc Fesneau. « Je ne pense pas ou plus qu’il considère la présidentielle comme son horizon principal ».