Le dernier vendredi du mois de juillet, précisément le 28, la plus haute juridiction judiciaire du pays, la Cour de cassation, a donné son aval pour que le ministre de la Justice soit déféré devant la Cour de justice de la République. Le membre du gouvernement est appelé à comparaître pour avoir été impliqué dans un acte d’intérêt personnel illégal.
« Il semble difficile de concevoir qu’un ministre actuel pourrait maintenir ses fonctions tout en étant sur le point d’être jugé par ses pairs », a déclaré Jérôme Karsenti, conseiller juridique de l’association Anticor, ce vendredi 28 juillet lors d’un entretien avec franceinfo. Anticor, qui est une des parties plaignantes dans cette affaire, avait été le premier à porter plainte contre le ministre de la Justice en 2020.
La confirmation de la comparution du ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, devant la Cour de justice de la République a été entérinée ce vendredi par la Cour de cassation. Le ministre de la Justice est appelé à comparaître en justice pour des accusations de prise illégale d’intérêts. Il est suspecté d’avoir tiré profit de son poste de ministre pour régler des différends avec certains magistrats avec lesquels il avait eu des conflits lors de sa carrière d’avocat.
franceinfo : Que pensez-vous de cette décision ?
Jérôme Karsenti : Oui, bien sûr. On peut pratiquement affirmer que la première action d’Éric Dupond-Moretti comme ministre est un acte illicite. Il a reçu de l’Inspection générale de la justice un document qui atteste qu’aucune infraction n’a été commise par les magistrats ayant mené l’enquête pour déterminer si une taupe transmettait des informations à Nicolas Sarkozy. Il ignorera donc cette enquête, initialement lancée par sa prédécesseur, et continue à alimenter sa rancœur qui doit son origine à sa carrière précédente en tant qu’avocat.
La problématique est clairement énoncée : dans une République, pour le droit et la démocratie, lorsque l’on sert l’intérêt général, le public, on ne peut pas continuer à servir ses propres intérêts. On peut supposer que c’est cette confusion qui est à l’origine de sa comparution devant la Cour de justice de la République.
Qu’espérez-vous de la Cour de justice de la République ?
Je m’attends à ce que la Cour de justice de la République démontre de manière claire et véhémente la nécessité absolue d’indépendance du pouvoir et son impartialité lorsqu’il est exercé. C’est ce que nous espérons en tout cas de la part d’Anticor.
Cette décision était prévisible, mais avez-vous été étonné la semaine dernière lorsque le remaniement ministériel a vu Éric Dupond-Moretti conforté dans son poste ?
Nous n’avons pas été surpris la semaine dernière mais nous le serions si cela continue. Nous n’avons pas été surpris car il est évident qu’Emmanuel Macron n’a pas tenu compte des décisions de justice ces dernières années. Il est difficile d’imaginer comment un ministre en exercice pourrait conserver ses fonctions tout en étant sur le point d’être jugé par ses pairs.
Cette situation met en lumière un dysfonctionnement de la République, une menace pour le système judiciaire lui-même. Dans cette optique, il est difficile d’imaginer que Éric Dupond-Moretti puisse rester en poste.
En juin, la justice a annulé l’accréditation judiciaire d’Anticor. La plainte que vous avez déposée en 2020 contre le ministre de la Justice aurait-elle été possible aujourd’hui sans votre accréditation ?
Elle aurait été possible car Anticor n’a pas perdu son droit de signaler des faits au procureur. Cependant, en France, seul le procureur de la République a le pouvoir d’agir : il lui revient de décider s’il lance des poursuites, s’il classe ou s’il mène une enquête etc. Lorsqu’un procureur classe une affaire sans suite, le plaignant peut se constituer partie civile et aller plus loin, en demandant la nomination d’un juge d’instruction. C’est cette deuxième possibilité qu’Anticor ne pourrait plus exercer aujourd’hui.
Même si Anticor a perdu son accréditation, elle continuera à jouer son rôle de dénonciateur, signalant tout ce qui semble défectueux dans la République, dans le respect des lois et de l’honnêteté, et dénoncer tout ce qui pourrait corrompre le fonctionnement de nos institutions.