Maxence Cyrin est un compositeur atypique. Nourri à la musique électronique pendant les années 1990, c’est son premier album de reprises piano des hits techno qui le fait connaître en 2006. En 2010, c’est avec des morceaux pop qu’il récidive. Son dernier album en date est un disque de compositions personnelles. Le piano est encore très présent, mais cette fois d’autres instruments se sont joints à la fête. Il se produit très régulièrement pour des événements de mode ou d’art contemporain. Interview avec ce pianiste compositeur dans un bar de Pigalle.
En écoutant pour la première fois votre album j’ai pensé à Tim Burton.
Ça fait automatiquement penser à la musique de film, c’est presque voulu. C’est une sorte de B.O. imaginaire. Après Tim Burton, il y a le côté fantastique ce n’est pas très loin puisque ce que je fais est fantaisiste.
Pour le côté rêveur, planant… C’est un univers voulu ?
C’est un disque de musique instrumentale. J’avais envie de raconter une histoire, que ce ne soit pas uniquement un enchaînement de titres. C’est une autobiographie imaginaire. C’est dégoulinant comme la pochette de l’album faite par l’artiste Chad Wys. Ça disparaît. Ça fait appel aux rêves. C’est un genre de personnage qui a des visions qui a du mal à s’adapter à la réalité. C’est une partie de moi. J’ai du être comme à un moment donné. Ça fait partie de moi, cette mélancolie.
C’est un disque dégoulinant comme la pochette de l’album.
C’est un travail qui s’éloigne beaucoup de vos premiers albums. Les anciens étaient beaucoup plus cadrés, laissaient moins de place à l’improvisation.
J’en avais besoin. Reprendre les autres, c’est frustrant. J’ai besoin de m’exprimer par mes propres compos. Mais je peux y retourner. Depuis 2005, j’ai construit un genre de carrière de pianiste-interprète de reprise. J’ai à mon arc des compos. Je vais continuer dans un sens ou dans l’autre, ou même en mêlant les deux.
C’est que j’ai fait des choses peu connues. J’ai fait des albums de musique industrielle, de la house, de la techno il y a une vingtaine d’années. J’ai même fait un album de piano très confidentiel en 1994 avec de vieilles compos. C’est un disque collector maintenant ! Je n’ai repris le piano que 10 ans plus tard.
Qu’est ce qui vous a poussé à ajouter des cordes à votre musique ?
J’aime beaucoup la musique orchestrale. C’est frustrant de ne jouer que sur un seul instrument. J’aime tellement les autres instruments. J’avais envie d’autre chose. Un album avec du piano des cordes et des synthés vintage. Selon les compos, on a ajouté des guitares, de la batterie. Certaines sont là depuis longtemps et d’autres sont venues au moment de l’enregistrement comme Eye of the Storm. Elle est venue en dernier. J’ai même voulu la filer à un copain. Il m’a dit de la garder. Et c’est ce qu’on a fait. Finalement, c’est une sorte de single.
De 25 à 30 ans, j’ai écouté tout Elvis et tout Wagner.
On ne sent pas vraiment l’influence électro mais plutôt l’influence des musiques planantes des années 1970.
Oui bien sûr, Tangerine Dream, Ash Ra Temple… C’est une époque qui me fascine. Je n’ai pas fait cet album en écoutant cette musique, mais c’est en ce moment, a posteriori, que j’en écoute. J’ai souvent envie de me plonger dans des styles de musique. Quand j’ai fait mon premier album, je me suis plongé dans la musique électro que j’écoutais énormément pendant les années 1990. En ce moment, j’écoute de la soul, de la musique black. Je fonctionne à l’envie ; j’aime me plonger dans des univers.
Il en ressort forcément quelque chose ?
Non, non, c’est en simple mélomane. De 25 à 30 ans, j’ai écouté tout Elvis et tout Wagner. Wagner pour l’harmonie, la puissance, la mélodie ; Elvis pour le côté crooner.
Vous avez été crooner, non ?
