Le 16 octobre marque le centième anniversaire des Studios Disney. C’est une opportunité idéale pour revisiter l’extraordinaire parcours de Walt Disney, celui qui découvrit la France en 1918 et en devint passionnément épris.
Walt Disney, issu d’une famille pauvre et humble du Middle West, était toujours fasciné par Paris, une attraction qui aura une influence significative sur son œuvre en tant que cinéaste visionnaire. Ce grand précurseur du cinéma du XXe siècle avait une fascination pour la France et ses artistes. À l’occasion du centenaire des Studios Disney, Sébastien Durand, un spécialiste indépendant de la vie et de l’œuvre de Disney (et ancien « imagineer », mélange des mots « imagination » et « ingénieur »), nous présente le parcours « à la Française » de Walt Disney.
Le premier voyage de Walt Disney en France a eu lieu peu après la Première Guerre mondiale, plus précisément le lendemain de l’Armistice du 11 novembre 1918. Encore trop jeune pour rejoindre la Navy comme son frère Roy, Walt, alors âgé de 16 ans, manipule son passeport pour pouvoir s’engager à la Croix-Rouge, qui acceptait les volontaires à partir de 17 ans. Toutefois, son départ est retardé en raison de la grippe espagnole qu’il contracte, il arrive donc en France après la fin de la guerre. Il s’occupe de la conduite des dignitaires militaires américains et du transport des vivres. Ironiquement, durant l’hiver 1919, sa voiture s’enlise dans la campagne de Seine-et-Marne, à une petite distance du site qui deviendra Marne-la-Vallée, où sera ouvert EuroDisney, 73 ans plus tard.
Un voyage inaugural plein de découvertes
D’après Sébastien Durand, pour Walt Disney, la France symbolisait la liberté. Être un jeune Américain issu d’une famille très pauvre du Middle West et voyager en France constituait une aventure grandiose. Son séjour en France à l’âge de 16 ans, marqué par des sorties, des rencontres avec des Parisiennes, etc., a été un tournant dans sa vie, un moment où il est devenu un homme. Il s’opposa même à son père qui désapprouvait son ambition d’avoir une carrière artistique. Par la suite, il revenait fréquemment en France, notamment en 1935, accompagné de sa femme et de son frère.
« Il a rapporté de son deuxième séjour en France plus de 300 livres d’illustrations. »
Sébastien Durand, spécialiste de Walt Disneysur Franceinfo
Il a acheté des livres d’histoires, de contes, d’illustrations et s’est intéressé aux grands illustrateurs européens et français, notamment Gustave Doré et Benjamin Rabier. Ces ouvrages, mis à la disposition des animateurs dans le studio Disney, ont influencé le choix des films et des styles pendant plusieurs décennies. Même aujourd’hui, les animateurs peuvent consulter ces ouvrages.
Après 1935, Disney a effectué de nombreux voyages en Europe, faisant toujours escale en France. Lors de son premier voyage en 1918-19, Disney a surtout visité le Nord de la France, notamment la Normandie et la Picardie, et s’est rendu jusqu’à Strasbourg où il a célébré la fête nationale du 14 juillet 1919. Très impressionné par l’horloge astronomique de la cathédrale de Strasbourg, il a développé une passion pour les automates qui a perduré toute sa vie. À partir des années 1950, il a également exploré le sud de la France, en particulier lorsqu’il rendait visite à Salvador Dali en Catalogne. Il a visité Carcassonne et la Côte d’Azur. Les idées que Disney ramenait de ses voyages étaient ensuite adaptées par son studio. « Par exemple, lorsqu’il a visité Carcassonne, il a pris des photos qu’il a montrées à ses animateurs en leur disant : ‘Les remparts du château de La Belle au bois dormant dans le dessin animé doivent ressembler à ceci’. »
Des origines normandes
Walt Disney savait que son arrière-arrière-grand-père avait émigré de l’Irlande en 1834, à l’époque de la Grande Famine en Irlande quand le mildiou a détruit les récoltes de pommes de terre sur lesquelles la population irlandaise comptait fortement pour sa subsistance. La famine a entrainé plus d’un million de morts, dont la moitié étaient des enfants. À cause de cette famine, des millions d’Irlandais ont émigré vers l’Amérique, véritable terre promise.
En 1949, alors qu’il tournait en Angleterre L’Île au trésor de Stevenson, Walt découvre que son nom se trouve sur un petit village, Norton Disney. Des années plus tard, dans le milieu des années 1960, il engage des généalogistes qui découvrent que les habitants de Norton Disney étaient originaires d’Isigny-sur-Mer, dans le Calvados. « C’est donc une vraie origine du nom de famille Disney. Cependant, à moins de s’appeler Charlemagne, il est impossible de retracer de manière directe l’histoire de sa famille sur 1 000 ans, » tempère Sébastien Durand. Nous savons que les D’Isigny sont arrivés en Angleterre en accompagnant Guillaume le Conquérant lors de la conquête de l’Angleterre, c’est-à-dire la bataille d’Hastings, en 1066. Ils sont restés en Angleterre. Mais par la suite, leur trace s’est perdue pendant de nombreux siècles. Il n’y a pas une ligne directe qui lierait Walt Disney à Hugues Suhart d’Isigny qui a été fait comte avec son fils, à leur arrivée en Angleterre. C’est Guillaume qui les a nommés comtes d’Isigny, qui s’est transformé en Disney au fil du temps ».
L’audience parisienne, un exemple
Blanche-Neige était déjà en production lorsque Walt Disney est revenu en France en 1935. Le projet d’un premier long-métrage d’animation a été décidé en 1934. À cette époque, la couleur venait à peine d’être introduite dans les dessins animés et l’animation était encore assez rudimentaire. Un soir, Walt réunit ses créateurs à 20 heures au studio. « Ce soir-là, il monte sur scène et pendant deux heures, il joue tous les rôles du film. » S’il réussit à les convaincre, les banquiers, eux, refusent de financer son projet. Ils estiment que le film serait trop long pour les enfants et pas intéressant pour les adultes. Quelques mois plus tard, alors qu’il se promène sur les Champs-Élysées, Walt entre dans un cinéma aujourd’hui disparu, le Lord Byron, qui propose un programme intitulé L’heure joyeuse de Mickey, une compilation d’une heure de dessins animés. « Walt voit des adultes parisiens, des gens très cultivés, rire pendant plus d’une heure en regardant ses dessins animés. » Il rapporte l’affiche de la projection (qui est toujours exposée aux archives de la Walt Disney Company) et s’en sert pour convaincre les banquiers que le public est prêt à accueillir ses films.
Walt a rapporté parmi ses livres, Les Fables de La Fontaine illustrées par Gustave Doré. Plusieurs d’entre elles ont directement inspiré des courts-métrages dans les années 1930, tels que Le rat des villes et le rat des champs, Le lièvre et la tortue ou encore La cigale et la fourmi. Les châteaux de la Loire ont grandement inspiré Cendrillon mais également La Belle au bois dormant. Les remparts de Carcassone ont servi en partie pour dessiner les murailles du château mais aussi le livre d’enluminures des frères Limbourg, Les très riches heures du duc de Berry. Conservé à Chantilly, il sert de modèle de direction artistique pour le film tout entier. « Quand on regarde La Belle au bois dormant , on a l’impression de feuilleter un livre de miniatures médiévales. »