Autrefois président du club de football, il a officiellement amorcé sa candidature à la mairie, une ambition qu’il poursuit depuis plusieurs mois. Fort de son expérience dans le monde des affaires mais dépourvu d’expérience politique, ce septuagénaire va tenter de faire basculer la majorité municipale écologiste en place.
C’est l’histoire d’un homme pour qui la vie politique faisait encore peur en 2023, et qui a néanmoins décidé de se lancer dans l’ambition d’occuper la troisième ville de l’Hexagone. Son objectif se cristallise autour des municipales de mars 2026 à Lyon. Jean-Michel Aulas, figure emblématique de l’Olympique lyonnais, qui a dirigé le club pendant plus de trois décennies, a officiellement annoncé sa candidature à Lyon. Dans une lettre adressée aux habitants, le jeudi 25 septembre, ce grand nom autrefois proche de l’ancien maire Gérard Collomb — disparu en novembre 2023 — se déclare candidat pour « restituer » à Lyon sa ville, « qui refuse le repli et qui bâtit dans l’union ».
Pourtant, l’homme d’affaires connu sous le nom de « JMA » a longtemps hésité à accepter un destin politique que nombre d’observateurs lui prédisait. « On m’a proposé cela dix fois », disait-il en mars 2023, au moment de la parution de son livre autobiographique, Chaque jour se réinventer. Deux années et demie plus tard, il se lance à l’assaut de la mairie, appelant les foules lors d’une soirée de conférence dans le quartier Confluence pour officialiser le départ en campagne.
Mais comment expliquer que l’homme qui s’est bâti une fortune sur le monde des logiciels comptables se place aujourd’hui au centre d’un grand jeu politique, à l’âge de 76 ans ? « Il arrive à un moment où il veut rendre ce qui lui a été donné », affirme son entourage. Pour eux, ce changement serait le fruit d’une rencontre entre un homme et une période historique particulière. Cette rencontre, il l’a orchestrée en multipliant des messages énigmatiques sur X au tout début de l’année, dessinant ainsi les contours d’une possible candidature.
Il a voulu jauger l’ampleur du soutien
En février, Jean-Michel Aulas souligne dans Le Figaro qu’il « envisage » ce qui se passe s’il s’engage dans la course. Pour tester ses chances, il commande une étude d’opinion menée par l’institut Cluster17. Le verdict place l’homme d’affaires à 17 % d’intentions de vote, juste derrière le maire écologiste sortant, Grégory Doucet (22 %), sans compter les suffrages du PS et de La France Insoumise. Quand on additionne les résultats des trois listes de gauche, alliées dans l’actuelle majorité municipale, on obtient 44 %.
Au fil des mois, l’entrepreneur continue d’écouter les figures influentes de la métropole et affine son projet. L’annonce officielle se rapproche. « D’ici la fin du mois de juin, j’indiquerai ma manière d’y aller et avec qui », promet-il, juste avant l’été, devant un parterre de décideurs locaux et avec le soutien immédiat de Nicolas Sarkozy.
« J’ai réfléchi et j’ai consulté, car je sais qu’on n’agit pas sans préparation. »
Jean-Michel Aulaslors d’un événement à Lyon mi-juin
Mais la prudence demeure. « C’est une personne très méthodique, qui ne fait rien par hasard. Il a voulu vérifier si l’idée prenait », analyse Thomas Rudigoz, chef de file de Renaissance à Lyon. Fin juin, un nouveau sondage Harris Interactive le crédite de 36 % des intentions de vote au premier tour, avec une avance sur Doucet (27 %), bénéficiant du soutien du centre et de la droite. Il devance le maire écologiste d’environ neuf points, qui est encore soutenu par les socialistes et les communistes.
Sans lui, il n’y aurait pas d’union
Les discussions se poursuivent avec le camp présidentiel et Les Républicains, tandis que le jeune Pierre Oliver, maire du 2e arrondissement, souhaite représenter la droite. Le 4 septembre, l’homme d’affaires se retrouve à proximité d’Aulas dans un bar non loin du Rhône. Dans la foulée, Laurent Wauquiez, président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, annonce l’adhésion de sa famille politique à la démarche de l’ancien patron de l’OL, même si ce dernier n’a pas encore officialisé sa candidature. « Je pars pour l’aventure, sans étiquette », affirme-t-il.
Le mouvement Renaissance officialise son soutien près de trois semaines plus tard. « Loin des querelles partisanes, c’est une démarche d’apaisement pour les Lyonnais, et une ambition pour Lyon, que nous lançons aujourd’hui avec Jean-Michel Aulas. Il possède, à nos yeux, toutes les qualités pour être un grand maire de Lyon », déclare Gabriel Attal sur X. « C’est lui qui a su faire le trait d’union entre tous les partis. Sans lui, il n’y aurait pas d’union au niveau local », affirme un proche. La lettre adressée aux Lyonnais n’attend plus que son envoi; la campagne est désormais lancée.
