Autrefois, les grands marchands d’art avaient de la tenue. Qu’ils s’appellent Claude Bernard, Jeanne Bucher, Albert Loeb, Daniel Cordier, Daniel Lelong, Gilbert Trigano, Aimé Maeght, Alphonse Chave ou encore Jean Pollak, etc., ils répugnaient tous à utiliser le scandale pour faire connaître leur galerie et monter la cote de leurs artistes. Ils se contentaient de respecter la valeur « intrinsèque » des œuvres : celle partagée par un public de vrais amateurs et qui, pour cela, a résisté au temps. Aujourd’hui, les grands marchands n’ont plus rien de commun avec les précédents.
Ils sont à l’exemple des Perrotin, Gagosian, Lambert, Templon, tous rompus aux nouvelles stratégies de communication pour la survalorisation pharamineuse d’un art vecteur de communication justement et de gros business. Le scandale, la provocation, l’injure au sens large, le blasphème, l’arrogance, le mépris des valeurs éthiques autant qu’esthétiques, sont les éléments centraux de cette survalorisation. Ces nouveaux marchands sont tous dits « d’envergure internationale », ils travaillent en collusion étroite avec les « grands » institutionnels de l’art et les collectionneurs richissimes.
« Ces nouveaux marchands sont tous dits « d’envergure internationale », ils travaillent en collusion étroite avec les « grands » institutionnels de l’art et les collectionneurs richissimes. »
Et, s’ils avaient été au pouvoir il y a 50 ou 60 ans, ils auraient assurément été incapables de reconnaître la valeur des Paul Klee, Le Douanier Rousseau, Wols, Hockney, Francis Bacon, par exemple, qui, aujourd’hui, appartiennent au patrimoine mondial. En effet, il faut savoir que Templon notamment a viré tous ses peintres à la fin des années 1980, après avoir déclaré – inspiré en cela par son amie Catherine M. (1) – que la peinture était « le purin de l’âme. » Il faut également savoir que Lambert n’a pas voulu dans un premier temps exposer son actuel poulain Miguel Barcelo, parce qu’il trouvait « sa peinture sale », mais s’est vite ravisé quand il a vu sa cote monter…
L’art de la valorisation par l’abject et le scandaleux
En ce sens, on peut dire que cette expo chez Lambert est un cas d’école pour ce qui est de « l’art de la valorisation par l’abject et le scandaleux », car faire dans l’« orientalisme », au moment même où le Proche-Orient est en pleine souffrance, on ne peut faire mieux dans la provocation et la perversité mentale. Et l’on se demande quelle autre fonction que de générer de la douleur en mettant du vinaigre sur la plaie pourrait avoir ce rassemblement incohérent d’œuvres disparates. Et puis, ce titre : « Mirages d’Orient, grenades et figues de barbarie », qui sonne comme un coup tordu dans l’allusion perfide à la barbarie. Et puis ce portrait de Bachar Al Hassad par Yan Pei Ming, qui fait l’affiche de l’exposition (ce même Yan Pei Ming, qui avait fait le portrait de cet autre tueur, Emile Louis, assassin des jeunes filles de l’Yonne.) Et puis cette vidéo blasphématoire d’un imam qui prêche torse nu. Et puis ces gros loukoums en pâte de verre rose. Et puis la présence de ce Kader Attia qui avait écrit des versets du Coran en rondelles de saucisson, etc.
« Bref, il faut considérer cette exposition sans propos bien défini comme une opération de com’ en soi, comme un exercice de pure perversité. »
Alors, me direz-vous, il y a tout de même dans cette exposition des gens respectables, non spécialistes du blasphème, comme Delacroix, Matisse, Théodore Monod, Ingres, Francis Bacon, etc. Oui, certes, mais leur a-t-on demandé la permission de figurer dans cette exposition ? Et ne sont-ils pas là comme alibi au reste, comme protection, comme otages, comme boucliers humains en quelque sorte pour empêcher de flinguer cette expo comme elle le mérite ? On se le demande.
Bref, il semblerait qu’il faille considérer cette exposition sans propos bien défini comme une opération de com’ en soi, comme un exercice de pure perversité, ou comme cérémonie de reconnaissance entre pervers collectionneurs ou amateurs des Cattelan, Abdessemed, Koons, Hirstet cie, et comme une manœuvre d’assujettissement du peuple des bénis-oui-oui « culturolâtres » aux puissants esthètes de ce monde de type Yvon Lambert.
Mais ce qu’il faut surtout voir dans cette manifestation exemplaire, c’est la collusion ou l’inextricable enchevêtrement des logiques politico-culturelles, communicationnelles, institutionnelles, et financières, pour la destruction des valeurs éthiques et esthétiques conventionnelles, désormais considérées comme contre-productives en matière de progrès artistique et/ou de rentabilité financière.