Dans un monde ravagé par les méfaits d’une musique insipide, où les standards dictés par les majors régissent la création artistique, un groupe fait encore office d’irréductible : Queens of the Stone Age. Après six ans d’absence, ils reviennent avec un nouveau titre, My God is the Sun, joué en exclusivité durant l’édition brésilienne du Lollapalooza et depuis peu sur tous vos murs Facebook. Fondé en 1996 par ce génie de Josh Homme, le groupe aux multiples étiquettes – hard rock, rock alternatif ou encore robot rock selon son leader – est appelé à confirmer son statut de groupe incontournable en juin prochain.
Comme le veut l’usage chez les artistes suscitant passions et dévotion, l’attente entre deux albums est interminable. QOTSA ne déroge pas à la règle en nous faisant poireauter depuis six ans, sans oublier de nous donner quelques nouvelles. C’est un autre attrait du procédé d’attente que nous avons là, celui de distiller des infos sur la venue d’un futur album, de donner une date et de repousser, encore et encore. Frustration quand tu nous tiens.
La bande de Josh Homme annonce donc qu’ils travaillent sur un nouvel album dès 2008, puis en mars 2011, Homme s’entretient avec le Guardian et annonce le retour des Queens. En mai de la même année, cette fois, c’est au micro de BBC Radio 1 qu’il annonce la venue de l’album pour fin 2012. Vient alors le temps des réseaux sociaux et avec lui, les annonces par statut Facebook. Le groupe déclare donc l’enregistrement du prochain effort en cours, le 20 août dernier, avant de publier une photo de la table de mixage le 6 novembre, sur laquelle on peut voir que le fameux Dave Grohl (Nirvana, Foo Fighters) s’occupera de la batterie. La frustration laisse désormais place à l’excitation.
« Le groupe déclare donc l’enregistrement du prochain effort en cours, le 20 août dernier, avant de publier une photo de la table de mixage le 6 novembre, sur laquelle on peut voir que le fameux Dave Grohl s’occupera de la batterie. »
Le mercato de l’âge de pierre
Si la team QOTSA prenait un avocat pour se défendre de cette attente sans fin, le bougre plaiderait sûrement coupable mais avec circonstances atténuantes. On peut se rendre compte que le groupe ne s’articule qu’autour de l’emblématique Josh Homme. Le seul à avoir participé à tous les albums – en dehors de Homme – n’est autre que le producteur Chris Goss.
Un véritable mercato s’instaure alors au sein de la formation. Exemple marquant avec l’éminent Dave Grohl, présent à la batterie sur l’album Songs for the Deaf, absent des deux suivants et annoncé pour le prochain. On note aussi le départ du bassiste Nick Oliveri, viré suite à une rumeur disant qu’il battait sa femme… Mais trêve d’énumération, les faits sont là : Homme gère son groupe comme une équipe de foot et pour l’instant, si c’est un carton plein, c’est également un facteur ralentissant dans la préparation d’un album.
« Homme gère son groupe comme une équipe de foot et pour l’instant, si c’est un carton plein, c’est également un facteur ralentissant dans la préparation d’un album. »
Josh Homme incarne donc littéralement QOTSA. Le monsieur porte le groupe à bout de bras, en tire toutes les ficelles. Il sait s’entourer, c’est vrai, des meilleurs, et ne dénigre pas l’importance du groupe en lui-même dans le processus de création. Seulement, il semble évident que Homme inocule – pour ne pas dire impose – sa vision de la musique à la formation, sa conception tranchée de ce que doivent donner leurs sonorités. Mais si c’est le cas, intéressons-nous de plus près au personnage lui-même, à son œuvre et à ce qu’il semble vouloir accomplir.
