Après trois ans d’arrêt, Budapest a de nouveau accueilli sur l’île de la Liberté l’un des plus grands festivals de musique d’Europe, le Sziget. Nous y étions et nous vous racontons comment ça s’est passé.
Le métro de banlieue qui mène à l’île d’Óbuda a peut-être des sièges à l’aspect discutable, mais ils sont extrêmement confortables. Budapest a privilégié le confort. Et un peu de confort ne fait pas de mal lorsque l’on se prépare à se rendre à Sziget, ou plus généralement à n’importe quel festival de musique. On n’y va pas pour se reposer, on y va pour se promener d’une scène à l’autre, pour manger de la street food en compagnie sur un banc en bois, pour dormir quelques heures sous une tente et, plus que jamais cette année, après trois ans d’interruption forcée, on y va pour se masser sous une scène.
Sziget 2022, divers et varié « On vous dit que l’arrêt pour Sziget (‘île’ en hongrois) est Filatorigát, mais il vous suffira de suivre la foule », me dit-on. Et en effet, il est impossible de se perdre, même pour ceux qui sont totalement dépourvus de sens de l’orientation : la foule vous conduit en quelques minutes au pont de fer qui relie l’île. Une fois passé, je change mon bon contre un bracelet, je passe les contrôles et je suis à l’intérieur.
Si la célèbre boue était maîtresse au festival Woodstock 1969, ici à Budapest – comme dans une grande partie de l’Europe – il ne pleut pas sérieusement depuis trop longtemps et là où il y avait de l’herbe, il y a maintenant… beaucoup de poussière. C’est aussi l’une des premières informations que je reçois, afin de pouvoir me préparer : pas besoin de bottes en caoutchouc, mais une paire de sandales avec lesquelles, une fois la fête terminée, je pourrai directement aller prendre une douche.
Le Sziget, comme de nombreux événements aujourd’hui, est entièrement sans argent liquide : on ne paie qu’avec des cartes, des smartphones ou via les mêmes bracelets d’entrée, rechargés aux points appropriés. Un choix qui rend tout plus simple et fluide. Sans faire la queue, je peux choisir entre un burrito, un bao, un barbecue, un burger végétalien, un souvlaki, une pizza napolitaine… Et la qualité de la street food me semble même meilleure que d’habitude.
Sziget 2022, l’atmosphère L’air que l’on respire au festival, poussière mise à part, est une véritable brise de renaissance. À la question « pourquoi es-tu là ? », beaucoup répondent « pour la musique », mais beaucoup sont à Sziget « pour la foule » et « pour s’amuser ensemble ». Cela se voit aussi à travers les vastes étendues de tentes qui recouvrent pratiquement chaque mètre carré libre de l’île.
Un autre détail qui saute immédiatement aux yeux est l’enthousiasme avec lequel tous les artistes sont accueillis. On a l’impression que ceux qui sont venus ici cette année ne l’ont pas fait seulement pour écouter leurs artistes préférés, mais pour revivre des sensations longtemps endormies, pour se réveiller d’un mauvais rêve et se retrouver très proches, sans masques, à danser et à chanter à tue-tête. Même l’annulation de dernière minute de Sam Fender pour laryngite ne gâche pas la fête pour ceux qui s’attendaient à le voir monter sur la scène principale. Pour Holly Humberstone, qui prend sa place en reportant le set, il n’y a pas de huées, seulement des applaudissements chaleureux.
Covid a adouci tout le monde, enfin presque : les professionnels (photographes et journalistes) doivent néanmoins faire face à des conditions de plus en plus limitatives imposées par la direction des artistes, en particulier les têtes d’affiche, qu’il est pratiquement impossible d’interviewer ou de photographier.
Sziget 2022, la musique La programmation a été pensée pour tous les goûts : « 53 lieux, 488 artistes venant de 54 pays », indique le communiqué de presse. Le festival englobe le pop, le rock indépendant, l’électronique, le folk et cette année, il dispose même d’une toute nouvelle scène (dropYard) entièrement dédiée au rap et au hip-hop.
J’ai assisté aux trois dernières journées du Sziget et, avec la playlist qui suit, je souhaite offrir un aperçu du festival à ceux qui n’étaient pas présents. Pour rendre hommage à la ville qui l’accueille depuis 1993, j’ouvre le bal avec un collectif très particulier de la région.
Ha Megnyitod A Szíved (Random Trip)
« Ce que vous écoutez et voyez sur scène aujourd’hui est une véritable improvisation. Fondamentalement, il n’y a pas de chansons, il s’agit d’une jam session », explique le batteur Jávor Delov, membre permanent de l’expérience Random Trip, qui rassemble – de manière souvent aléatoire – des musiciens de la scène hip-hop, dub, rock et nu jazz locale. Sur scène, Jávor porte un t-shirt avec la photo de Mick Jagger et lorsque, entre autres, le guitariste Pulius Tibor, qui s’est peint un éclair scintillant sur le visage à la manière de Bowie, et Iván Vitáris (Ivan & The Parazol) le rejoignent, l’atmosphère devient plus rétro.