Ça va être très binaire
Expulsé de son club par l’investisseur américain John Textor au printemps 2023, le natif de L’Arbresle (Rhône) a retrouvé le chemin d’un nouveau combat public. « Il n’incarne pas un homme politique, mais on sent une forme de frustration liée à la fin de son parcours à l’OL », commente le politologue Romain Meltz. Si le football a été le véhicule qui a fait de lui une icône locale, c’est aussi ce vecteur qui peut conférer à sa candidature une aura particulièrement puissante. Sept fois champion de France avec l’équipe masculine dans les années 2000 et ensuite huit fois champion d’Europe grâce à l’équipe féminine, le vice‑président de la Fédération française de football bénéficie, par sa notoriété sportive, d’un atout non négligeable pour sa campagne, selon Thomas Rudigoz.
« Le football se joue dans les quartiers populaires, chez des gens qui ne voteraient pas forcément pour quelqu’un affilié à LR ou à Renaissance. Avec Jean‑Michel Aulas, on s’en fiche. »
Thomas Rudigoz, chef de Renaissance à Lyonà 42mag.fr
La renommée acquise sur le terrain de Gerland puis au Groupama Stadium — dont la construction a été financée par son groupe — peut s’avérer décisive dans ce pari politique. Lyon a basculé à gauche lors des scrutins récents, et ce n’est pas une étiquette qui prime désormais, mais la perception d’un leadership. « Il y a des nuances, mais pas forcément de divisions », rappelle Romain Meltz, alors que La France insoumise envisage aussi de s’engager dans la bataille, et que Nathalie Perrin-Gilbert, ancienne adjointe, pourrait être amenée à s’allier avec Georges Képénékian, ex-maire de centre-gauche. Ces soubresauts laissent présager, selon Rudigoz, un duel qui se dessinera rapidement : « Ce sera très tranché : les électeurs choisiront entre Doucet et Aulas, ou entre les deux camps qu’ils représentent. »
Pour contrer le périmètre d’Aulas, ceux qui l’entourent décrivent un mouvement hybride, capable de combiner des figures non politisées et des candidats issus des familles centristes et de la droite. « La conférence de presse avec Laurent Wauquiez, au début du mois de septembre, a ouvert une voie qui montre que la candidature dite citoyenne est, en réalité, fortement encadrée par les partis », nuance toutefois Romain Meltz, qui pointe une interrogation persistante.
« Jean‑Michel Aulas n’a pas explicitement précisé qui est réellement représenté dans cette société civile. »
Romain Meltz, professeur de sciences politiquesà 42mag.fr
« Au départ, il portait une vision centrée presque exclusivement sur la société civile, avec une volonté d’incarner une offre nouvelle. Nous avons peut-être un peu bouleversé ses projets », esquisse-t-on chez ses partisans. La liste qui sera présentée par Jean-Michel Aulas devrait comporter une moitié de personnalités issues du monde non politique et l’autre moitié composée de figures provenant des différents partis du centre et de la droite.
S’il échoue, ce sera terrible
La composition exacte de l’équipe n’est pas encore arrêtée, mais l’homme d’affaires ne compte pas tarder à passer à l’action et à s’intéresser au fond des propositions : comment convaincre les Lyonnais de glisser son bulletin dans l’urne en mars prochain ? Dans la lettre qu’il a adressée à la population, il annonce déjà une série de rencontres dans les semaines qui viennent, « afin d’écouter vos idées, vos colères et vos espoirs », avant d’élaborer un programme. Pour l’instant, aucune proposition précise n’est encore sortie. « Je souhaite que Lyon redevienne une ville sûre, où l’on peut sortir le soir sans crainte. Une métropole verte, guidée par le bon sens et sans dogmatisme. Une ville qui rayonne en France et dans le monde, fière de sa culture, de son histoire et de ses habitants », affirme-t-il en termes généraux.
Critique sur les embouteillages et défenseur des « vrais Lyonnais », parmi d’autres sorties sur les réseaux, Jean-Michel Aulas a d’ores et déjà engagé une bataille frontale avec les écologistes, sans écarter la possibilité de devoir les affronter jusqu’au printemps prochain. « Est-ce que vous entrez sur un terrain où vous savez déjà que vous allez perdre ? » lance l’un de ses proches. « Il a très envie de laisser une empreinte glorieuse », observe Romain Meltz. Mais s’il venait à échouer, ce serait lourd de conséquences. À l’aube de l’un de ses derniers grands rendez-vous, JMA mise tout sur l’héritage qu’il pourrait laisser à la cité.