Fabrice Caro, qui se fait connaître sous le pseudonyme de Fabcaro dans le monde de la bande dessinée, est un écrivain, auteur de BD, compositeur de scénario et musicien accompli. Il vient de publier son sixième livre chez Gallimard, qui suit l’histoire d’un scénariste aspirant à percer dans le monde littéraire, mais qui se retrouve malheureusement en pleine débâcle.
Il se peut que 2023 soit l’année de Fabcaro. Avec son réputé Zaï Zaï Zaï Zaï, qui a atteint les 180 000 copies vendues, l’écrivain sera chargé du scénario du prochain Astérix, L’iris blanc, qui doit sortir le 26 octobre. Fidèle à son sens de l’humour noir, Fabrice Caro présente ce coup de théâtre Le journal d’un scénario, son dernier ouvrage, qui raconte l’histoire d’un écrivain qui pensait avoir touché le jackpot mais qui finit en dépression, terré dans son canapé, après de multiples concessions.
L’histoire suit Boris. Scénariste de Les servitudes silencieuses, une histoire d’amour qui dure un an entre deux âmes perdues. Tout semble aller pour le mieux lorsque son projet est retenu pour être adapté au cinéma. Un producteur, Jean Chabloz, lui propose un rendez-vous après avoir lu son script. Une heure plus tard, le marché est conclu : « On va faire un beau film ». Boris se charge alors du synopsis et rêve déjà d’un casting idéal : Louis Garrel en tant qu’Ariel et Mélanie Thierry en Marianne. (Attention, léger spoiler). À la fin du roman : c’est finalement Christian Clavier et Kad Merad qui incarnent le couple de cette merveilleuse romance qui se transforme en une comédie clownesque. Journal d’un scénario décrit cette progressive descente aux enfers, parsemée de nombreux compromis.
Le journal des désillusions
Fabcaro raconte des histoires de désillusions et de résistances avec Bruno, le scénariste face à son producteur. Il ne cède pas. Il reste convaincu que son oeuvre doit rester fidèle à sa vision originale, ce qui l’emmènera à réaliser un film d’auteur, dans ses rêves. Il imagine alors Christophe Honoré à la réalisation. Son casting séduirait Télérama et les Inrocks. Malheureusement, une chaîne de télévision privée financera son film avec l’idée d’une comédie populiste, voire vulgaire.
Caro invite le lecteur dans les petits arrangements avec la conscience de l’artiste, sur les compromis de plus en plus hilarants et burlesques. Et on ressent le désespoir que tout artiste peut éprouver. Ne pas céder signifie ne pas être porté sur grand écran et donc disparaître de l’univers du 7e Art. Céder signifie vendre son âme au diable. À quel moment les concessions aux vampires de l’argent dénaturent-elles la création ? Et comble du malheur pour Bruno, il est épris d’Aurélie, une cinéphile romantique qui a foi en l’Art et qui ne jure que par Martin Scorsese ou Alain Cavalier. Elle sera probablement déçue par la lâcheté de son amoureux.
Je viens de recevoir ce texto. Je suis troublé, flatté et, bizarrement, un peu impressionné. Surpris aussi je suis toujours surpris qu’une personne veuille me revoir après la première rencontre.
Fabrice CaroDans « Le journal d’un scénario », Gallimard
La chute du bienveillant
Si Le journal d’un scenario n’est pas une représentation de Fabrice Caro lui-même, tant le succès semble l’accompagner, le portrait de son personnage, Bruno, fait écho à ce qu’il a dit lors d’une interview sur France Inter « Quand on est sympathique, on est souvent considéré comme trop sympathique. La sympathie est souvent perçue comme une faiblesse […]. Je pense que je ne pourrais pas écrire un méchant personnage, car mes personnages ressemblent beaucoup à moi-même. Ils sont souvent un peu lâches, plutôt agréables, et très influençables, par sympathie. » Les meilleurs passages du livre sont sans doute ces instants de doute, d’hésitation entre un refus catégorique, une colère et un orgueil de Bruno, suivi par une faiblesse apparente, une couardise qui l’emporte. Bruno, en passant de vaillant défenseur des arts à un sombre écrivaillon qui se laisse manipuler par la machine de télévision, est un délice pour qui aime « la beauté romantique de l’échec ».
« Journal d’un scénario » de Fabrice Caro aux Editions Gallimard/ Sygne 19,50 euros 189 pages
Extrait : Le journal d’un scénario (page 15)
Jean Chabloz m’a assuré que l’on trouverait le réalisateur parfait pour donner vie à mon script.
J’ai demandé s’il avait des idées, il a en effet des pistes, mais préfère pour le moment garder le silence. Il attend que cela mûrisse. Et surtout, il ne veut pas me donner de faux espoirs. Mais je sens qu’il est excité par ses idées. Son silence en dit long sur mes fantasmes et je me mets à rêver d’un Arnaud Desplechin, d’un Leos Carax, d’une Rebecca Zlotowski, d’un Olivier Assayas, d’une Maïwenn ou pourquoi pas d’un Louis Garrel lui-même, qui a déjà prouvé qu’il n’a pas de mal à être à la fois devant et derrière la caméra ; son parcours de réalisateur est assez impressionnant.
J’ai un moment envisagé de réaliser moi-même le film, mais j’ai très vite abandonné cette idée. Je ne m’en sens pas capable.