« Excusez-moi, vous êtes bien Norman, celui qui fait des vidéos ? » Soit le barman se fout de notre gueule, soit il ne fait pas partie du million de fans YouTube de Cyprien, qui cartonne sur le net via son blog de vidéos lifestyle. Rejet des Call Of Duty, fascination pour les productions intimistes : autour d’un jus d’orange bien pressé, on a cherché à savoir quel genre de joueur se cachait derrière ce geek autoproclamé. Mais pas que.
Quand es-tu tombé dans la marmite des jeux vidéo ?
A la base je suis plutôt Nintendo, mais petit, on n’avait pas de console chez nous : c’est ma grand-mère qui avait une NES chez elle. Bizarre, hein ? En fait, je pense que c’est un coup de mes parents qui en ont posé une là-bas pour qu’on rende plus souvent visite à Grand-Mère.
C’est quoi la dernière console que tu as achetée ?
La Wii U. Bon, comme je le dis dans ma vidéo, le concept du GamePad est un peu chelou, mais c’est bien quand même pour jouer avec sa meuf.
Es-tu un hardcore gamer ?
Je suis pas un gros gamer, car jouer demande du temps, vraiment beaucoup de temps. Je me demande comment font les mecs qui jouent à Call Of Duty toute la journée…
Tu n’aimes pas les jeux de tir à la première personne ?
Pff… Call Of Duty Black Ops 2, tu vois, ça m’évoque rien ! Okay ils ont placé l’action dans le futur, okay ils ont rajouté un ou deux trucs, mais bon, ça reste toujours un jeu de shoot parmi d’autres. Déjà qu’il y avait Call Of Duty, ensuite ils font Black Ops, et maintenant Black Ops 2. Les séries ressassées, ça va cinq minutes, quoi !
« Un bon jeu, c’est une bonne idée, développée au bon moment. S’il n’y avait que des Journey, on se ferait un peu chier. »
Pourtant, j’ai cru comprendre que tu étais fan des Legend Of Zelda ?
Un nouveau Zelda, même s’il y en a eu 150 000, je vais kiffer quand même. Parce que je sais que ça va être chiadé. Celui que j’ai le plus kiffé, c’était The Wind Waker sur GameCube. Je passais des heures à aller d’île en île sur mon bateau, j’avais l’impression que le monde était énorme. Vraiment, tu sentais la richesse du truc ! En plus les mecs avaient tout changé par rapport aux Zelda précédents : le graphisme, l’univers maritime… Ils font une série qui cartonne, et ils osent changer le concept ? Non mais pour qui ils se prennent ? Ces mecs-là sont géniaux ! Bref, si un Medal Of Honor – ou je sais pas quoi – sort pas cette année, ça va rien me faire. Mais si on me dit : « Zelda c’est fini ! », je pleure.
Tu serais plutôt quoi alors ? Un joueur gourmet ?
Je suis plutôt casual, ouais. J’aime bien les jeux chelous, les trucs un peu indés, avec un concept. Tu as joué à Fez ou à Journey ? Journey, c’est, comment dire… épuré de tout ! Déjà, t’as presque pas de monstres à combattre, c’est juste que tu te balades pendant deux heures dans un décor qui t’en met plein la vue. Okay, ça coûte 12 euros, le prix d’un DVD, mais là, au moins, tu te dis qu’il s’est passé quelque chose !
Tu souhaiterais qu’il y ait plus de jeux comme Journey ?
Oui et non. Un bon jeu, c’est une bonne idée, développée au bon moment. S’il n’y avait que des Journey, je pense qu’on se ferait un peu chier.
C’est quoi les gimmicks qui te soûlent dans les jeux vidéo d’aujourd’hui ?
La jauge de vie. La logique des jeux d’action modernes, c’est : je me prends une balle, je me planque, je respire un bon coup, je guéris tout seul, et j’y retourne. Alors même si je suis nul – mais alors vraiment très nul ! – en jeux d’action, je trouve ça un peu cheum. En fait j’aime bien l’idée d’une barre de vie. Dans Dead Space, je trouve ça vachement bien, elle est intégrée dans la colonne vertébrale du héros. Quand tu vois ça, tu sais que les créateurs du jeu se sont assis deux secondes, histoire de dire : « Qu’est-ce qu’on fait avec la barre de vie ? Et si on l’intégrait au personnage intelligemment ? »
Comme quoi, tu ne jures pas que par Legend Of Zelda ?
