Au cours des années 2010, plusieurs militaires sont suspectés d’avoir avantagé une entreprise dans le cadre de l’octroi de divers contrats de logistique relatifs aux missions extérieures de l’armée française.
Dès lundi 9 septembre, et jusqu’au 25, douze individus, dont trois officiers généraux, six officiers supérieurs et deux dirigeants d’une entreprise de transport aérien, comparaîtront devant la 32e chambre du tribunal correctionnel de Paris. Ils sont accusés de diverses infractions, notamment de favoritisme dans l’attribution de marchés publics, de corruption, d’abus de biens sociaux, de prise illégale d’intérêt et de violation du secret professionnel. Ces accusations laissent entendre que le secteur du transport militaire aérien aurait été profondément entaché par ces pratiques illicites durant une certaine période.
Cette période est marquée par l’absence d’avions de transport modernes comme l’Airbus A 400M dans l’arsenal des armées françaises. Pour les missions de grande envergure, telles que le déploiement en Afghanistan durant les années 2000, les forces armées se tournaient vers des entreprises de transport privées équipées principalement d’avions soviétiques, comme l’Iliouchine Il-76 ou l’Antonov An-124, capable de transporter près de 100 tonnes de matériel.
Ce procédé n’était pas propre à la France; hormis les États-Unis, qui disposaient de leurs propres avions de transport lourd, les autres nations adoptaient des solutions similaires. Par exemple, les avions Iliouchine et Antonov étaient également employés par les Nations Unies pour transporter le matériel des casques bleus ainsi que par plusieurs pays membres de l’OTAN n’ayant pas de capacités de transport lourd, et ce, depuis les années 1990.
Un acteur clé dans les soupçons de corruption
En ce qui concerne la France, une petite entreprise basée en région parisienne, International Chartering Systems (ICS), jouait un rôle d’intermédiaire en répondant aux appels d’offres du ministère des Armées. Elle mettait à disposition des appareils appartenant à des compagnies ukrainiennes ou russes (souvent étroitement liées à l’armée de l’air russe) pour des missions de transport de matériel. Entre 2011 et 2015, ICS aurait contracté pour 175 millions d’euros auprès du ministère des Armées, selon les estimations de la Cour des comptes, dans le cadre du transport de troupes et de matériels.
Cet ensemble de soupçons de corruption tourne autour des contrats adjugés à ICS par les militaires. ICS était quasi systématiquement choisie, devant même parfois Salis, une société mandatée par l’OTAN, à laquelle l’armée française avait préacheté des centaines d’heures de vol, générant ainsi des surcoûts significatifs que le Parquet national financier (PNF) estime à hauteur de 16 millions d’euros. Les militaires justifient cependant leur choix par la nécessité urgente d’avoir un prestataire flexible et réactif face à la multitude d’opérations extérieures de l’époque, au Mali, en Centrafrique ou en Irak et Syrie contre Daesh.
Dans son avis remis au PNF, le ministère des Armées a demandé à prendre en compte la pression exercée sur leurs services à cette époque, soulignant que mise à part l’implication directe du colonel Philippe Rives, alors chef d’État-major du centre de soutien des opérations et des acheminements (CSOA), aucun autre militaire n’avait tiré un avantage personnel des faits de favoritisme. En revanche, les accusations de corruption passive et de prise illégale d’intérêt pèsent lourdement sur le colonel Rives, qui après avoir favorisé ICS pendant deux ans, a ensuite été embauché comme directeur adjoint de cette société. À l’époque, la commission de déontologie des militaires avait examiné ce changement de poste rapide sans émettre de réserves.