Après avoir terminé sa déclaration, ce dirigeant de BFMTV s’est retrouvé confronté à une avocate de la défense, qui l’a accusé de participer à un « procès mené par les médias » visant les prévenus.
« Je fus son gendre, mais aujourd’hui cet homme n’a plus de place dans ma vie. » Ces mots tombent avec une clarté implacable. Aux côtés de sa femme, Caroline Darian, Pierre P. est venu rapporter son témoignage devant la cour criminelle du Vaucluse, ce mardi 8 octobre. Cet homme de 52 ans traverse la salle sans accorder un seul regard à son beau-père, Dominique Pelicot, qui le fixe intensément depuis le box des accusés.
Auparavant, la relation entre Pierre P. et l’accusé principal du procès était très étroite. « J’ai intégré cette famille en novembre 2003, voilà plus de vingt ans. J’ai beaucoup apprécié Dominique, nous partagions des passions communes, comme le sport, et nous passions de longues heures ensemble lors de mes visites chez eux, » déclare-t-il avec assurance, vêtu d’un sobre costume gris. Toutefois, lorsque Gisèle et Dominique Pelicot ont déménagé à Mazan en 2011 pour profiter de leur retraite, les visites se sont faites de plus en plus rares en région parisienne.
« Quand ma belle-mère retournait dans le Vaucluse, il devenait presque impossible de la joindre. C’est toujours lui qui décrochait, » se remémore Pierre P., évoquant la lente descente aux enfers de sa belle-mère, qui s’est dramatiquement amaigrie et avait des absences fréquentes. « Quand elle daignait enfin répondre au téléphone, elle prétendait dormir même en pleine journée, épuisée, disait-elle, » continue-t-il, regrettant d’avoir adhéré à l’explication insidieuse de Dominique, qui justifiait cet état par le fait qu’elle s’occupait trop de ses petits-enfants.
Pour décrire l’état de sa belle-mère, il évoque une conversation téléphonique survenue en janvier 2020. Son fils, âgé de 6 ans à l’époque, appelle Gisèle Pelicot. Elle lui dit : « Tu vas donner des bisous à maman dans son lit. » À quoi le garçon réplique : « Mais non, j’ai déjà vu maman hier. » Confuse, Gisèle répète : « Fais-lui des bisous dans le cou. » Déconcerté, le petit raccroche.
« Son petit-fils préfère le silence »
« Je comprends aujourd’hui que son seul but était de l’emprisonner sous son emprise », constate Pierre P. Il relate le 2 novembre 2020, quand l’impensable leur tombe dessus – ce que Caroline Darian avait appelé « le moment de rupture » peu de temps auparavant. C’est Gisèle Pelicot elle-même qui l’informe. « On croit que le ciel s’écroule, » dit-il, précipite chez son kinésithérapeute où il devait se rendre. « J’étais en retard : j’ai littéralement craqué, » avoue-t-il avant d’ajouter : « mais je me suis relevé depuis. »
Ce soir-là, Pierre P. révèle la sombre nouvelle à sa femme. « Son cri de douleur s’est mué en une rage tenace, » surtout après avoir découvert deux photos compromettantes d’elle sur le disque dur de son père. En réaction, Caroline Darian crée l’association M’endors pas : stop à la soumission chimique, visant à soutenir les victimes. « Elle s’immerge à corps perdu dans ce combat contre la soumission chimique, avec une force incroyable, observe-t-il. C’est un parcours fait de hauts et de bas sans cesse. »
Il explique à son fils qu’il ne pourra plus voir celui qu’il considérait comme un grand-père très cher. Habitués aux taquineries, le petit étant supporter du PSG tandis que son papi soutenait l’OM, la situation est difficile. Dans le box, Dominique Pelicot se cache le visage. « Je dis à mon fils : ‘On peut aller voir un médecin gentil’, poursuit Pierre P. Il répond d’abord par la négative, mais trois semaines après, il confie à sa mère : ‘Finalement, j’en ai besoin’. » Le garçon suit une thérapie durant deux ans.
