Le Rassemblement national a décidé de ne pas soutenir la proposition soumise par le Parti socialiste. Cette proposition critique la tendance à la « trumpisation » du dialogue public et reproche au Premier ministre d’utiliser des expressions autrefois employées par Jean-Marie Le Pen, jugées malheureuses.
Le groupe des socialistes à l’Assemblée nationale a soumis sa propre motion de censure visant le gouvernement dirigé par François Bayrou, tard dans la soirée du lundi, avec un passage en revue prévu à partir de 17h30, ce mercredi 19 février. Alors que par le passé ils avaient refusé de soutenir les motions de censure déposées par l’ensemble de la gauche lors de débats sur les textes budgétaires, les socialistes ont cette fois décidé de franchir le pas. Cette initiative est motivée, selon eux, par le fait que le gouvernement Bayrou aurait permis à l’extrême droite de remporter des « victoires culturelles » indésirables.
Cette démarche s’affiche comme une contestation face à ce que les socialistes appellent la « trumpisation » du débat public, ainsi qu’aux discours évoquant un « sentiment de submersion » migratoire, prononcé par le chef du gouvernement. « Le Premier ministre a repris les propos sinistres de Jean-Marie Le Pen », déplore-t-on dans les rangs socialistes à travers cette motion de censure.
« Il s’agit d’un rappel à l’ordre. Le but est de montrer que même si des compromis sont envisageables concernant les questions budgétaires, les principes juridiques de l’État de droit sont inaltérables », défend le chef du groupe, Boris Vallaud, lors d’une discussion avec le journal Libération.
Un soutien insuffisant
Néanmoins, sauf un retournement inattendu mercredi, la motion de censure ne devrait pas être approuvée, maintenant ainsi en place le gouvernement de François Bayrou. La raison est évidente : le Rassemblement National et ses alliés proches ont décidé de ne pas joindre leurs voix à celles de la gauche pour renverser le gouvernement Bayrou. « Nous ne la soutiendrons pas, car le Parti socialiste l’a proposée dans le seul but de s’en prendre aux propos jugés raisonnables, bien que limités, du Premier ministre », a précisé le porte-parole du groupe RN, Thomas Ménagé, lors d’une émission sur France Inter ce dimanche.
Sur le plan pratique, sans considérer les voix des députés non-inscrits et indépendants du groupe Liot, les quatre groupes de gauche accumulent environ 190 voix, ce qui reste nettement inférieur au seuil requis de 289 voix pour qu’une motion de censure soit rédigée avec succès.
La France insoumise raille une manœuvre inutile
D’autres groupes à gauche critiquent la tactique socialiste de déposer une motion vouée à l’échec. Entre autres, La France insoumise, qui a intensifié le dépôt de motions de censure durant l’examen des lois budgétaires afin de mettre la pression sur le gouvernement et tester la loyauté de ses anciens alliés. « Les socialistes ont créé une belle invention : une motion de censure qui ne cherche pas véritablement à censurer le gouvernement. Nous voterons pour, tout en sachant qu’elle vise simplement à dissimuler le fait qu’ils ont soutenu le gouvernement à cinq reprises sans censure préalable », a déclaré Mathilde Panot, la dirigeante du groupe LFI, lors d’une conférence de presse tenue ce mercredi matin.
Au-delà de la manœuvre du PS, d’autres représentants de la gauche émettent des réserves quant au contenu de la motion soutenue par leurs collègues socialistes. « C’est une motion de censure façon SOS Racisme, prônant des valeurs énoncées de manière vague, sans réellement attaquer le terreau du RN », a dénoncé Stéphane Peu, du groupe communiste Gauche démocrate et républicaine (GDR), lors d’une rencontre avec la presse.
« Nous appuierons cette motion de censure, mais le combat contre l’extrême droite exige un niveau de détermination plus élevé. »
Stéphane Peu, député communisteà l’Assemblée nationale
Face aux remarques de ses partenaires de gauche lui reprochant de ne plus s’opposer vigoureusement au gouvernement Bayrou, le PS essaie de justifier sa nouvelle position d’équilibre. « Cette motion illustre clairement notre position : notre ancrage à gauche et notre opposition sans concessions à ce gouvernement. Nous sommes dans une opposition pragmatique prête à des compromis, mais intransigeante sur les principes », explique le député Arthur Delaporte à 42mag.fr.
Le socialiste préfère diriger ses critiques contre le RN : « Cette motion mettra en lumière la duplicité du RN et ses changements de position. Ils ont déjà voté pour la censure en décembre sur un texte critiquant l’extrême droite, et maintenant, ils prétendent qu’ils ne soutiendront pas cette motion. » Dans le texte de la motion qui avait conduit à la chute de Michel Barnier, au début de décembre, le Nouveau Front populaire constatait que le Premier ministre s’était « plié aux pires obsessions de l’extrême droite, introduisant une nouvelle loi sur l’immigration, poursuivant ainsi la débâcle morale et politique de l’an dernier ».
Quant au camp présidentiel, il ignore cette motion de censure qualifiée de « théâtrale ». Pieyre-Alexandre Anglade exprime son dédain en ces termes : « C’est absurde, nous perdons trois heures de débat parlementaire alors qu’il y a des enjeux internationaux urgents auxquels il faut répondre », critique le député d’Ensemble pour la République (anciennement Renaissance), tandis que l’Europe se retrouve marginalisée par les États-Unis et la Russie au sujet du conflit en Ukraine.