Cela fait maintenant 45 jours que le gouvernement dirigé par Gabriel Attal est en situation de démission, et contrairement à certaines déclarations provenant de politiciens ou d’experts, il n’a pas encore surpassé le record de durée pour un gouvernement démissionnaire.
Un constat récurrent est apparu dans les interviews politiques la semaine du samedi 24 août dernier. Ce jour-là, plusieurs observateurs s’accordaient à dire que le gouvernement démissionnaire de Gabriel Attal allait franchir un record de longévité parmi les gouvernements démissionnaires sous la IVe et la Ve Républiques. Mathilde Panot, présidente du groupe La France insoumise à l’Assemblée nationale, a abordé ce sujet lors d’une intervention sur LCI. Alexis Corbière, député du Nouveau Front populaire, a également exprimé sa désapprobation sur 42mag.fr. Cependant, cette affirmation ne semble pas totalement certaine.
🔴 DIRECT – 🗣 « On a un gouvernement démissionnaire qui continue à agir et qui maintenant prépare un budget alors qu’il n’y a rien de plus politique. »
Le député NFP, Alexis Corbière, revient sur la reconduction par Gabriel Attal du budget 2024 pour l’exercice 2025. pic.twitter.com/gtohS9AigF
— 42mag.fr (@franceinfo) August 21, 2024
Des discussions autour d’une motion de censure
Ces opinions sont partagées par certains experts. Nicolas Hervieu, enseignant en droit public et européen à Sciences-Po et à l’Université d’Évry, a ainsi mentionné sur X, deux jours avant le 24 août, qu’« en droit, un record serait atteint ce samedi: depuis le 16 juillet, 39 jours de maintien d’un gouvernement démissionnaire ». Plusieurs médias ont également relayé cette information, comme le journal Le Monde.
En droit, un record sera battu ce samedi :
Depuis le 16 juillet, 39 jours de persistance d’un gouvernement démissionnaire.
Donc 39 jours de « gestion des affaires courantes ».
Politiquement, le Premier ministre a même présenté sa démission dès le 8 juillet. Il y a 45 jours… https://t.co/EYzf52gQrs pic.twitter.com/xBpSE4gPbk
— Nicolas Hervieu (@N_Hervieu) August 22, 2024
Selon leurs calculs, le gouvernement démissionnaire le plus résilient entre l’acceptation de sa démission par le président de la République et la nomination de son successeur est celui de René Mayer, du 21 mai au 28 juin 1953, soit 38 jours, sous la IVe République. En ce qui concerne la Ve République, le record est significativement plus court, soit neuf jours: le gouvernement de Georges Pompidou a géré les affaires courantes du 28 novembre au 7 décembre 1962.
Mais il y a un point souvent négligé par rapport à 1962. Le 5 octobre, l’Assemblée nationale a voté une motion de censure contre le gouvernement Pompidou. Le jour suivant, le Premier ministre a remis sa démission au président de la République, comme stipulé par la Constitution, mais Charles de Gaulle l’a refusée.
Ce refus rend l’interprétation floue. Pour certains, le gouvernement Pompidou n’était pas démissionnaire puisque la démission n’avait pas été acceptée. Cependant, le Conseil d’État a jugé cela différemment. Dans plusieurs décisions des années 1960, ce dernier a confirmé que le gouvernement Pompidou était en effet démissionnaire parce que la motion de censure lui avait retiré ses pleins pouvoirs.
Un record de 62 jours pour le gouvernement Pompidou
Le 19 octobre 1962, le Conseil d’État a analysé la plainte de Monsieur Brocas, qui accusait le gouvernement d’abus de pouvoir pour avoir pris deux décrets après la motion de censure. La question portait sur le statut du gouvernement: avait-il le droit de prendre ces décrets? Était-il toujours en fonctions?
Dans son arrêt – non disponible en ligne mais consulté par 42mag.fr et rapporté par Le Monde à l’époque – le Conseil d’État a déclaré qu’il « résulte de l’adoption par l’Assemblée nationale d’une motion de censure qu’elle entraîne le retrait du Premier ministre et de son gouvernement » et que « le gouvernement démissionnaire conserve les compétences nécessaires pour effectuer la gestion des affaires courantes jusqu’à ce que le président de la République décide officiellement de son remplacement ».
Le Conseil d’État a réitéré cette position le 22 avril 1966, dans une nouvelle décision portant également sur un décret pris par le gouvernement après le vote de la motion de censure. Cette décision est résumée ainsi sur le site legifrance: « Le 9 octobre 1962, le gouvernement, dont la responsabilité avait été mise en cause le 5 octobre précédent par la voie d’une motion de censure, était démissionnaire [même si la dissolution de l’Assemblée avait été prononcée le même jour] et disposait encore du pouvoir pour les affaires courantes. »
Le refus d’un président n’a pas d’effet
« C’est un cas particulier, exceptionnel, explique Mathieu Carpentier, professeur en droit public à l’université Toulouse 1 Capitole, à 42mag.fr. En règle générale, le gouvernement n’est considéré comme démissionnaire qu’à partir du jour où le président de la République accepte cette démission et signe le décret mettant fin aux fonctions du gouvernement. Le cas de l’adoption d’une motion de censure est une exception. Le gouvernement doit absolument démissionner. Même si le président de la République refuse cette démission, cela ne change rien ».
En effet, le gouvernement Pompidou est resté en poste 62 jours après l’adoption de la motion de censure et sa démission. Le véritable record de longévité d’un gouvernement démissionnaire n’est donc pas de 9 ou 38 jours, mais bien de 62 jours. Ce qui est 17 jours de plus que le gouvernement démissionnaire de Gabriel Attal, qui en est à 45 jours de gestion des affaires courantes en ce jeudi 29 août.