Criticant un « désastre », les membres du sénat réprimandent fortement l’interprétation de l’ex-ministre adjointe à la Citoyenneté, responsable de la mise en place de ce système en 2021.
Un profond réquisitoire a été rendu contre un projet gouvernemental, considéré comme un « désastre » complet. Deux mois après avoir commencé leurs travaux sur le fonds Marianne, la commission d’enquête du Sénat a livré ses conclusions le 6 juillet au sujet de ce mécanisme supposé contrer les discours séparatistes. Ce dispositif a été largement décrié depuis les révélations de France 2 et du magazine hebdomadaire Marianne en fin mars. Dans leur rapport, les sénateurs blâment la gestion politique de ce projet porté par Marlène Schiappa, ancienne ministre déléguée à la Citoyenneté et actuelle secrétaire d’Etat chargée de la Vie associative. « La réalité est indéniable : nous sommes face à un dérapage politique », a déclaré le sénateur Jean-François Husson (Les Républicains) lors de la conférence de presse. 42mag.fr a résumé les principaux éléments de ce rapport déconcertant de 195 pages.
Un fonds mis en place « dans la précipitation »
Le fonds Marianne a été critiqué pour sa mise en œuvre extrêmement rapide au début de 2021, suite à l’assassinat de Samuel Paty. Selon le préfet Christian Gravel, responsable de la mise en place de ce dispositif, une « consigne politique émanant de la ministre » avait exigé son lancement avec un calendrier compressé. « Les délais serrés n’ont pas semblé être un obstacle », avait rétorqué Marlène Schiappa en juin.
Dans leur rapport, les sénateurs estiment au contraire que « l’appel à projets a été conçu et lancé à une vitesse telle que les porteurs de projets n’ont pas disposé du temps nécessaire pour réfléchir à un sujet aussi complexe ». « Il était essentiel de prendre le temps de réfléchir aux conditions de mise en place d’un cadre d’action clair pour ces entités et de leur laisser le temps de présenter des projets complets et bien pensés », soulignent les élus. Selon eux, la phase de lancement du fonds Marianne s’est déroulée « dans la précipitation ».
Un processus de sélection des projets « baclé et opaque »
Dans leur rapport, les sénateurs critiquent sans ménagement la composition du jury en charge de sélectionner les laureats du fonds. « L’absence d’une personnalité compétente extérieure à l’administration en charge du dossier et au cabinet de la ministre est déplorable », stigmatise le rapport. « Les conditions n’étaient pas réunies pour garantir la qualité des décisions et leur impartialité ».
Ces difficultés, ajoutées au « manque de critères objectifs de préselection des candidatures à l’appel à projets », renforcent un « sentiment d’improvisation » qui émane du dossier. Pour résumer, le processus de selection des projets a été « baclé, opaque et fragmenté », accusent les sénateurs.
Un « rôle actif » en faveur de Mohamed Sifaoui
L’entourage de Marlène Schiappa aurait-il privilégié l’association de Mohamed Sifaoui ? Cet ancien journaliste, codirigeant l’USEPPM (Union des sociétés d’éducation physique et de préparation militaire), bénéficiaire d’une allocation de 355 000 euros en dépit d’un dossier jugé très léger, a eu « au moins trois rendez-vous entre mars et avril 2021 » avec le cabinet de la secrétaire d’État, rappellent les sénateurs.
Ceux-ci soutiennent que Mohamed Sifaoui a été fermement encouragé par le cabinet à soumettre son projet. « Encourager une personne à soumettre un dossier ne signifie pas que nous allons le soutenir », avait rétorqué Marlène Schiappa lors de son audition. « L’autorité politique a ensuite joué un rôle actif dans le traitement de la demande de l’USEPPM », souligne le sénateur Jean-François Husson dans son rapport.
Une décision arbitraire contre SOS Racisme
Les sénateurs critiquent une procédure où « le politique a outrepassé son rôle ». Un fait vient particulièrement illustrer leur affirmation : Marlène Schiappa s’est vu reprocher d’être intervenue personnellement, fin mai 2021, pour retirer une subvention de 100 000 euros à l’association SOS Racisme.
Lors de son audition, elle a contesté cette affirmation, reconnaissant simplement avoir donné un « avis défavorable ». Mais les sénateurs démontent la version de la secrétaire d’État. La subvention de 100 000 euros, decidée en comité de sélection, a été annulée par un e-mail de son cabinet, sans explication convaincante. « Qu’une association soit écartée par un simple e-mail du cabinet est loin d’être satisfaisant », déplorent-ils. Pour Jean-François Husson, cela « relève de l’arbitraire ».
Lors de son audition, Marlène Schiappa avait déclaré avoir écarté SOS Racisme parce que son projet n’accordait pas assez d’importance aux activités sur les réseaux sociaux. Pourtant, celui de l’association qu’elle a finalement choisie, mere bénéficiaire d’une subvention de 20 000 euros cette fois, « ne repose en aucune manière sur des actions sur les réseaux sociaux », remarquent les sénateurs. « Je pense pouvoir affirmer que, du moins sur ce point, la ministre a omis de dire la vérité », assène Jean-François Husson.
Des « interférences » à prévenir pour l’avenir
Pour mieux encadrer le financement des associations, les sénateurs avancent une douzaine de recommandations, dont l’instaution d’un délai de deux mois pour les réponses aux appels à projets nationaux. Ils suggèrent de fixer des objectifs chiffrés aux projets des associations subventionnées, et de fragmenter les paiements pour permettre des retenues financières en cas d’insuffisance par rapport aux exigences fixées par l’Etat.
Les sénateurs recommandent également d’inclure des « personnalités compétentes extérieures » au comité de programmation du Fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (FIPDR), possédant une expertise « en matière de prévention de la délinquance et de lutte contre la radicalisation et les discours séparatistes ». Ils souhaitent en outre interdire « toute ingérence du cabinet d’un ministre dans l’examen des dossiers de subvention ».
Finalement, bien que l’avis des sénateurs soit purement consultatif, ils ont saisi le Parquet national financier (PNF) d’un complément d’information, en lui transmettant notamment les comptes-rendus de leurs auditions et plusieurs documents obtenus au cours de leur enquête. Le PNF avait ouvert le 4 mai dernier une information judiciaire pour « détournement de fonds publics par négligence », « abus de confiance », et « prise illégale d’intérêts ».