L’Allemagne et la France s’opposent à la proposition présentée par la Commission européenne, ce qui entrave les débats sur une directive se concentrant sur la lutte contre les violences infligées aux femmes.
L’unification de la définition du viol au sein de l’espace européen est-elle envisageable ? Cette question s’est retrouvée au coeur des débats ce mercredi 13 décembre, notamment lors des discussions entourant une directive visant à lutter contre la violence à l’égard des femmes. Selon l’article 5 de cette proposition, la définition du viol serait basée sur l’absence de consentement. Cependant, cette notion ainsi que l’harmonisation de celle-ci au sein des nations de l’Union Européenne font l’objet d’intenses discussions.
En France, un pays qui se prononce contre l’idée que le viol ne soit plus de la responsabilité des États, de nombreux acteurs demandent une évolution du droit national sur ce sujet particulier. 42mag.fr aborde la question en répondant à quatre interrogations essentielles.
Qu’est-ce que ce projet européen propose ?
Cette directive européenne a pour objectif d’aligner les législations ainsi que les réponses pénales des 27 États membres concernant la violence faite aux femmes et la violence domestique. Les thèmes centraux des débats incluent entre autres le viol, les mutilations génitales, la divulgation de vidéos intimes et le harcèlement en ligne.
En ce qui concerne le viol, la Commission européenne suggère, dans le texte présenté le 8 mars 2022, que « l’absence de consentement devrait être un élément central et constitutif de la définition du viol, étant donné que fréquemment, le viol est perpétré sans violence physique ni usage de la force ». « Un consentement initial devrait pouvoir être retiré à tout moment durant l’acte, dans le respect de l’autonomie sexuelle de la victime, et ne devrait pas signifier automatiquement le consentement à de futurs actes », ajoute le texte. Pour rappel, de nombreux États membres requièrent encore l’usage de la force, des menaces ou une contrainte pour caractériser un crime de viol. « D’autres États membres basent leur approche seulement sur la condition que la victime n’ait pas consenti à l’acte sexuel ». « Seule cette dernière approche permet la protection complète de l’intégrité sexuelle des victimes », selon l’estimation de l’institution basée à Bruxelles.
Où en sont les discussions ?
En juin, les États membres ont opté pour l’exclusion de l’article 5 du projet de la Commission, traitant des « infractions de viol à l’encontre des femmes ». Bien que le Parlement européen ainsi qu’une majorité de pays (Espagne, Belgique, Grèce, Suède, Italie entre autres) partagent cette optique, une dizaine d’autres, dont la France et l’Allemagne, se montrent réticents à intégrer le viol dans la législation.
Au terme d’une quatrième session de négociations entre les représentants du Parlement et des pays de l’UE, mercredi, les onze députées européennes impliquées dans ce dossier, de différentes obédiences politiques, ont manifesté leur « profonde déception et indignation » face à la « position intenable » du Conseil européen (c’est-à-dire les dirigeants des États membres).
Evin Incir, députée européenne suédoise (groupe Socialistes & démocrates), corapporteuse du texte, a dénoncé lors d’une conférence de presse les pays qui « trouvent des excuses pour ne pas agir », soulignant « l’impunité » dont bénéficient les auteurs de viols. Elle fait référence par exemple à l’Allemagne qui a modifié en 2016 sa définition du viol, basée sur le principe que « non, c’est non ». Cependant, elle rétorque que « ne pas pouvoir dire non ne signifie pas que vous avez dit oui ».
Du côté du groupe PPE (droite), Nathalie Colin-Oesterlé, députée européenne française, exprime sa frustration face à l’échec des pourparlers. « Depuis le début de ces négociations en juillet dernier, 33 000 femmes ont déjà été victimes de viol en Europe, déplore-t-elle. Nous n’accepterons pas une loi au rabais. » Les débats doivent reprendre en janvier 2024.
Quels sont les arguments des détracteurs du texte ?
Pour les pays refusant le texte, le viol ne possède pas l’aspect transfrontalier requis pour être considéré comme un « eurocrime » pouvant donner lieu à une harmonisation de la législation au niveau européen. Actuellement, seules les infractions évoquées à l’article 83 du traité sur le fonctionnement de l’UE sont concernées : le terrorisme, la traite des êtres humains et l’exploitation sexuelle des femmes et des enfants, le trafic illégal de drogues, le trafic illégal d’armes, le blanchiment d’argent, la corruption, la contrefaçon de moyens de paiement, la cybercriminalité et la criminalité organisée. Paris et Berlin pensent également qu’il existe un risque que le texte soit invalidé en cas d’appel devant la justice européenne.
En outre, certains pensent qu’intégrer la notion de consentement dans la définition du viol serait contre-productif. En France, où le Code pénal définit les viols comme des actes perpétrés par « violence, contrainte, menace, ou surprise », la philosophe Marion Garcia estime que « cette notion est traversée par des représentations hétérosexistes » : « On pense que le consentement est l’affaire des femmes, qui doivent choisir d’accepter ou de refuser les assauts sexuels des hommes », écrit-elle dans une tribune publiée mardi par Le Monde. « Si l’on définit légalement le viol par le non-consentement, on considère que c’est le comportement de la victime qui fait le viol et non celui du violeur », ajoute-t-elle.
Que disent les partisans d’une modification de la loi ?
Dans une autre tribune publiée le même jour par Le Monde, un collectif rassemblant des avocates, des écrivaines et des juges affirme que c’est « la définition actuelle » du viol, supposant « un consentement implicite à tout acte sexuel », qui » véhicule des stéréotypes persistants. Le texte [de loi] nous dit en effet que seuls les actes commis par ‘violence, contrainte, menace, ou surprise’ sont des viols. ».
Selon les signataires, « dans la majorité des situations, l’agresseur est connu de la victime. Pour agresser, il se basera plus souvent sur l’état de choc de la victime, sur sa vulnérabilité, sur sa précarité, sur des rapports de domination ou sur une contrainte morale… Mais notre droit n’oblige pas les magistrats à tenir compte de ces facteurs démontrant l’impossibilité pour la victime d’exprimer une volonté libre ». Pour le collectif, il n’y a « aucune raison juridique, morale, historique » pour que la France s’oppose à ce que le viol soit visé dans cette directive européenne: « Nous demandons que cette obstruction cesse. »
Des personnalités interpellent régulièrement Emmanuel Macron à ce sujet. L’eurodéputé français Raphaël Glucksmann (gauche) regrette que « 14 États membres, dont la France, la Pologne et l’Autriche, maintiennent encore des définitions démodées basées sur la violence physique, la menace ou la coercition ». Les appels proviennent désormais du sein même de la majorité présidentielle: les 23 parlementaires français membres du groupe Renew Europe estiment, également dans une tribune publiée mardi par Le Monde, que « les argumentaires juridiques byzantins avancés par les États membres donnent l’impression d’une déconnexion totale avec la souffrance vécue par les victimes ».
Ainsi, l’explication de Paris et Berlin, selon laquelle le viol ne fait pas partie des « eurocrimes », ne fait pas l’unanimité. Le Parlement et la Commission estiment, quant à eux, que le viol peut être classifié comme une forme d' »exploitation sexuelle des femmes ».