Le paysage politique, pris entre gêne et cynisme électoral, éprouve encore des difficultés à désigner avec précision ce qu’implique la menace islamiste, tandis qu’une part croissante de l’opinion publique s’attache à relier le terrorisme à l’immigration et aux tensions religieuses.
Dix années se sont écoulées depuis les attaques du 13 novembre et, malgré tout, les responsables politiques rencontrent encore des difficultés pour désigner avec précision la menace terroriste. Cette idée provient de Riss, à la tête de Charlie Hebdo et survivant de l’attentat du 7 janvier 2015, interviewé mercredi 12 novembre sur 42mag.fr. « On éprouve des difficultés à nommer clairement ces événements, à les expliquer, et c’est l’islamisme qui est en jeu. Aborder le sujet reste toujours délicat, car cela touche à la religion et à l’intégrisme… » Dix ans plus tard, ce malaise collectif continue d’imprégner le débat public. Dans les sphères politiques, culturelles ou médiatiques, nombre d’acteurs hésitent encore à employer l’expression d’“islamisme”. À titre d’exemple, le magazine municipal consacré au souvenir du 13-Novembre, distribué cette semaine dans les boîtes aux lettres de Paris, est particulièrement révélateur. Le numéro est soigné, chargé d’émotion, il rend hommage aux victimes, aux rescapés, aux secours, et à leur courage face « aux commandos meurtriers », « la barbarie », et « les attaques terroristes ». Jamais l’idéologie des auteurs n’est explicitement décrite. Un simple oubli, certes, témoigne de cet embarras collectif.
Cette situation s’explique le plus souvent par une inquiétude légitime: celle de ne pas stigmatiser les musulmans de France, qui, dans leur grande majorité, pratiquent leur foi sans agitation et en accord avec les lois républicaines. Pour les responsables de La France insoumise, ce refus d’employer le mot « islamisme » répond aussi à une motivation électorale. L’ex-Insoumis François Ruffin, député de la Somme, a dénoncé avec vigueur ce penchant communautariste chez Jean-Luc Mélenchon, l’accusant de « racialiser » la vie politique.
Dans les deux cas, qu’il s’agisse d’une intention bienveillante ou d’un calcul partisan à visée électorale, insister sur cette précaution sémantique s’avère être un contresens terrible. En effet, alors qu’un seul mot peut aider à distinguer des choses, ce silence gêné finit par relier, de fait, les musulmans aux auteurs qui prétendent agir au nom de leur religion. Et ceux qui nous alertent sur cette erreur grave proviennent des artistes, intellectuels ou écrivains issus de pays à forte culture musulmane, ayant eux-mêmes subi les ravages du terrorisme islamiste — comme le prix Goncourt Kamel Daoud ou l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, récemment délivré, mercredi, par le régime algérien.
« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde », rappelait Albert Camus. On peut aussi y voir le risque que d’autres détournent ces termes — la menace islamiste ou la défense de la laïcité — à leur profit. Depuis une décennie, l’extrême droite s’en sert fréquemment, et le Rassemblement national domine aujourd’hui les enquêtes d’opinion. Comme le montre l’enquête large intitulée Programme du 13 novembre, menée par l’historien Denis Peschanski, une part croissante de l’opinion associe désormais des facteurs tels que « des tensions religieuses et culturelles » et même « le nombre d’immigrés en France » aux causes premières des attentats du 13 novembre 2015.







