Le producteur d’antan, qui a maintenant 54 ans, sera confronté au tribunal correctionnel de Nanterre le 14 juin, pour des incidents qui se sont produits à l’été 2020.
Une affaire judiciaire qui secoue le monde du cinéma français
Environ un mois après le célèbre Festival de Cannes, un événement d’une toute autre nature est peut-être sur le point de se dérouler dans le monde du cinéma français. Dominique Boutonnat, le président du Centre national du cinéma (CNC) – une institution de première importance dans le milieu cinématographique français – est attendu devant les juges du tribunal correctionnel de Nanterre (Hauts-de-Seine) le 14 juin pour être jugé pour agression sexuelle sur son filleul. Cette affaire suscite des interrogations sur la prise de position de l’industrie du cinéma concernant les violences sexistes et sexuelles (VSS). malgré son inculpation et sa convocation en justice, Dominique Boutonnat a maintenu son poste à la tête du CNC, tout en contestant ces allégations et en se préservant le droit à la présomption d’innocence.
Les faits reprochés se sont produits au cours de l’été 2020, précisément pendant la nuit du 3 au 4 août. À ce moment-là, Dominique Boutonnat passait des vacances dans sa résidence située sur l’île de Kéa, en Grèce, en compagnie de sa famille et celle de son filleul, Antoine*, alors âgé de 21 ans. Après une période de confinement prolongée due à la Covid-19, ils profitaient d’un moment de détente et de retrouvailles. Les informations révélées par l’enquête – que 42mag.fr a pu consulter – suggèrent que la nuit s’est terminée au bord de la piscine pour Antoine et son parrain, Dominique Boutonnat, qui était très proche de la mère d’Antoine et qui était considéré comme un second père pour le jeune homme. Apparemment encouragé par son parrain, Antoine aurait accepté de se baigner nu dans la piscine, c’est ce qu’il a attesté lorsqu’il a déposé sa plainte deux mois plus tard.
Le filleul aurait souffert d’un traumatisme post-stress
D’après le témoignage d’Antoine, un événement plus grave se serait produit après leur bain. Il rapporte que Dominique Boutonnat a tenté de le photographier nu, a abusé de lui, l’a complimenté et l’a étreint avec force. Par la suite, les deux hommes se sont retrouvés dans la chambre d’Antoine. Le jeune homme allègue que son parrain s’est allongé à ses côtés sur le lit, a essayé de l’embrasser avant de l’enlacer et de lui faire des attouchements. Antérieur terrifié, révolté et incapable de crier, Antoine accuse son parrain d’avoir tenté de lui faire une « branlette ». « Je l’ai masturbé pour qu’il cesse de me toucher », a-t-il déclaré, ajoutant que Dominique Boutonnat aurait ensuite tenté de lui faire pratiquer une fellation. Antoine explique qu’il a réussi à se libérer en feignant de vouloir dormir.
Le lendemain matin, selon les allégations d’Antoine, Dominique Boutonnat serait entré dans la salle de bain pendant qu’il s’y trouvait, lui aurait fait un câlin et l’aurait embrassé sur la bouche. Boutonnat aurait justifier son comportement face à sa femme, qui était intriguée par le fait qu’il sortait de la chambre d’Antoine à l’aube, en prétextant qu’il avait raccompagner le jeune homme car ce dernier avait trop bu.
Antoine déclare avoir perdu 10 kilos en trois semaines, avoir songé au suicide après cette nuit difficile. Une expertise psychologique menée dans le cadre de l’enquête judiciaire, ouverte en février 2021 pour tentative de viol et agression sexuelle, a confirmé que le jeune homme souffrait d’un trouble de stress post-traumatique résultant de l’incident. Il a aussi été établi qu’Antoine n’était pas enclin à déformer la réalité. Son avocate n’a pas répondu aux demandes de commentaires de 42mag.fr.
Une plainte pour diffamation classée sans suite
Plusieurs conversations téléphoniques, effacées par Dominique Boutonnat mais conservées par Antoine, ont été incorporées dans le dossier. Dans une de ces conversations, Dominique Boutonnat semble reconnaître en partie les faits, tout en laissant entendre que la responsabilité revient à Antoine, qui avait fait son coming out peu de temps avant.