Le passage de relai
Lorsqu’on naît comme Josh Homme en 1973, époque bénie des dieux de la sacro-sainte musique rock, on tombe forcément tout gosse dans la marmite. Mais qui dit tomber dans la marmite ne veut pas forcément dire s’y noyer, preuve en est avec le petit Josh, qui en plus d’être un fan invétéré de Led Zeppelin, finira par monter en 2009 Them Crooked Vultures avec l’un d’entre eux : le bassiste John Paul Jones. Quitte à mélanger les générations, Homme ne fait pas les choses à moitié puisqu’il convie à ce projet son pote Dave Grohl, batteur de Nirvana. Cette anecdote significative pourrait servir de ligne conductrice à une biographie du bonhomme. Exemple même de la mission qu’il semble s’être donné, en portant le poids d’un héritage musical aussi riche, de se l’accaparer avec ses multiples formations et de le transmettre au travers de ses collaborations avec de jeunes groupes tels que Arctic Monkeys, par exemple, dont il assure en partie la production de l’album Humbug – sur lequel l’influence du frontman des Queens of the Stone Age est indubitable.
Premiers ébats avec la musique, premiers succès. Avant même la formation de QOTSA, en 1989, Homme est leader du groupe Kyuss – dont le dernier album est d’ailleurs un split réunissant trois de leurs titres et trois autres des Queens. En l’espace de six albums, Kyuss atteint le statut de groupe emblématique du stoner rock, étiquette que Homme dénigrait volontiers au profit de celle de desert rock. À noter qu’avant cela, Homme s’était déjà fait remarquer avec le groupe Mondo Generato, qu’il avait monté avec Nick Oliveri au cours des 90’s. Leur premier album, Cocaine Rodeo, ne sortit qu’en 2000 puisque les deux larrons avaient laissé le groupe de côté pour s’occuper justement de QOTSA.
Homme joue alors sur tous les plans, montant sans cesse de nouveaux projets. On peut penser qu’il cherche à atteindre à travers cette multiplication des formations une inaccessible étoile, un son spécifique et définitif, une certaine alchimie qu’il ne saurait trouver dans le carcan d’un seul groupe. Il multiplie donc les expériences, toujours visant cet idéal obscur que lui-même ne cerne peut-être pas.
« Au cours de ces sessions, on a pu voir défiler des grands noms du milieu, des familiers Dave Grohl et Nick Oliveri à PJ Harvey. »
En 1998, Josh Homme commence à organiser les Desert Sessions. Il réunit ses potes au Rancho de la Luna et expérimente la musique entre deux prises de peyotl. Afin de légitimer ces bœufs psychédéliques, cette joyeuse bande de rockeurs allumés enregistrent leurs délires, qui paraissent sous forme de compilation. Au cours de ces sessions, on a pu voir défiler des grands noms du milieu, des familiers Dave Grohl et Nick Oliveri à PJ Harvey. Et c’est durant l’une d’entre elles que sera évoqué pour la première fois l’idée du groupe Eagles of Death Metal, avec Jesse Hughes des Boots Electric et Tim Vanhamel du groupe belge dEUS. En 2004, Jesse Hughes est devenu journaliste et rédacteur de discours politiques. Après avoir surpris sa femme au lit avec sa meilleure amie, il tombe dans une profonde dépression de laquelle seul Josh Homme réussira à le sortir, grâce à la création du groupe. That’s rock’n’roll ! Les trois compères vont alors enchaîner trois albums et nombres de tournées, ce qui ne manquera pas de détourner Homme des Queens durant tout ce temps…
Homme et Reznor
Le mythe Josh Homme est en marche, vous l’aurez remarqué. Si le but de cet article est de percer le mystère qui l’entoure, quoi de mieux que de le comparer à un de ses pairs, en la personne de Trent Reznor. Deux personnages bien distincts et pourtant bourrés de points communs.
On l’a dit, Homme aime avoir la main mise sur tout ce que fait son groupe. On sent sa patte à des kilomètres sur chacun des projets et on sait aussi qu’il n’hésite pas à se séparer de membres lorsque le besoin se ressent. Reznor sur ce point le rejoint et va même plus loin. Musicien de génie, le bonhomme n’a carrément trouvé personne capable de jouer avec lui, d’où sa décision de n’être que l’unique membre de Nine Inch Nails, groupe qu’il forme en 1988. Les personnes l’entourant sur scène sont alors reléguées au rang d’assistants.