Avant de témoigner au tribunal, Pierre consulte son fils, désormais âgé de 10 ans, pour savoir s’il souhaite adresser un message à son grand-père. L’enfant semble y réfléchir et demande à ce qu’on lui rappelle la question quelques jours plus tard.« J’ai changé d’avis, » annonce-t-il. « Pourquoi? » demande Pierre P. « Parce que je n’ai plus rien à dire », conclut le garçon. « Son petit-fils préfère le silence », répète le père au tribunal.
« Vous vous égarez, chère consœur »
Antoine Camus, avocat de Gisèle Pelicot, interroge Pierre P. sur son absence de constitution de partie civile. « J’ai traversé plusieurs drames : le suicide de ma mère. Et la mort de mon père dans des circonstances terribles aussi », confie-t-il. « Ces épreuves m’ont donné une forme de défense personnelle très efficace quand j’ai appris ce qui s’était passé. Cela m’a permis de me protéger intensément. »
Nadia El Bouroumi, défenseure, transmet les interrogations de ses clients. « Ils se demandent : ‘Comment a-t-elle pu ne pas s’apercevoir de ce qui se passait ?' » Elle poursuit : « La famille s’inquiétait, des rendez-vous médicaux avaient été fixés, et une simple analyse sanguine aurait détecté la présence de Temesta, Zolpidem,… «
« Vous ignorez quelque chose : l’impensable est inimaginable ».
Pierre P., gendre de Gisèle et Dominique Pelicotdevant la cour criminelle
L’avocate revient sur l’absence de constitution de partie civile et affirme avoir transmis cette information à son collègue, Antoine Camus, pour qu’il pose la question. « Vous vous égarez, chère consœur, » s’exclame l’avocat de Gisèle Pelicot, visiblement dérouté.
La défenseuse poursuit sa diatribe avec verve, critiquant Pierre P. pour les prises de position de BFMTV, la chaîne où il officie en tant que rédacteur en chef matinal. Elle l’accuse « de contribuer à un tribunal médiatique » contre ceux qu’elle défend. « Vous avez communiqué abondamment sur cette affaire parce que vous êtes l’époux de Caroline Darian ! », assène-t-elle, lui reprochant son opposition au huis clos lors de la diffusion des vidéos des accusés. « Ne sommes-nous pas victimes de la confusion engendrée par votre position ? », interroge-t-elle.
« La presse manipulée par la partie civile ! »
L’atmosphère change du tout au tout dans la salle d’audience qui devient lourde de tension. Face à ces accusations, Pierre P. répond posément et explique longuement que BFMTV est au courant de ses implications personnelles, et qu’il relève de multiples hiérarchies avant que les décisions ne soient prises. « Il y a le journaliste et l’homme, de la même manière qu’il y a l’avocat et l’homme. Souvent, comme homme, je suis révolté par votre argumentation de défense. Cependant, en tant que journaliste, j’accepte et respecte cette ligne, les avocats ont toujours eu la parole sur notre antenne », soutient-il.
L’avocate ne se laisse pas décontenancer et réplique en affirmant : « Depuis ce mois, toutes les informations sur votre chaîne dépeignent nos clients et leurs défenseurs comme des monstres, et la présomption d’innocence est bafouée ! », tempête-t-elle. Agacée, l’avocate générale intervient et précise « que cela s’éloigne du sujet principal ». « Ce procès pose de réels défis en matière de communication ! », assène l’avocate. « Vous faites le procès de la presse ! », objecte Antoine Camus. « La presse manipulée par la partie civile ! », rétorque Nadia El Bouroumi.
Le président tente de ramener l’ordre, incitant à « se recentrer sur les questions essentielles de l’affaire ». Après plusieurs minutes de tension intense, l’avocate finit par renouer avec les interrogations liées directement au dossier.
Avec l’autorisation accordée, Dominique Pelicot sollicite un échange avec son gendre. Il descend de son rehausseur pour s’asseoir plus près de la salle. « Tu as compté comme un fils pour moi, » dit-il, des larmes roulant sur ses joues. « Personne d’autre que moi n’est responsable dans la famille, je suis le seul à blâmer », affirme-t-il, le corps affaissé. Pierre P. l’observe, avant de détourner le regard et de boire un long verre d’eau, tournant définitivement la page sur leur relation, coupée depuis 2020.