Amélie de Montchalin, qui occupe le poste de ministre des Comptes publics, soutient que l’adoption de la motion de censure a entraîné une révision à la baisse des prévisions de croissance. Selon elle, l’absence d’un budget a également coûté plusieurs milliards à l’État. Toutefois, ces impacts économiques peuvent également être liés à la dissolution de l’Assemblée nationale.
Suite à l’accord trouvé par la commission mixte paritaire concernant le budget de l’État, le Premier ministre François Bayrou a eu recours pour la première fois à l’article 49.3 de la Constitution le lundi 3 février pour faire adopter ce budget sans avoir recours à un vote. La France insoumise a déjà pris l’initiative de déposer une motion de censure, motion que les députés insoumis, communistes et écologistes seraient prêts à appuyer, mais qui ne recevrait pas le soutien des représentants du Parti socialiste et du Rassemblement national. Cette situation pourrait ainsi offrir une certaine tranquillité au gouvernement actuel.
Dans le but de dissuader les parlementaires de soutenir cette censure, plusieurs ministres, dont Éric Lombard (Économie et Finances), Catherine Vautrin (Travail et Santé) et Amélie de Montchalin (Comptes publics), soulignent que la censure intervenue le 4 décembre contre Michel Barnier a eu un coût lourd pour les Français. « Notre réveillon nous a collectivement coûté six milliards dès le 1er janvier et depuis, c’est une perte de 100 millions quotidiennement. Sur deux mois, le total atteint 12 milliards d’euros perdus », a exposé Amélie de Montchalin sur 42mag.fr le 24 janvier.
Cependant, cet argument est contesté par l’opposition. Pour Philippe Brun, député socialiste, il s’agit d’un chiffre extrêmement « exagéré ». « Il ne faut pas exagérer, cette situation n’est pas entièrement la conséquence de la censure. La véritable erreur a été la dissolution décidée par le président. En analysant l’évolution des taux d’intérêt, on constate qu’ils ont fortement augmenté suite à cette dissolution », a-t-il réagi deux jours après sur 42mag.fr. Alors, est-ce que la censure du gouvernement Barnier a vraiment coûté 12 milliards d’euros ?
Un processus de calcul en deux étapes
Pour clarifier cette interrogation, il est crucial de comprendre comment le gouvernement actuel a déterminé ce coût. Selon les informations transmises à 42mag.fr, le cabinet de la ministre responsable des Comptes publics a détaillé le calcul fait par Amélie de Montchalin. « La censure a d’abord eu un impact négatif sur notre trajectoire de croissance », explique son entourage. Lors de son discours de politique générale, François Bayrou a fait savoir que la prévision de croissance pour 2025 avait été ajustée à la baisse, passant de 1,1% à 0,9%. Cette baisse de 0,2 point de PIB correspond à 6 milliards d’euros, d’après le cabinet de la ministre. Selon l’entourage d’Amélie de Montchalin, cette révision à la baisse découle d’une perte de confiance qui aurait ralenti les initiatives d’investissement des entreprises et des foyers français après la censure du gouvernement.
Pour atteindre la somme de 12 milliards d’euros, la ministre a ajouté à ces 6 milliards d’euros supplémentaires le manque à gagner causé par les politiques publiques qui n’ont pas été introduites en raison de la censure. Par exemple, une taxe sur les billets d’avion attendue pour rapporter 1 milliard d’euros et des économies de 900 millions prévus par l’harmonisation de la gestion des arrêts maladie dans la fonction publique n’ont pas été réalisées. Le gouvernement évalue à 6 milliards d’euros ce manque à gagner et ces dépenses additionnelles dues à l’absence de budget au 1er janvier. « Deux mois », car le pays est censé retrouver une situation normale à la mi-février, soit « deux mois après la censure ».
Une évaluation incertaine difficile à quantifier
En ce qui concerne les premiers 6 milliards d’euros relatifs à la diminution de la perspective de croissance, le gouvernement fonde ses calculs en s’appuyant sur plusieurs organismes de prévision et attribue l’instabilité politique au vote de la motion de censure contre Michel Barnier. Cependant, une note de la Banque de France indique que les prédictions ont été réalisées avant la chute du gouvernement, tandis qu’une étude de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) sur l’« effet de l’incertitude politique sur les perspectives de croissance » a vu le jour à la veille de l’adoption de la motion.
« Nous ne savons pas comment cette incertitude a évolué depuis; elle aurait pu stagner, augmenter ou diminuer », note Xavier Timbeau, directeur de l’OFCE. « Il sera délicat de mesurer le coût de l’incertitude pendant la période de censure, et il faudra attendre quelques semestres pour en avoir une idée précise. » Il devient donc hasardeux de déterminer quel impact la chute du gouvernement de Michel Barnier a réellement eu sur la croissance. Anne-Laure Delatte, économiste au CNRS, rappelle que l’incertitude politique ne date pas de la motion de censure.
« L’analyse est biaisée, le véritable choc de cette année, ce n’est pas la censure, mais la dissolution. »
Anne-Laure Delatte, économiste au CNRSà 42mag.fr
Interrogé à ce propos, l’entourage de la ministre Amélie de Montchalin reste sur ses positions et associe l’incertitude à l’absence de budget : « C’est la censure qui en est la cause. » Cependant, quantifier l’influence de l’incertitude politique sur l’économie demeure une tâche ardue, même pour les spécialistes. « Notre modèle est opaque. Nous n’avons pas de mécanisme qui permettrait de lier l’incertitude directement au choix des investissements des entreprises et des ménages », avance le directeur de l’OFCE.
Une confusion des genres
En ce qui concerne la seconde partie du calcul, il est certain que la censure a empêché l’introduction de mesures favorisant des économies pour l’État. « Le gouvernement souhaitait mettre en œuvre un budget pour 2025 supérieur à celui de 2024, mais celui-ci n’a pas été adopté, donc les économies prévues n’ont pu être mises en place », explique Clément Carbonnier, professeur d’économie à l’université Paris 8. Par exemple, la réduction du remboursement des médicaments et la diminution de 5% sur les remboursements de la Sécurité sociale pour les consultations n’ont pas été appliquées, entrainant un manque de 900 millions d’euros d’économies.
En raison de l’absence de l’adoption de la loi de financement 2025, une législation spéciale a été promulguée par Emmanuel Macron le 20 décembre. Dans l’attente de l’adoption d’une nouvelle loi de financement, le budget 2024 a été reconduit sans les ajustements budgétaires prévus initialement. Par exemple, « l’indexation des retraites sur l’inflation a entraîné des dépenses supplémentaires », précise l’entourage de la ministre Amélie de Montchalin.
Pour certains économistes sollicités par 42mag.fr, cumuler les pertes fiscales occasionnées par le refus du budget de Michel Barnier et la révision de la prévision de croissance n’a pas de cohérence. « Les six premiers milliards concernent plutôt l’activité économique, tandis que les autres concernent le budget de l’État; il est étrange de mêler les deux », remarque Xavier Timbeau. « Ils mélangent l’évolution du PIB et le budget de l’État», confirme Anne-Laure Delatte.
Dans l’éventualité où un budget pour 2025 serait adopté, une partie des 6 milliards « perdus » de la deuxième partie de l’analyse pourrait être récupérée. « Cela dépendra des mesures prises; certaines peuvent être rétroactives au 1er janvier, d’autres non », déclare Clément Carbonnier. « Aucun pays ne peut se passer d’un budget, et encore moins la France, » a déclaré François Bayrou à l’Assemblée nationale avant de recourir à l’article 49.3.