« Il y a quelque chose d’étrange qui s’est passé à ce moment-là, qui est lié à ta sexualité aussi, et moi j’ai beaucoup d’amour pour toi, et puis ça s’est concrétisé comme ça parce qu’on était complètement ivres. »
Dominique Boutonnat, lors d’une conversation téléphonique avec son filleul.
D’après ces échanges, Dominique Boutonnat implorerait Antoine de garder le silence à propos de cette soirée, en lui proposant de venir vers lui s’il ressent le besoin de se rapprocher physiquement. Les enquêteurs ont également noté une baisse de l’affection contenue dans les messages de Dominique Boutonnat après le séjour en Grèce. L’exploitation du téléphone de Dominique Boutonnat a également révélé des conversations initées mais vides avec des jeunes hommes posant torse nu. Dominique Boutonnat nie toutefois avoir établi un contact avec ces numéros.
Interrogé lors de sa garde à vue puis devant le juge d’instruction, le président influent du CNC explique que les baisers échangés avec son filleul n’étaient qu’un signe d’affection et insist sur que c’est le jeune homme qui lui a fait des avances. Il dit avoir mis fin rapidement à cet échange, dénonçant les allégations totalement fausses d’Antoine. Quant à l’épisode dans la salle de bain, Dominique Boutonnat admet un « petit bisou » maladroit pour mettre Antoine à l’aise concernant les événements de la veille.
Face à face, les deux hommes continuent de maintenir leurs déclarations respectives. Peu après, l’ancien producteur annonce qu’il va porter plainte pour dénonciation calomnieuse. Cette plainte a été classée en septembre 2022, l’infraction n’ayant pas été suffisamment caractérisée.
Des pressions pour une démission
Dans leur décision de renvoyer l’affaire devant le tribunal, les juges font remarquer la position dominante de Dominique Boutonnat par rapport à son filleul, en raison de leur lien presque paternaliste et de leur différence d’âge. Ils estiment qu’il existe des preuves adéquates pour accuser Dominique Boutonnat d’avoir commis des attouchements sexuels sur Antoine « par violence, contrainte, menace ou surprise ». Ils ne retiennent cependant pas l’accusation de viol, faute de preuves suffisantes. Quant à l’avocat de Dominique Boutonnat, il n’a pas encore répondu à nos demandes d’informations. Lorsque son client a été inculpé, Emmanuel Marsigny a exprimé à 42mag.fr son regret d’une « hâte absolument répréhensible » et affirmant que Dominique Boutonnat se montrait « complètement confiant quant à l’évolution de la procédure »
Peut-il être aussi serein à propos de la suite de sa carrière ? Depuis son implication dans cette affaire, le président du CNC a fait l’objet de plusieurs appels à démissionner. Nommé à nouveau à son poste par le gouvernement en juillet 2022, Dominique Boutonnat est notamment en charge de la mise en œuvre d’une politique de lutte contre les VSS dans l’industrie du cinéma, notamment par la mise en place de formations obligatoires pour la prévention de ces violences. La CGT Spectacle, le collectif 50/50 qui lutte pour l’égalité, la parité et la diversité dans l’industrie cinématographique et audiovisuelle, et l’actrice Judith Godrèche, figure de proue du mouvement #MeToo dans le cinéma français, ont notamment critiqué cette contradiction.
« Le CNC est une institution dans laquelle les producteurs se rendent tout en rigolant, parce qu’ils se disent : ‘C’est drôle, je vais aller faire une formation contre les violences sexuelles à l’intérieur d’une institution dont le président est lui-même accusé de violences sexuelles’. C’est quoi cette blague ? »
Judith Godrèche, lors d’une audition au Sénat fin février.
« On s’inscrit dans une logique où la justice doit faire son travail. Le CNC n’a pas à se positionner », avait rétorqué l’organisme à une délégation de 15 personnes reçue après une manifestation devant son siège à Paris, au mois de mai. Dominique Boutonnat, qui a financé des films tels que L’Arnacœur (de Pascal Chaumeil), Intouchables (d’Olivier Nakache et Eric Toledano) et Polisse (de Maïwenn), risque une peine de cinq ans de prison.
*Le prénom a été modifié