Én Még Sohasem (Carson Coma)
Menés par le chanteur italo-hongrois Fekete Giorgio (originaire de Turin), les Carson Coma sont un groupe de rock alternatif très apprécié dans la région, comme en témoigne la foule rassemblée devant la scène principale pour les écouter et qui connaît toutes leurs chansons par cœur. « Quand j’étais petit, je ne parlais même pas hongrois », raconte Giorgio, « Bien sûr, lorsque nous nous sommes installés ici, les choses ont changé ». Maintenant, il chante en hongrois et dans cette chanson, il raconte ce qu’il n’a jamais fait.
Run For Cover (Black Honey)
La chanteuse, Izzy B. Phillips, monte sur la scène du FreeDome vêtue d’une longue robe en soie vert d’eau. Elle porte des bottes texanes en daim, une chevelure blonde platine, un eye-liner noir très marqué et ses ongles sont peints de deux couleurs de vernis différentes. Grâce à elle, le groupe de Brighton remporte sans aucun doute la palme du style à Sziget. Certains disent qu’elle est une Dusty Springfield version indie-rock. Quelques accords de guitare électrique sur cette chanson et la foule se met à pogoter sous la scène.
Meggyújtom A Pipám (Besh o droM)
En se promenant sur l’île d’Óbuda, on peut aussi tomber sur de la musique des Balkans. Il n’y a pas Goran Bregovic sur scène, mais les locaux Besh o droM sont là, et bien que le public – bien que réduit – de la scène HAJÓGYÁR Petőfi semble s’amuser quand même. Le nom qu’ils ont choisi est une expression idiomatique qui signifie plus ou moins « suis ton propre chemin », « fais à ta manière ». Leur mélange d’éléments traditionnels hongrois, bulgares, turcs, moyen-orientaux… et le fait que le percussionniste joue d’une sorte d’amphore en métal, les rend assez différents de tout ce que j’ai vu à Sziget cette année.
The Great Hope Design (Sevdaliza)
Le concert de la chanteuse, compositrice et productrice iranienne naturalisée néerlandaise commence précisément avec cette chanson et sous le chapiteau rouge du FreeDome, l’atmosphère se teinte de noir. Aux notes inquiétantes d’un violoncelle et aux distorsions d’un synthétiseur, succède le cri de Sevda Alizadeh, alias Sevdaliza : « Sziget, faites du bruit ! ». La réponse des spectateurs se fait à peine entendre, ils semblent déjà tous hypnotisés par ces sonorités éthérées.
Eventually (Tame Impala)
Les Tame Impala, avec leur son psychédélique, montent sur la scène principale après la colorée et ultra pop Anne-Marie. Il faut dire que la poussière du Sziget pâlit devant la quantité de lumières et de confettis mis à la disposition du groupe australien pendant leur performance. Si la fosse est bondée, en revanche, je remarque une zone VIP plutôt distraite.
Feel It (Volac)
Après minuit, loin des principales scènes, le festival devient plus électronique, rappelant son compagnon, le Balaton Sound. C’est le duo russe Volac qui « joue » dans la Ticketswap Party Arena, et pendant que le public s’agite devant les mains levées de Stas et Sasha, cette fois-ci il y a même une file d’attente dans la zone VIP pour expérimenter la vue depuis les coulisses.
Boys In The Better Land (Fontaines D.C.)
Le groupe irlandais est programmé au FreeDome le dernier jour de Sziget et la fatigue commence sérieusement à se faire sentir. Je vois certains, épuisés, quitter la salle avant même la fin du concert, mais ils rentreront sous les draps (ou dans leur sac de couchage) avec de l’excellent post-rock irlandais dans les oreilles. Bien qu’il soit possible qu’ils aient manqué cette chanson, l’avant-dernière du set des Fontaines D.C.
I Like Him (Princess Nokia)
La rappeuse américaine Destiny Nicole Frasqueri, alias Princess Nokia, monte sur la scène du FreeDome en bikini et avec une ceinture de danse du ventre, exhibant un physique statuaire pour le moins impressionnant et déclenchant une ola chaque fois qu’elle bouge les hanches. Elle offre également aux spectateurs un fragment a cappella de Break My Soul de Beyoncé – star à laquelle elle se compare dans Diva – mais c’est avec les couplets de I Like Him qu’elle conquiert véritablement son public.
I Bet You Look Good on the Dancefloor (Arctic Monkeys)
Enfin, last but not least, lors de ma dernière nuit à Budapest, j’ai réussi à assister à l’événement le plus attendu de Sziget : le retour des Arctic Monkeys. Le groupe de Sheffield n’a pas sorti d’albums depuis plus de quatre ans, mais cela n’empêche pas Alex Turner et ses comparses de subjuguer la foule – la vue depuis la zone VIP est vraiment impressionnante – avec une série de chansons qui couvrent au moins 16 ans de carrière. Et cette chanson, issue de leur premier album (Whatever People Say I Am, That’s What I’m Not), en particulier lors d’un festival où le rock n’est pas vraiment le plat principal, rend tout le monde littéralement fou.