Oui, au Baron. Au tout début, c’était pendant les premiers mois du Baron. C’était rigolo. Il y avait peu de gens, c’était très cabaret. On se serait cru dans un film de Lynch.
Vous avez également officié à Nova.
À Nova, j’ai fait des chansons, j’ai été portraitiste. C’est la préhistoire ! J’ai fait tellement d’autres choses depuis. Ça fait une dizaine d’années. C’est un peu une ancienne vie. J’ai fait ça par hasard. J’avais un pote là-bas qui m’a dit « Il y a Miossec qui vient. Tu ne veux pas faire une chanson ? » J’ai dit oui et j’ai fait ça pendant deux ans. C’était un exercice de style. Ça fait partie du métier. Il fallait que j’aie une propension à faire le showman.
Je ne rentre dans aucune case. Donc ça fait peur.
Vous vous produisez énormément dans des événements d’art contemporain. Contrairement aux tournées.
J’ai du mal à faire des tournées. Je sens de la frilosité de la part des programmateurs.
Je crois que le monde de la musique est cloisonné, réactionnaire. Plus que la mode ou que l’art contemporain. Il faut que ça rentre dans une case. Je ne rentre dans aucune. Donc ça fait peur. Tout le côté inventif/décalé ne passe pas. Par exemple aux États-Unis, il n’y a pas ces barrières et c’est là où j’ai le plus d’auditeurs. Je ressens beaucoup de frilosité en France.
En revanche dans l’art et la mode, c’est le contraire, ils aiment beaucoup. Le mélange a toujours été là, prendre quelque chose d’autre pour créer le décalage. Ça correspond à cet univers.
Vous produire ne vous manque pas ?
Bah, si ! D’avoir un public tout court. J’ai une forte audience sur le net. Beaucoup d’auditeurs me demandent quand je dois venir. J’aimerais qu’ils me rencontrent. Ce qui m’a manqué pour cet album, c’est un single. Mais, il arrive. Ce que je fais est trop freak pour passer à la radio.
Quel est votre moyen de diffusion privilégié si ne vous ne faites que peu de concerts ?
Avant il y avait de la musique de catalogue qui était destinée à des films, à des publicités. Des boîtes comme KoKa Media produisaient de la musique « librairie ». Ce qui remplace ces catalogues, ce sont les labels indépendants. Ce qui était une honte est devenu un moyen de vivre. On ne vend plus de disques, je ne fais pas de tournées. Je fais des soirées évènementielles pour de grandes marques, je travaille pour les galeries d’art contemporain ou le milieu de la mode ; c’est mon créneau. Je voudrais faire des concerts.
Ce dont rêvent les labels et les artistes, c’est d’avoir une synchronisation dans un film ou mieux dans la publicité. Même si on déteste la publicité.
Mais il faut arrêter de se plaindre. Toute la journée, on entend parler de tas de groupes. Est-ce qu’ils vendent des disques ? En tout cas, on en parle. Lorsqu’il y a un engouement médiatique, ça marche. L’offre légale sur Internet est en pleine expansion. C’est presque devenu la moitié des ventes. Les gens commencent à avoir le réflexe d’acheter des titres sur Internet. Ils ont de plus en plus conscience, comme des écocitoyens, d’aider les artistes. Il ne faut pas dire qu’il n’y a plus rien. Il y a de la vente de contenus digitaux, du merchandising. Je ne pense pas que je vendrai un jour des casquettes Maxence Cyrin, peut-être des nœuds papillon !
Un groupe qui marche va souvent travailler pour une marque, il y a les droits Sacem par les diffusions télé et radio. Ce dont rêvent les labels et les artistes, c’est d’avoir une synchronisation dans un film ou mieux dans la publicité. Même si on déteste la publicité : moi je déteste la publicité, je déteste la subir. D’ailleurs pour mes vidéos, j’ai refusé qu’il y en ait avant. Je déteste attendre 30 secondes avec une pub horrible. J’ai envie que les gens cliquent et aient un plaisir avant tout.
