Comment s’est mis en place ton engagement politique auprès de Jean-Luc Mélenchon ?
La première fois que j’ai entendu parler de Jean-Luc Mélenchon, c’était en 2005. J’étais en prépa et je faisais beaucoup de philosophie politique. J’avais une prof de philo passionnante, elle nous parlait beaucoup de Jean-Luc Mélenchon ; c’était au moment du débat sur le traité européen qui soulevait des problématiques de philosophie politique classiques comme la démocratie, la souveraineté populaire, le déterminisme économique…
Il était encore au PS ?
Oui, il faisait la campagne du « non » au PS… Et nous, nous avons participé à cette campagne à notre niveau, en hypokhâgne. C’était un peu mon entrée en politique – même si depuis tout petit j’aime bien les joutes politiques – mais là il s’agissait de ma première incursion autonome dans la cartographie politique concrète. J’ai donc suivi Jean-Luc Mélenchon à partir de cette période.
A mon âge, la réserve journalistique, ça aurait été un peu snob
En 2011, j’ai fait un stage chez Mediapart où, pour certains papiers, j’ai été à prendre des contacts avec des membres du Front de gauche, dont Alexis Corbière, que je rencontrais de temps en temps et avec qui j’ai eu rapidement un bon contact [et que 42mag.fr a rencontré, ndlr]. A la fin de mon stage, j’avais donc deux options. Soit je commençais à piger à droite à gauche, soit j’entrais dans la campagne présidentielle qui se présentait. (…) Or j’ai trouvé à ce moment-là que rester dans la réserve journalistique, à mon âge et n’étant pas encore réellement engagé dans une carrière de journaliste, avait quelque chose d’un peu snob. Après la crise de 2008, je trouvais qu’il commençait à y avoir des urgences politiques sérieuses et j’avais envie d’agir concrètement. J’ai ensuite pris contact avec les membres du Front de gauche et j’ai intégré l’équipe de communication en tant que community manager de Jean-Luc Mélenchon en décembre 2011.
Ton activité de bloggeur politique « de fond » (Lésions, La com’tranquille) – centré sur les idées, les théories – n’a-t-elle pas été freinée ?
Ta question est de savoir comment concilier une approche complexe de la pensée politique et le travail plus polémique des réseaux sociaux ?
C’est ça !
La pensée politique est quelque chose de très intéressant ; mais cela est encore plus intéressant quand tu parviens à appliquer ce que tu enseignes. Connaître la pensée politique et prendre parti pour l’écologie ou l’éco-socialisme d’un Jean-Luc Mélenchon, ce n’est pas incompatible. Au contraire, cela permet d’avoir une compréhension critique du paysage politique et des propositions politiques qui le structurent. Pour être serein (…) à la pointe de la lutte politique discursive, comme sur Twitter, il faut avoir un background solide. Et beaucoup de sang froid !
Il ne faut pas aller trop vite sur les clashs ?
Twitter a instauré le temps réel en politique
C’est ça… Même si moi j’aime bien canarder : parce que (…) ça correspond au personnage que je fais vivre comme à la bataille idéologique que l’on mène. Il y a plein de raisons qui font que nous avons choisi de ne pas éviter de clasher, de répondre aux incorrections et aux attaques débiles. Et puis ces clashs permettent de clarifier les rapports de force sous-jacents à l’espace public : les éditorialistes se livrent beaucoup plus sur Twitter que dans leurs médias de référence. Ainsi, quand la figure tutélaire de @JLMelenchon riposte à un éditorialiste hostile, elle signale à la twittosphère engagée quel est son positionnement politique réel. Les clashs sont des révélateurs efficaces.
Après, effectivement, on évolue dans des schémas discursifs qui diffèrent complètement de la prose technique et développée du Capital de Karl Marx. Mais ce n’est pas un travail dépourvu d’agilité intellectuelle pour autant. Twitter génère une grammaire spéciale qui requiert une certaine créativité discursive. Il faut savoir jongler avec des codes d’expressions qui sont différents mais qui recèlent des potentialités supplémentaires.
Quel est l’avenir justement des réseaux sociaux, et de Twitter plus particulièrement, en politique ?
