Chaque semaine, Clément Viktorovitch jette un regard neuf sur les discussions et le contexte politique du moment. Le dimanche 14 janvier dernier, c’est le thème du « réarmement » qui a été abordé. Il s’agit d’une idée mise en avant par le Président de la République au cours de ses vœux et que l’on a pu entendre plusieurs fois depuis, notamment de la part du tout récent Premier ministre, Gabriel Attal.
Le concept du « réarmement » marque la rentrée politique
Un nouveau terme semble donner le ton pour la politique de cette rentrée : le « réarmement ». En effet, c’est le mot employé par Gabriel Attal, le Premier ministre, dans un de ses premiers messages postés sur le réseau X: « Un objectif : maîtriser notre destinée, exploiter le potentiel français et réarmer notre nation ». Quelques heures plus tard, sur le même réseau, le président de la République a aussi utilisé ce terme.
Cher @GabrielAttal, je sais pouvoir compter sur votre dynamisme et votre dévouement pour réaliser le projet de réarmement et de rénovation que j’ai annoncé. Fidèles à l’esprit de 2017, dépassement et audace, au profit de la Nation et du peuple français.
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) January 9, 2024
Origine de l’utilisation du terme « réarmement »
Bien sûr, l’emploi premier de ce terme a été lors des voeux duprésident de la République aux Français. Il a même été utilisé à de nombreuses reprises : huit fois en l’espace d’un discours de 13 minutes seulement.
Côté rhétorique, on peut parler d’une épanalepse de structure, ce qui signifie répéter un mot ou une formule dans chaque phrase ou chaque paragraphe. Ce procédé donne à l’intervention une sensation d’unité. Le terme pivot devient un élément central qui lie tout. Ainsi, après avoir écouté Emmanuel Macron, on est amené à penser que chaque fragment de sa politique vise un objectif commun : le réarmement de la Nation.
Une réelle stratégie politique ou une manipulation discursive ?
La réponse à cette question dépend de l’existence ou non d’une réelle réflexion politique et idéologique derrière les actions du gouvernement. Une réflexion qui vise à atteindre un objectif commun et à le décliner dans chaque ministère. Si tel n’est pas le cas, le terme « réarmement » pourrait sembler suffisamment imprécis pour englober toutes les décisions prises par le gouvernement, quelles que soient ces dernières.
Le terme « réarmement » est métaphorique : les services publics et l’économie ne peuvent pas se « réarmer », ils peuvent seulement se renforcer. C’est une métaphore avec laquelle on ne peut qu’être d’accord. Qui souhaiterait affaiblir le système de santé ou l’industrie ? Le réarmement reste en réalité vague. Comment réarmer, quelles seront les priorités, et quel sera le coût de cette opération ? Le président ne donne pas encore de réponses à ces questions.
Ce qui se cache politique derrière ce terme
Je tiens à citer ici un livre intéressant publié en 2021 par le linguiste Damon Mayaffre : Macron ou le mystère du verbe. Grâce à l’intelligence artificielle, il a pu identifier les mots les plus représentatifs du discours du chef de l’Etat. Plus qu’un simple ensemble de mots, l’IA a identifié un préfixe « re » comme étant omniprésent dans le discours de Macron. En effet, réviser ,rebâtir, refonder, recréer et désormais réarmer font partie de son langage. Or, ce préfixe « re » évoque moins une nouveauté qu’un retour à un état antérieur.
D’autre part, cette métaphore de « réarmement », malgré son imprécision, n’est pas insignifiante. Elle correspond parfaitement à la conjoncture actuelle, marquée par deux guerres internationales majeures, en Ukraine et à Gaza. Pour le président de la République, c’est également une façon d’appeler à l’unité nationale. De plus, le terme « réarmement » charrie des valeurs d’ordre et d’autorité, ce qui nous en dit plus sur l’image que le président souhaite véhiculer. Une image qui pourrait, cependant, ne pas plaire à tous.
Pour conclure, derrière ces mots, on peut percevoir une forme d’exaltation d’une France révolue, vue comme un âge d’or, qu’il serait question de retrouver. Quand on analyse le discours du président, on y trouve une forme de nostalgie, une tendance conservatrice, malgré son discours axé sur le « nouveau monde », l’innovation etc. Le concept de « réarmement » entre parfaitement dans cette logique. De ce fait, on peut se demander s’il n’est pas représentatif de ce que pourrait être aujourd’hui l’idéologie fondamentale du macronisme, c’est-à-dire l’autorité et le conservatisme.