Ce n’est pas frustrant pour l’artiste de se dire « j’aimerais être dans une pub » ?
Oui, c’est comme la mode. On fait une collection de haute couture et on vend du prêt-à-porter, des lunettes, des sacs. On pourrait comparer le positionnement d’un album à celui de la haute couture. Après, bien sûr, j’aimerais un succès populaire. Si mon album ne fonctionne pas, j’en tirerais les conséquences. Parce que je pense que si on est artiste on doit pouvoir parler à un assez large public. Si moi je n’y arrive pas, je n’ai pas à blâmer les gens de ne pas acheter les disques. Je peux taper sur la maison de disque et les éventuels intermédiaires, mais j’en prendrais ma part de responsabilité.
Ce n’est pas un album grand public. Mais, on ne sait jamais : prenez Oxygène, de Jean-Michel Jarre. Un producteur y a cru, pourtant c’est de la musique instrumentale. Pourtant, il y a des invariances, c’est plus facile de placer un chanteur sur les radios. Je passe sur FIP, mais pas sur France Inter. Sur le Mouv’ non plus, ce n’est pas du rock et ce n’est pas chanté. Si Eye of the Storm (vidéo ci-dessus) est pris pour une pub, alors ce sera peut-être possible. Le moyen de médiatiser est d’avoir un coup de chance et qu’un réalisateur flash sur votre musique ou qu’un DA [directeur artistique, NDLR] dans une agence se dise : « C’est cette musique là qu’il nous faut ». Mais, c’est le hasard. C’est un jeu.
Vous avez l’air de vous en accommoder.
Je le vis bien quand j’ai assez d’argent pour vivre. En ce moment ça va, je n’ai pas à me plaindre. J’ai travaillé pour Chanel, Lanvin, pour un défilé à Versailles.
Revenons, à vos premiers albums. Qu’est ce qui vous a amené à faire des reprises de musique ?
Le premier album n’est que de la techno. J’écoutais de la musique des années 1990 que j’ai connue en tant que musicien. C’est ma madeleine de Proust. C’est naturellement que j’ai joué ces thèmes en soirée. Comme une sorte d’entertainer, ça a plu. Les gens ont trouvé ça marrant, excitant et de là, j’ai commencé à imaginer un album. J’ai envoyé une maquette à Laurent Garnier. J’ai fait cet album et je me suis dit que ce serait bien d’élargir et de prendre un univers moins segmenté que la techno. Reprendre aussi du rock. C’est beaucoup plus dur. Les mélodies sont plus évidentes et ça peut vite faire piano-bar. J’ai dû en essayer pas mal et faire un travail plus approfondi. La techno est plus simple, c’est plus minimaliste, c’est plus facile à adapter. La pop, il ne faut pas retomber dans le cliché de refaire la même chanson. Il faut faire une adaptation piano. Ce qui fait l’originalité, c’est la main gauche, comme on joue la mélodie. J’ai essayé de coller à la mélodie et d’avoir le truc qui fait que c’est original. Une patte ! Et je crois que je suis arrivé à créer une ambiance imaginaire. On me dit souvent que l’on dirait de la musique de film. Je fais toujours de nouvelles adaptations, je n’aime pas jouer les mêmes choses. J’aime me renouveler. Il y a des morceaux que j’ai trop joués. Je préfère jouer de nouvelles choses, aborder de nouveaux styles, comme la soul.
Comme un défi ? Un plaisir ?
Les deux. C’est aussi pour ne pas m’ennuyer. Changer de disque. Par exemple, je travaille sur un projet de cosmic disco, quelque chose entre Moroder et Pink Floyd. Un projet de groupe que je suis en train de produire et je réfléchis à un nouvel album. J’ai aussi fait de nouvelles adaptations au piano. J’ai beaucoup composé cet été. Je travaille aussi sur l’album d’un chanteur qui s’appelle Nicolas Comment. Nous nous sommes rencontrés grâce à notre producteur. Je fais tous les arrangements. L’enregistrement a commencé dans un nouveau studio. Beaucoup de choses en perspective.