Le premier Dead Space, putain, je me suis chié dessus ! Tout est dégueulasse dans ce jeu. T’es seul sur un putain de vaisseau spatial avec des bestioles. C’est même pas des monstres, c’est même pas des zombies, c’est un mélange des deux. Ça fait le job, y a rien de plus flippant. Surtout le premier épisode, c’était une tuerie. Parce qu’après, ça s’est un peu…
Essoufflé ?
Ouais. J’ai joué à la démo du 3, c’est action à mort. T’as plus peur du tout.
T’as des exemples de jeux vidéo qui t’irritent à mort ?
Ceux qui abusent des contenus additionnels payants. Si c’est un jeu mobile que t’as acheté gratuit et qui te propose d’acheter des options pour une expérience de jeu totale, pourquoi pas… Mais celui qui coûte une blinde et qui te fait comprendre que tu ne peux exploiter que 10 % de son potentiel si tu n’achètes pas les options, bah ça c’est un peu chiant. T’as déjà acheté le jeu 70 boules, on va peut-être s’arrêter là, non ?
Soudain, deux gosses assis à une table voisine – Enzo et Dimitri – se précipitent vers Cyprien pour demander un autographe. Le blogueur s’exécute, faisant fi de leurs patronymes ridicules.
Tes vidéos, comme celles de Norman, cartonnent grave sur le net. Comment expliques-tu ce succès ?
Je ne sais pas. Peut-être parce qu’on est une génération qui aime Internet. Les vidéos en ligne, c’est tellement simple à regarder. Ça prend 3 minutes, tu peux l’arrêter quand tu veux, la mater sur un mobile n’importe où… Tu sais quoi ? Je me retrouve plus dans mes potes qui diffusent des vidéos – même si elles ne sont pas du tout vues – que dans n’importe quel mec qui fait de la télé. En fait, je préfère mille fois regarder une vidéo d’un type sur Internet, même que je ne connais pas, plutôt que d’allumer ma télé pour regarder une chronique moyenne d’un mec sans doute trop payé pour ça.
Ne serait-ce pas parce que vous êtes au diapason de cette génération qui assume pleinement son côté geek et déphasé ? Le film que tu co-écris actuellement avec Norman (Le Club, attendu pour fin 2013, ndlr), ça doit bien illustrer tout ça ?
Le pitch est très simple : c’est l’histoire d’un jeune loser joué par Norman. Un boulet, un putain de cas soc’ qui veut prouver à son père qu’il peut devenir adulte. La seule idée qu’il a, très mauvaise ça va de soi, c’est de rejoindre un club – avec des handicapés de la vie, coach compris – qui va l’aider à devenir adulte. Sauf que bien sûr, tout va partir en sucette…
« Si tu joues encore aux jeux vidéo à 30 ans et que t’as ni femme ni gamin ? Bah c’est que t’es comme tout le monde ! »
Ça ressemble pas mal au concept de Bref, l’histoire d’un mec qui branle rien de sa vie, mais qui l’assume à peu près…
Mais, ce qui est dit dans Bref, c’est la vérité ! Quand t’as 30 ans aujourd’hui, et que tu habites dans une grande ville, on ne t’oblige pas à avoir un gamin, une femme, te poser… et du coup, tu sais plus quelles sont tes obligations ! Tu essayes de bosser un peu, mais tu te dis : « Putain, c’est bizarre, je suis mal payé… » Du coup, tu fais pas trop d’économies, tu t’installes dans une précarité sociale, financière, totale. Avant, on était plus exigeant sur ce que tu dois faire dans la vie. Si à 30 ans t’avais ni femme ni enfant, on te regardait chelou. Maintenant, si tu joues encore aux jeux vidéo à 30 ans et que t’as ni femme ni gamin ? Bah c’est que t’es comme tout le monde, ha ha !
Donc oui, le film sera légèrement autobiographique. Ça raconte un peu nos loses, nos manques de repères. Il y a tout un truc sur les stages, la précarité dont je parlais, la galère quoi. C’est cette fracture-là qui est intéressante. Tu sais quoi ? Quand mon père regardait Bref, il me disait : « Eh, c’est marrant, ça te ressemble ! » Ça en dit vachement long sur notre génération, non ?