C’est intéressant pour nous d’y être d’un point de vue temporel. Ça a réorganisé complètement la temporalité politique, en instaurant le temps réel en politique. C’est un peu le pendant digital des chaînes d’info en continu. Du coup, ça nous permet de réagir très vite et de produire un contre-récit. Il s’agit d’un écosystème informationel réellement neuf, où tous les influenceurs – les relais d’opinions – font leur veille. Aujourd’hui, tout l’espace public est concentré sur Twitter. C’est aussi un médium horizontal où on peut instaurer une forme de dialogue militant qui n’est pas si simple à instaurer ailleurs : Twitter est un média interactif, ce qui est toujours intéressant politiquement.
Mais le temps long politique n’est-il pas tué ? C’est toujours une information qui chasse l’autre, il n’y a plus trop de fond, on est davantage sur les attaques personnelles et on oublie ce qui s’est passé il y a deux semaines.
Twitter est effectivement plus dans la politique processuelle que dans la politique mémorielle. Mais nous avons d’autres supports qui nous permettent de réinstaurer le temps long : c’est notamment le cas des notes de blog de Jean-Luc Mélenchon. Elles sont très longues et remettent en perspective l’actualité, la mise à jour des événements, l’interprétation que la presse en a faite elle-même, les consignes politiques… C’est quelque chose qui permet de ramasser le temps long. Au final je pense que l’outil (Twitter) permet de compléter ce temps long, de le décliner en une fine mitraille. (…) De toute façon Twitter ne fonctionne pas à vide ! Ou alors il ne fonctionne à vide que sur les mots d’esprits. Pour nous, Twitter est le commentaire d’un contenu politique plus substantiel, c’est un gazouilli qui porte sur quelque chose qui lui est souvent extérieur.
Après quatre premiers mois de présidence par François Hollande – quatre mois de critique par les médias de droite comme de gauche d’ailleurs – quelle sera la place de Jean-Luc Mélenchon ?
Incontestablement, il a fait une rentrée politique efficace. Dans son interview au JDD du 19 août, il a proposé la première critique sérieuse qui a été faite pendant la session parlementaire extraordinaire. Il a été le premier parce que d’une part la droite – et c’est la règle interne des partis politiques – n’a pas eu une parole politique cohérente et audible mais une parole éclatée, un peu brouillonne, du fait du combat replié de ses ténors pour la tête de l’UMP. Que d’autre part, les Verts ont mangé leur chapeau au gouvernement : c’est quand même très compliqué de leur accorder du crédit dans un gouvernement qui n’est pas écologiste pour un sou. Le Nouveau parti anticapitaliste est pour sa part en train de décliner significativement, notamment avec le départ de la Gauche anticapitaliste (GA, courant interne, ndlr) pour le Front de gauche.
Le Front de gauche dispose d’un boulevard à gauche
Tout cela concourt à ce que le Front de gauche et Jean-Luc Mélenchon, par la force des choses et l’énergie dégagée pendant la campagne présidentielle, disposent d’un boulevard à gauche pour être une alternative sérieuse. (…) Il y a eu ce sondage très marrant qui plaçait Jean-Luc Mélenchon comme (…) meilleur opposant à François Hollande. Ce qui est révélateur du fait que c’est la seule parole vraiment différente ! (…) A droite, il y a des divergences sociétales mais il n’y a plus vraiment de différences économiques ou institutionnelles majeures. Le traité européen que va faire passer Hollande, c’est le traité écrit par Sarkozy, à la virgule près. Finalement, où est la critique franche, rugueuse, sérieuse du gouvernement ? Elle est plus du côté de Jean-Luc Mélenchon qu’à droite – du moins pour le moment.
Tu penses que la rupture est plus forte entre la gauche socialiste et le Front de gauche, qu’entre le PS et l’UMP ?
C’est très compliqué à dire. Sur les questions sociétales, qui ne sont pas non plus subsidiaires, il y a de vraies différences entre le PS et l’UMP. Par exemple, le fait que le PS n’alimente pas cette sorte de racisme d’État contenu dans les symboles et les discours de l’UMP sarkozyste, c’est déjà une différence décisive à mes yeux.
Quelle sera la prochaine lutte politique, le prochain combat social du Front de gauche ?
L’intérêt général, ou les banques privées ?
Ça va être le traité européen. Nous avons un agenda qui est simple : la mobilisation du 30 septembre pour demander un référendum sur ce traité. Nous pensons que ce traité structurera le cadre politique des mois à venir et qu’il est normal de la soumettre à une procédure démocratique élémentaire comme un référendum.