Ensuite, lorsque Josh Homme décide de créer son propre label (Rekords Rekords), Reznor lui se brouille avec le sien (TVT Records), signe chez Interscope Records, et finit par se déclarer indépendant. Le bonhomme semble avoir un vif ressentiment vis-à-vis des maisons de disques, notamment à cause de TVT Records, qui à force de pression avait fini par interférer dans le travail de Reznor. On retient quand même leur volonté commune de chapeauter au maximun eux-mêmes leur business.
On note cependant un point sur lequel ils divergent. Mais nous pouvons mettre ça sur le compte de leurs caractères respectifs : Josh Homme passe d’une formation à une autre sans sourciller et Reznor, lui, se consacre uniquement à sa musique au travers de NIN. Ce dernier serait donc quelqu’un d’assez individualiste alors que Homme ne travaille quasiment qu’accompagné.
Le point d’orgue de cette démonstration ne serait être mieux illustré qu’avec la collaboration des deux hommes, et de Dave Groh,l pour la BO du docu SoundCity, réalisé par Dave Grohl lui-même. Ce son lancinant, perfectionné à la moindre mesure, dégage quelque chose d’incroyablement jouissif par sa montée en puissance. La cohésion qui se dégage de la vidéo, soulignée par les regards emplis de sérieux, nous démontre bien qu’on n’a pas à faire à des rigolos.
Le Rock de merde
Alors oui, Homme est infatigable. Homme impose sa marque au monde et veut laisser une trace indélébile de son passage dans le ciel musical. Dans cette démarche, on dénote deux étapes.
Étape 1 : Supporter la création musicale.
Josh a joué et collaboré avec bien des groupes, et de façon concluante la plupart du temps. Mais il lui faut désormais trouver un autre moyen d’expression, une autre façon de transmettre son héritage. Se présente alors l’opportunité de monter son propre label, en 2001, lorsque le label Man’s Ruin Records vient à déposer le bilan. C’est sur ce dernier que les compilations Desert Sessions étaient signées, aux cotés de groupes tels que Kyuss, Queens Of The Stone Age, Turbonegro et The Hellacopter. L’occasion donc pour Homme de créer Rekords Rekords, afin de continuer à éditer les Desert Sessions, mais aussi Eagles of Death Metal et les Queens.
Étape 2 : Faire la révolution.
« Starting A Revolution Against Shitty Rock »
Oui, la révolution. Aussi simple que de l’écrire, Josh Homme a visiblement entrepris de faire la révolution… C’est sur le site de Rekords Rekords que l’on peut s’en convaincre, puisque c’est la banderole même du site qui nous envoie le message en pleine face : « Starting A Revolution Against Shitty Rock ». Clair, net et précis. On découvre enfin le but inavoué du bonhomme. L’obscure quête qu’il mène depuis toutes ces années n’est rien moins que combattre le rock de merde. Sans chichis. Tout ce qu’on a pu le voir faire, toutes les questions qu’on a pu se poser sur les raisons qui le poussent à avoir son nez dans d’aussi nombreuses formations, ne se résument qu’à la noble cause de combattre le rock de merde.
Une analyse rapide de la bannière susnommée nous en démontre chaque aspect. Premièrement, l’avatar utilisé n’est autre qu’une version revisitée de l’ampoule cassée présente sur la pochette de Era Vugaris. Cette dernière a été réparée, affublée d’un couvre-chef inspiré de celui du Che, et brandit fièrement le poing en l’air en siégeant sur une scène dont le décor n’est rien moins que l’étendard de l’armée impériale japonaise ! Nous pouvons aisément en conclure que l’idée de se battre est bien présente, ainsi que celle – aussi naïve peut-elle être – de partage et d’égalité, puisqu’on les retrouve dans les valeurs communistes ici largement représentées.
N’oublions pas non plus le point le plus important de cette banderole : la foule. Josh Homme ne fait pas cela uniquement pour lui, mais bel et bien pour son public. Voyons ici un esprit didactique envers les non-ralliés à la cause, ainsi qu’un esprit de soutien à ceux déjà présents au combat. Bref, l’idée est la même, Josh Homme se bat pour nous contre le rock de merde, et nous nous hâtons de découvrir la prochaine étape de cette lutte sans merci : …Like Clockwork. Pile à l’heure.