C’est la photo dont tout le monde parle. Laquelle ? Celle de ce légionnaire français, prise par un photographe de l’AFP, en marge des opérations militaires française au Mali. L’état-major s’empare de l’affaire, et les rédactions parisiennes de titrer, sottement, « la photo qui fait polémique ». Aux dernières nouvelles, le métier des soldats serait de tuer. Enquête.
Cela va faire près de 48 heures que les sites d’informations les plus consultés se tirent la bourre à grands renforts de titrailles toutes plus ridicules les unes que les autres. « Soldat à la tête de mort : la photo qui fait la polémique » (nouvelobs.com). « Mali : une photo qui fait polémique » (lefigaro.fr). « Mali : polémique autour de la photo du soldat français » (rtl.fr). Bref, 48 heures que les médias de tous bords plastronnent en chœur tout et n’importe quoi à propos de cette histoire. Parce que l’état-major des Armées claironne que c’est mal pour un soldat d’afficher un total-look tête-de-mort, il faudrait que l’ensemble des journaux se mette au garde-à-vous et que des civils s’alignent sur le discours d’un gradé ?
« Brrr ! Un soldat, armé d’un Famas ! »
Il faut croire que oui, vu l’analyse livrée par liberation.fr à ce sujet : « Éclairé par la lumière qui traverse les feuilles des arbres, le soldat se tient droit, tenant fièrement un Famas (notez le lyrisme du rédacteur, ndlr). Jusque-là, rien d’extraordinaire, nous sommes dans la mise en scène classique de la guerre sauf qu’au lieu de porter une simple cagoule pour se protéger des vents de sable un foulard tête de mort cache son visage. L’image devient d’un coup violente, le message que l’homme véhicule est très clair : je suis venu apporter la mort. » Brrr ! Un soldat, armé d’un Famas ? Venu apporter la mort ? Wow, ça c’est du scoop, coco ! On a juste envie de te demander, ami journaleux : mais que vient faire la cagoule là-dedans, hein ? T’as beau être en marcel-calbut, si tu tiens un Famas entre tes mains et que t’es là pour dézinguer des insurgés, il y a d’assez fortes chances pour que ta capacité de destruction reste identique, non ?

Tintin au Congo, c’était en 1931
Selon ce billet de Jean-Dominique Merchet publié sur marianne.net, un foulard orné d’une tête de mort renverrait, rien que ça, aux « guerrier du Liberia et de Sierra Leone, qui aimaient se déguiser de manière effrayante, mêlant des références contemporaines et des pratiques de sorcellerie. Ces milices commirent d’épouvantables crimes là où elles sévirent. Autre référence plus ou moins explicite, le vaudou. Autant dire qu’il faut mieux manier ces images avec prudence sur le continent africain. » En admettant que la finalité de ce masque soit de filer la pétoche, est-il choquant qu’un légionnaire veuille faire peur à l’ennemi ? Qu’aurait-il dû porter à la place ? Un masque de Shrek ? Le légionnaire a commis une erreur gravissime ? Si l’on suit ce raisonnement, les soldats américains qui dessinaient des mâchoires de requin sur leur avion de chasse en 39-45, histoire d’intimider les japonais, déshonoraient l’éthique militaire ? En face de ce légionnaire, il y a sans doute des djihadistes déterminés, surarmés, prêts à mourir. Au moment d’échanger des coups de feu, les soldats pensent-ils à cette histoire de tribalisme ? Tintin au Congo, c’était en 1931.
Nous apprenons ensuite que le foulard en question n’est « pas une pièce d’uniforme réglementaire, mais un produit dérivé d’un jeu vidéo de guerre extrêmement populaire, Call of Duty. Il représente le masque du lieutenant Simon « Ghost » Riley. » Vrai. Il semble que l’on ait affaire à la cagoule de Ghost, l’un des personnages de Call of Duty Modern Warfare 2.
Ramassis de sophismes
Du coq à l’âne : « la guerre réelle et la guerre fantasmée se percutent sur cette image. Les jeunes militaires d’aujourd’hui jouent aux jeux vidéos (ça s’écrit jeux vidéo mais tant pis, ndlr) depuis leur enfance. La première version de Call of Duty date de 2003 – quel âge avait alors le militaire pris en photo ? Une quinzaine d’année sans doute… L’ attrait des engagés pour le métier des armes doit plus aux jeux de guerre qu’à la lecture des récits de Dien Bien Phu, qui peut en douter ? » Qui ? Bah, nous, pour commencer. Qui peut affirmer avec certitude que l’attrait de l’armée, la fibre patriotique, n’a pas joué dans l’esprit du légionnaire au moment d’apposer son paraphe ? Il s’agit à nouveau de faire avaler la même rangaine absurde faisant des jeux vidéo la cause de toute la violence du monde…
« Bientôt, on trouvera des journaleux assez cons pour prétendre que la guerre au Mali, c’est la faute des jeux vidéo. »
Que nombre de jeux ne soient pas neutre idéologiquement, nous l’avons déjà démontré il y a quelques mois. C’est par ailleurs l’apanage de nombreux « produits culturels ». Mais bientôt, on trouvera des journaleux assez cons pour prétendre que la guerre au Mali, c’est la faute des jeux vidéo. Tous ces titres d’articles de chiotte, et tous ces sophismes à la mords-moi-le-nœud pour quoi ? Pour que l’auteur de la photographie, Issouf Sanogo, révèle in fine que le port de ce foulard par le légionnaire était purement conjoncturel. Eh ouais : le type cherchait juste à se préserver des poussières balayées par le rotor d’un hélicoptère qui passait pas loin. End of story, les mecs.
Le billet se conclue en remarquant que cette photographie est « très forte, très belle ». C’est vrai. Quoi que l’on pense de la guerre, il faut bien reconnaître que cette photo est magnifique. Et qu’il faut être sévèrement burné pour saisir ces instants-là. Plus encore pour les vivre.