Il y a une époque encore très proche où le photographe travaillait avec des images fixes. La révolution des appareils numériques, la qualité de la vidéo des reflex et la tentation de créer toujours plus, changent la donne. Le photographe se retrouve avec une arme cinématographique entre ses doigts experts, pourquoi ne pas tenter le coup ? Si le photographe peut faire le travail du réalisateur oldschool, en apportant son œil unique et ses objectifs lumineux, que reste-t-il au cinéaste ? Un talent de conteur peut-être, une idée de scénario, une idée de réalisation, qui sera plus qu’une idée de cadre ?
Des photographes de mode chez DIOR
Comparons le film publicitaire des photographes de mode Inez Van Lamsweerde et Vinoodh Matadin (Inez&Vinoodh pour les intimes) qui dévoile la collection Dior A-W 2012-13, avec le spot Prada plein d’humour, réalisé par le jeune cinéaste Roman Polanski.
Le spot Secret Garden de Inez&Vinoodh qui montre le top-model Daria Strokous traversant le Château de Versailles et faisant de son extérieur le jardin secret de Dior présente la collection et avant tout la collection. Ces deux photographes de mode ne sortent pas de leurs rôles, les images ont beau se mouvoir, le produit, c’est-à-dire l’accessoire et le vêtement, reste sur le devant de la scène. Les plans sont tournés et cadrés comme des photos de mode, on aperçoit dans la version longue des modèles qui posent, Daria et ses congénères se changent, évoluent, courent, dans la ligne Dior, la photo de mode est mise en mouvement. Stop motion et cut hyper rapides n’arrivent pas à nous faire oublier que les deux réalisateurs sont des photographes, le veulent-ils seulement?
Inez&Vinoodh se font connaître par leurs photographies de mode étranges et attirantes et mêlent très vite à leur travail l’art multimédia. Leur style se joue entre élégance et horreur, déformation du corps et dépassement des limites, disparition du sujet au service de leur art. De cette touche reconnaissable, on ne trouve plus grand chose devant le spot de la dernière collection Dior. Les deux acolytes se seraient-ils assagis en deux décennies de collaboration avec les plus grandes maisons et les magazines de mode les plus réputés? Maturités ou compromis artistiques ? A quand le passage (obligé) à la réalisation sur grand écran où de leur début de plasticiens agitateurs il ne restera sans doute rien?
Un cinéaste chez PRADA
Ici, Polanski, nous offre plutôt du placement de produit au service d’une histoire qu’une présentation de collection. On sent le cinéaste, le scénariste, son humour, ses mots, la caméra n’est là que pour l’image mouvante, le vêtement habille le quotidien de personnages incarnés, la réalisation et les plans n’ont rien d’un making of de séance photo. Ce “court-métrage publicitaire”, comme Prada et Polanski aiment à l’appeler se veut résolument plus proche du cinéma que de la photo, (première présentation à Cannes, réalisée par un « palmé », sans mannequin mais avec des acteurs) c’est une anti-pub pour Prada qui s’assure tout de même un plan de communication plus en accord avec l’esthétique de sa collection dans un autre spot (S/S 2012), cette fois-ci mené de main de maître par le cultissime photographe de mode, taulier du Vogue Italie depuis 20 ans, Steven Meisel.
Prada sait s’entourer et utiliser le même média pour différentes utilités, la mode offre à l’image de nouvelles possibilités, aussi bien à la photo qu’à la vidéo. La maison sait se mettre en retrait pour exploiter le talent d’un grand réalisateur et en faire un porte-parole décalé, elle sait aussi mettre en avant son produit et renouveler son style. Même si l’on n’a pas vu le défilé ou la collection en boutique, on sent le second degré et l’humour dans le spot de Polanski mais aussi la modernité dans le dynamisme nonchalant et flegmatique des héroïnes néo-rockabilly du spot de Miesel. Prada montre grâce à ses deux spots mais aussi avec sa collaboration avec Vahram Muratyan (graphiste qui a buzzé avec son New York Versus Paris), la possibilité qu’offre la mode de croiser, mélanger, réinventer et recycler l’image et même soyons fou, plus généralement l’art.