Quel rôle et quelle influence la jeunesse a-t-elle en politique ? Les perspectives de Jean Viard, sociologue, sur le sujet.
La nouvelle équipe gouvernementale, rythme de la politique moderne et place des jeunes en politique
Tous les week-ends, nous chez 42mag.fr, nous relevons le défi de répondre à différentes interrogations sociétales contemporaines. Cette fois, notre débat tourne autour de la constitution du nouveau gouvernement dirigé par Gabriel Attal, dévoilée jeudi soir. Gabriel Attal, à 34 ans, est le plus jeune Chef du Gouvernement de la cinquième république. Cependant, il n’est pas le benjamin du gouvernement, c’est Marie Lebec, la ministre des relations avec le parlement qui porte ce titre avec ses 33 ans.
franceinfo : L’accent a souvent été mis sur la jeunesse de Gabriel Attal depuis son investiture, Jean Viard, pensez-vous que cela soit pertinent ou significatif ?
Jean Viard : Pour commencer, je tiens à rappeler que Napoléon était consul à l’âge de 30 ans. À mon avis, cette jeunesse met en exergue le vieillissement des autres acteurs politiques actuels. Avec cette composition, Emmanuel Macron est placé dans la position du doyen respecté de notre société. Il s’oppose à cette jeunesse, qui occupe des positions clés, apportant avec elle des compétences notables en économie, droit, etc. J’estime que cela est déterminant et forme une alliance équilibrée.
Le Président et ses ministres forment une équipe, et en marge de cette équipe, a été nommé un homme jeune, dynamique avec une mission spécifique. En effet, ce jeune homme, qui a démontré sa brillance en quelques mois à la tête du ministère de l’Education nationale, a repanné le flambeau des opérations offensives et défensives. Sa tâche majeure est de participer à la gestion du combat dans une société confrontée à la crise des démocraties modernes, qui est marquée par un affrontement entre la démocratie représentative et la démocratie numérique.
Contrairement à la démocratie traditionnelle marquée par de longs dialogues et négociations, la démocratie numérique se vit à l’instant. Le parfait exemple est Donald Trump qui peut proclamer qu’il mettra fin à la guerre en Ukraine en 15 jours s’il est élu. Et c’est devenu une possibilité quand il décide de faire des coupes dans les budgets, prend le téléphone pour négocier avec Poutine, etc. Ainsi, nous sommes dans une opposition flagrante entre la démocratie, monde d’échanges et de dialogues, et le monde numérique, qui vit dans l’urgence. Par conséquent, il existe deux pouvoirs au sein du gouvernement : le Président et ses ministres principaux, et cet homme jeune qui a saisit cette contradiction, tout comme Nicolas Sarkozy l’avait compris bien avant lui.
Je pense que nous vivons une ère de l’hyper-vitesse, caractéristique des sociétés modernes, des populismes et des extrême-droites. Un monde où tout est fait dans l’immédiat. Chassez les immigrants, résolvez le problème immédiatement, voilà leur cri de guerre. Pourtant, nous savons tous que la démocratie tend à maintenir un rythme constant et qu’au sein de cette équipe gouvernementale nous avons deux joueurs qui n’évoluent pas à la même vitesse. L’avenir nous dira si cela va fonctionner ou pas.
Les propos que vous tenez Jean Viard renvoient au premier discours d’Emmanuel Macron à l’adresse de ses nouveaux ministres lors du premier conseil des ministres. Il a demandé hier, des résultats, de la solidarité, et de la vitesse, aux nouveaux membres du gouvernement. En terme de vitesse et jeunesse, vous parliez de l’ancienneté que cela transmet à certains. Cela pose néanmoins le problème de comment les français perçoivent la jeunesse en politique ?
Il faut signaler que la majorité des votants dans ce pays sont des personnes âgées.
Et donc la jeune génération en politique serait plus appréciée par les personnes âgées ?
En réalité, on a l’impression que ce sont nos enfants qui ont pris le pouvoir. Je parle ainsi avec le recul de l’âge…
Le gendre rêvé, le fils exemplaire, la fille parfaite…
Exactement! En somme, c’est une réalisation pour nos enfants, c’est ce qui se passe dans nos esprits. Les personnes âgées apprécient la fougue et le dynamisme des jeunes, car cela leur rappelle leur jeunesse, les années 68, 70, l’ère Giscard d’Estaing, aussi jeune à son époque. Comparé à De Gaulle et à Pompidou qui a succombé à la maladie, le Président Giscard d’Estaing était jeunes. Ce n’était pas un enfant comme le Président Macron, mais il était quand même jeune.
Je pense que les personnes âgées sont satisfaites par cette jeunesse au pouvoir, et en vérité, la jeune génération n’y accorde pas grande importance. Les jeunes sont davantage engagés dans des causes écologiques, contre des projets d’autoroute, ou encore dans des actes de solidarité, ce sont des acteurs de l’instantanéité politique. À l’inverse, les générations plus âgées sont les acteurs du temps long, ils prennent le temps de réfléchir et de voter.