Ce traité marque une rupture entre deux gauches comme en 2005 ?
C’est un moment de vérité. Ce sera un révélateur de l’état des forces politiques et des grands choix politiques en cours dans notre système. La stratégie socialiste consiste bien sûr à dire que ce n’en est pas un ! Ils veulent passer en douce, ne pas faire de vagues. On ne peut pourtant pas dire qu’il serait secondaire de savoir qui va arbitrer de notre politique économique ! Est-ce l’intérêt général ou les banques privées, l’universel ou le particulier ? C’est un débat essentiel.
Ça révèle quoi ? La différence entre une gauche anticapitaliste et une gauche libérale ?
Pour reprendre des termes génériques, c’est la différence entre les sociaux-libéraux/sociaux-démocrates et la gauche antilibérale. Nous nous considérons comme la gauche éco-socialiste.
On n’entend pas souvent ce terme !
Disons que c’est notre prochaine grande bataille idéologique. Le socialisme, c’est quoi fondamentalement ? C’est se rendre compte que nous vivons dans une société marquée par une interdépendance fondamentale entre les gens, et entre les gens et les choses. Quoi qu’on en dise, nous ne sommes pas des atomes autonomes. L’oligarchie, qui prétend le contraire, à besoin d’une institution collective qui s’appelle l’argent pour assurer sa domination. Or, cette interdépendance essentielle est aujourd’hui remise en relief par l’écologie et la finitude alarmante de notre environnement terrestre. Avant, on avait un pensée politique centrée surtout la finitude humaine : maintenant on a une pensée préoccupée par la finitude de l’écosystème. On voit que cet environnement n’est pas illimité : (…) par la force des choses on est donc tous interdépendants les uns des autres. Il va falloir partager ce qui est en train de s’épuiser. La cause écologique donne donc une assise empirique supplémentaire au projet socialiste, elle lui confère un surplus rigoureux de matérialisme. Nous ne devons plus proposer une simple critique des rapports de production, comme le suggérait Marx, mais une véritable critique des conditions de production. Bien entendu, ces deux critiques sont consubstantielles dans l’éco-socialisme.
Il peut y avoir une audience sur cette problématique ?
Oui je pense. Il y a des choses qui ne peuvent plus être soumises à la loi de l’offre et de la demande, comme l’eau par exemple – on ne peut pas faire du profit sur l’eau ! Avec ce projet, on a des bases concrètes pour dire pourquoi nous devons partager. L’eau potable s’épuise, c’est un fait avéré. Or, la gouvernance néolibérale est incapable de prendre en compte cela. Le «capitalisme vert» demeure productiviste : au final, il détruit l’environnement. (…) Et tout le monde commence à se rendre compte que l’altération de l’environnement affecte la qualité de vie. Et ce qui est bien, avec la pollution atmosphérique par exemple, c’est qu’elle ne distingue pas entre les différents niveaux de vie : elle touche tout le monde. Il y a donc une ligne politique porteuse, féconde et potentiellement majoritaire qui se dessine… Je pense que tout le monde est à même d’adhérer à ce projet. Après, il faudra inventer un imaginaire, expliquer, donner envie.
Dans un article de Rue89, tu parles de « tweetgame » et de « punchlines », un vocabulaire plutôt issu de la culture rap. Quel est ton rapport avec cette culture ?
Ce n’est pas mon référent culturel principal. Ça ne fait pas vraiment partie des univers qui m’ont habité au cours de ma vie, pour être honnête. Mais il y a des choses que j’aime bien. Enfin ça dépend : il y a une ouverture d’esprit, une vivacité (…) et une liberté de ton qui sont très stimulants dans le rap. Il y a des formes de créativité qui sont égales à beaucoup de choses plus classiques. Après, je n’aime pas du tout un certain rap américain, avec ses grosses chaines dorées, ses créatures féminines obscènes, ses poses infantiles… Il y a donc une vulgarité manifeste dans une certaine veine du rap. Mais pour revenir de manière plus pragmatique à Twitter, l’exercice du slam est un format expressif (…) relativement proche de ce qui peut se passer sur Twitter. Certains procédés mentaux opérants sur Twitter se retrouvent donc également dans cette musique.