Lorsque Karim Aïnouz se déplace en Algérie, pays de naissance de son père, il réalise un voyage qu’il aurait aimé faire en compagnie de sa mère, Iracema. Son œuvre cinématographique est une émouvante dédicace à celle qui n’est plus, et raconte son bouleversant retour à ses racines.
Suite à la disparition de sa mère, le réalisateur brésilien Karim Aïnouz se rend en Algérie, le pays d’origine de son père. Son journal de voyage se concrétise sous forme d’un documentaire, Marin des montagnes, à l’affiche le 17 avril. Il opte pour le voyage en bateau pour atteindre l’Algérie, une contrée inconnue pour lui jusqu’alors, alors qu’il a déjà 54 ans.
Au début du documentaire, on pourrait presque le confondre avec ces vidéos de vacances, identifiables par leurs plans vacillants. Karim Aïnouz, qui raconte son voyage et ses expériences, a soigneusement orchestré son absence à l’écran, malgré une voix-off constante. Peut-être parce que sa présence visuelle n’est pas indispensable lorsque le réalisateur dévoile ses sentiments les plus profonds. Les images de ses affaires personnelles dans sa chambre d’hôtel témoignent de sa présence, cependant, Aïnouz s’efforce de rester en arrière-plan. Le véritable protagoniste de ce voyage est l’Algérie qu’il aurait dû explorer en compagnie de sa mère Iracema, une Brésilienne originaire de Fortaleza et experte en algues rouges.
Dans Marin des montagnes, tout évoque Iracema, la véritable destinataire des récits de Karim Aïnouz. Il lui raconte son arrivée par voie maritime, une option qu’il n’aurait pas prise si elle l’avait accompagné. Iracema est présente partout dans les images, capturée à toutes les étapes de sa vie, à travers les photos et surtout dans ses souvenirs.
Son père, la grande absente de sa vie, envahit tout autant l’esprit de Karim Aïnouz. Leur rencontre aux États-Unis a donné naissance à Karim, mais l’amour entre Majid, « le père », et Iracema appartient à ces histoires d’amour tragiques.
Un kaléidoscope de nuances
L’œuvre d’Aïnouz est un document riche en formes car il combine des images filmées et des photos, rendues aussi dynamiques que les premières. Le spectateur peut percevoir toute la virtuosité de l’artiste visuel qu’est Karim Aïnouz. Celui-ci semble avoir exploité toutes les nuances que l’on peut apporter à une image. Sépia, noir et blanc, couleurs saturées, teintes monochromes comme le rouge, renvoyant sans doute à ces algues étudiées par sa mère et qui transforment « Alger la blanche » en « Alger la rouge ». Le film joue sur tous les aspects de la coloration et de la photographie, pour attribuer une identité unique à l’œuvre et offrir une réelle expérience visuelle.
Aïnouz s’autorise également une petite digression vers la fiction lorsqu’il met en scène une légende kabyle racontée par sa petite cousine Inès, rencontrée à Taguemount Azouz, le village natal de son père en Kabylie. S’affiche alors, en lettres rouges et en tifinagh (écriture utilisée pour le kabyle), un petit conte de la mythologie locale.
La nostalgie de l’absence
De ce voyage, dont il est hanté depuis l’âge de 8 ans, Karim Aïnouz parvient à reconstruire une histoire de l’Algérie. Celle d’une nation qui a combattu pour obtenir son indépendance et dont la jeunesse, comme son père, a fait de la révolution une raison d’être. Mais cette histoire est aussi celle d’un pays, aujourd’hui riche de ses revenus pétroliers, qui peine néanmoins à offrir des perspectives à sa jeunesse, dont certains passent leurs journées à fixer la mer, rêvant d’un ailleurs hypothétique.
Marin des montagnes fait également référence au quotidien de ceux qu’il a rencontrés dans les rues, affairés à leurs tâches quotidiennes, au bruit de la mer ou du téléphérique. Karim Aïnouz a ainsi croisé un boucher dans son échoppe rouge, des jeunes qui dansaient la nuit ou des visages parfois méfiants dans les cafés. Ces personnes, dont les portraits parsèment son film, lui ont donné le sentiment d’être enfin chez lui, où Aïnouz n’est plus un nom inconnu. Cependant, ce sentiment de paix semble avoir été éphémère, ne l’empêchant pas de ressentir une sorte de calenture, cette mal de mer bien connu des marins.

Détails du film
Genre : documentaire
Réalisateur : Karim Aïnouz
Acteurs : Karim Aïnouz
Pays : Brésil, France
Durée : 1h37
Date de sortie : 17 avril 2024
Distributeur : Les Films des deux rives