Chaque samedi, nous analysons les problématiques climatiques avec François Gemenne, enseignant à HEC, président du Conseil scientifique de la Fondation pour la nature et l’homme et membre du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).
La voiture électrique a occupé une place notable tout au long de la campagne pour les élections européennes, certaines personnes lui reprochant de nombreux défauts.
François Gemenne : Evidemment, il est clair que la voiture électrique cristallise une grande partie des critiques concernant la transition écologique. Pour certains, elle est perçue comme trop onéreuse et réservée à une élite, tandis que pour d’autres, elle consomme trop de métaux et n’est donc pas suffisament écologique. En outre, les signaux contradictoires des gouvernements, notamment en ce qui concerne les aides à l’acquisition, ne font qu’ajouter à la confusion générale. Cela se traduit par un ralentissement des ventes de voitures électriques en France. En Europe, les ventes ont carrément chuté de 11 % sur une année.
La voiture électrique, solution privilégiée pour réduire la pollution des transports individuels
Il est incontestable que la marche à pied est beaucoup moins polluante que la voiture électrique. Cependant, cette dernière est bien moins nuisible à l’environnement qu’une voiture thermique. Certes, une voiture, qu’elle soit électrique ou non, implique l’utilisation de tonnes d’acier pour transporter des êtres humains pesant seulement quelques dizaines de kilos. Néanmoins, la majorité des déplacements en France et en Europe se font en voiture. Il est crucial de favoriser le recours à d’autres modes de transport, comme la marche, le vélo et le train. Il est aussi essentiel de développer davantage les transports en commun, de lutter contre l’autoisolisme et de maximiser le nombre de passagers par voiture via le covoiturage. Cependant, il est tout aussi impératif de rendre les voitures plus écologiques en réduisant leurs émissions de carbone.
Actuellement, la voiture électrique est la seule solution viable à grande échelle pour réduire drastiquement les émissions de carbone des transports individuels. Cela inclut non seulement l’usage quotidien, mais aussi son cycle de production. Selon l’agence internationale de l’énergie, une voiture électrique émettra en moyenne 2,5 fois moins de carbone qu’une voiture thermique tout au long de son cycle de vie. Si l’automobile est fabriquée et utilisée en France, où l’électricité est majoritairement décarbonée, Bloomberg estime qu’elle pourrait émettre jusqu’à huit fois moins de carbone qu’une voiture thermique sur toute sa durée de vie.
La voiture électrique menacera-t-elle l’emploi dans le secteur automobile en France ?
Les constructeurs français n’ont pas attendu l’avènement des voitures électriques pour commencer à délocaliser leur production : depuis le début des années 2000, la production automobile française a chuté de 60 %. Et en 2023, un acteur chinois, appelé BYD, pour ‘Build Your Dream’, ‘construis ton rêve’, est devenu un concurrent majeur sur le marché des véhicules électriques, surpassant Tesla. Le modèle économique chinois repose souvent sur des subventions massives et des marges bénéficiaires réduites, compensées par des volumes importants, contrairement aux constructeurs européens qui ont opté pour la fabrication de véhicules de plus en plus volumineux et onéreux pour maximiser leurs marges.
Toutefois, une nouvelle étude publiée par la Fondation pour la Nature et l’Homme et l’Institut Mobilités en Transition montre que la relocalisation de la production de petites voitures électriques en France est possible, tout en restant compétitive. Actuellement, les voitures les plus vendues en France sont importées d’Europe de l’Est ou de Turquie, notamment des citadines. Relocaliser la production de ces voitures en France représente un enjeu non seulement pour l’emploi et l’industrie automobile française, mais aussi pour l’écologie. Cela permettrait de rendre les voitures électriques plus abordables et de réduire leur empreinte carbone. Selon l’étude, l’écart de compétitivité avec l’Europe de l’Est serait minime et une fiscalité environnementale adaptée pourrait compenser les écarts de compétitivité avec la Chine.
« Une citadine fabriquée en France a une empreinte carbone totale de sept tonnes de CO2 sur son cycle de vie, contre 32 tonnes pour un SUV fabriqué en Chine. »
François Gemennesur 42mag.fr
Les constructeurs ont leur part de responsabilité en matière de relocalisation. Mais il existe aussi des actions que l’État peut entreprendre, comme recommandé par l’Alliance pour la décarbonation de la route : éviter les hésitations dans la politique d’incitation à l’achat pour les particuliers, avec des aides annoncées puis supprimées. Il est aussi nécessaire de continuer l’installation de bornes de recharge, particulièrement dans les zones rurales moins bien équipées. Les entreprises doivent également adopter des flottes de véhicules électriques, afin de créer un marché de l’occasion, et les autorités publiques devraient encourager l’utilisation de véhicules plus légers : des citadines mais aussi des véhicules hybrides entre le vélo et la voiture, adaptés à certains usages spécifiques. Il est crucial de maintenir le cap : les véhicules électriques ne représentent actuellement que 3 % des 38 millions de voitures circulant en France. Cette proportion doit impérativement augmenter rapidement.
La tentation de revenir sur l’interdiction de vente des voitures thermiques neuves en Europe
Les constructeurs allemands font pression pour qu’on utilise la clause de révision prévue en 2026 afin de revenir sur l’objectif d’interdiction de vente des voitures thermiques neuves, fixé pour 2035. Cela enverrait un signal désastreux pour la transition écologique, la dépendance au pétrole importé et l’industrie automobile française. Même si elle a pris du retard, on ne peut pas changer les règles en cours de route. C’est ce que souligne Carlos Tavares, le PDG de Stellantis.