Les acteurs associatifs de la communauté, interrogés par 42mag.fr, ont exprimé leur déception face à la manière dont le film dépeint le chemin de transition d’Emilia Pérez, personnage central, estimant que l’histoire tombe dans la caricature.
Un Accueil Mitigé Malgré le Succès Retentissant
Le film Emilia Pérez, réalisé par Jacques Audiard, a su séduire de nombreux jurys internationaux, ayant été honoré à Cannes et lors des Golden Globes. Il a réussi l’exploit d’être retenu dans 13 catégories aux Oscars, faisant de lui le film non anglophone avec le plus de nominations de tous les temps. Le mercredi 29 janvier, cette dynamique s’est poursuivie avec l’annonce de ses douze nominations aux Césars. Cependant, malgré ces reconnaissances, le film ne fait pas l’unanimité, notamment auprès de certaines associations. L’œuvre est critiquée par l’organisation américaine Glaad pour dresser, selon elle, un « portrait profondément rétrograde d’une femme trans », soulevant des préoccupations concernant la représentation des personnes LGBT+ dans les médias.
Une Persistance du « Regard Cis »
Cette prise de position de Glaad est partagée par plusieurs associations françaises œuvrant pour les droits des personnes transgenres. Celles-ci, contactées par 42mag.fr, déclarent que le « cis gaze » – un terme désignant la manière dont les individus cisgenres perçoivent les personnes trans – est abondamment présent dans l’œuvre de Jacques Audiard. Morgann Gicquel, présidente d’Espace santé trans, exprime de vives critiques en soulignant que le film part d’un postulat « assez transphobe ». L’histoire est centrée sur la transformation d’une baronne de la drogue mexicaine qui cherche à se repentir. Selon Gicquel, la transition de genre du personnage est exploitée comme un mécanisme narratif pour illustrer un changement de personnalité, une idée qu’elle réfute en affirmant qu’une transition permet de devenir soi-même, pas de se métamorphoser radicalement en une autre personne.
Préjugés et Stéréotypes sur la Transition
L’intrigue, en présentant une héroïne trans qui tourne le dos au crime grâce à sa transition, perpétue un stéréotype inquiétant : celui que les femmes trans utilisent leur féminité dans un but intéressé, affirme Anaïs Perrin-Prevelle, présidente d’OUTrans. Selon elle, cela revient à nourrir une idée fausse de la transidentité comme outil à des fins personnelles, que ce soit pour échapper aux autorités ou triompher dans des compétitions. Le film tend à réduire la transition à une simple série de procédures médicales, un point de vue jugé caricatural par Perrin-Prevelle qui précise que la majorité des personnes transgenres ne perçoivent pas la chirurgie comme leur unique voie vers la féminité, une affirmation soutenue par une étude de l’Agence européenne pour les droits fondamentaux.
Des Représentations Drama et Incomprises
Le parcours tragique d’Emilia Pérez ne fait qu’alimenter une image stéréotypée et biaisée des vies transgenres. Jonas Ben Ahmed, acteur et formateur, regrette que les représentations cinématographiques des personnages trans soient souvent limitées à des destins tragiques ou non satisfaisants, une narration néfaste pour les jeunes trans qui ne voient autour d’eux que des futurs incertains ou tragiques.
Un Symbolisme Potentiellement Néfaste
Les implications d’une telle représentation peuvent être dangereuses, note Jonas Ben Ahmed, surtout face à des discriminations déjà présentes. Une étude danoise récente indique que le risque de tentative de suicide est significativement plus élevé chez les personnes transgenres, ce qui confère à ce type de représentation un potentiel d’influence négatif. Ben Ahmed souligne l’importance de traiter ces sujets avec prudence, car leurs répercussions arrivent au quotidien dans la vie de ces individus.
La Nécessité d’une Intégration Authentique
Malgré un choix applaudi d’embaucher une actrice transgenre, Karla Sofia Gascon, pour incarner le personnage principal, il est vital de laisser les personnes concernées prendre part aux processus créatifs dès l’étape du scénario, soutient Morgann Gicquel, car la méconnaissance ou la malveillance involontaire risquent de compromettre le projet final, particulièrement lorsqu’il s’agit de sujets aussi sensibles.
Un Débat dans un Contexte Social Élargi
Les remous entourant Emilia Pérez s’inscrivent dans un débat social de large portée. Le climat politique tendu aux États-Unis, incarné par le retour de Donald Trump et ses politiques peu favorables aux droits LGBTQ+, replace ce film au cœur d’enjeux plus profonds quant à la visibilité et les droits des personnes trans. Bien qu’Audiard n’ait pas explicitement répondu aux critiques, lors de la cérémonie des Golden Globes, il a dédié ses récompenses « à tous ceux qui se sentent inquiétés », encourageant à persévérer face à l’adversité.
Le film continue de faire débat, soumettant à la réflexion ses intentions et le impact de ses représentations dans un monde en constante évolution quant à la reconnaissance des diversités de genre.