La question de l’exemplarité en politique se pose aujourd’hui de manière préoccupante. En effet, le procès concernant l’emploi fictif des assistants parlementaires du MoDem est en cours devant le tribunal correctionnel de Paris. Dans cette affaire, il est important de prendre en compte le point de vue du sociologue Jean Viard, qui apporte un éclairage pertinent sur les enjeux de société qui y sont liés.
L’affaire des collaborateurs parlementaires du MoDem est actuellement examinée par le tribunal correctionnel de Paris, avec François Bayrou parmi les accusés. Et demain, lundi 6 novembre, le procès d’Éric Dupond-Moretti s’ouvre devant la Cour de justice de la République. Une situation inédite pour un ministre de la Justice. Le sociologue Jean Viard décrypte cette situation.
Franceinfo : Il y a toujours eu des procès et des personnalités politiques ont toujours été accusées. Mais est-ce que notre perception des choses a changé ?
Jean Viard : Je pense qu’il faut d’abord souligner que l’exemplarité est un peu un mythe. Il suffit de se souvenir du Service d’action civique de Charles Pasqua ou encore de l’affaire Urba, qui a été à l’origine du financement du Parti socialiste et qui l’a finalement aidé à conquérir le pouvoir en 1981. Le politique, même pour se financer, utilise des méthodes un peu détournées, souvent en l’absence de règles claires. Je ne crois donc pas vraiment en l’exemplarité.
Nous vivons dans une société qui rêve de transparence. Personnellement, j’apprécie le droit à l’oubli et la vie privée. L’affaire du MoDem est une affaire politique, et je ne connais pas la réalité du dossier évidemment. Si des délits ont été commis, alors les fautifs doivent être condamnés, mais il ne s’agit que de délits financiers au sein d’un parti politique. Est-ce un délit moral ? Est-ce une atteinte à l’éthique des individus ? Je ne le pense pas. Je dirais la même chose pour le FN, qui a également été confronté à ce genre de questions par le passé. Il faut faire très attention à l’influence des réseaux sociaux dans ces affaires.
La transparence, c’est quoi au fond ? Normalement, on dit : « il a purgé sa peine ». Mais lorsqu’on a purgé sa peine, on devrait pouvoir retrouver sa place en tant que citoyen. Et c’est là que ça devient compliqué dans notre époque, car il n’y a plus de droit à l’oubli. Personnellement, cela me dérange et m’inquiète, car cela va engendrer un moralisme des comportements qui n’est pas nécessairement bon.
Prenez l’exemple de Monsieur Dupond-Moretti. La question est : est-ce qu’une décision politique peut être jugée par un juge ? Est-ce que la justice peut juger un acte politique ? Si un homme politique est accusé de violence conjugale, de cambriolage ou de vol, il n’y a pas de débat car ce sont des délits qui ne relèvent pas de sa fonction politique.
Mais est-ce qu’il n’est pas injuste de donner à la justice le pouvoir de juger l’action d’un homme politique en exercice ? Les reproches faits à Monsieur Dupond-Moretti concernent des actions en tant que ministre, des décisions politiques qui ont été acceptées politiquement. Il faut faire attention à ne pas suivre aveuglément la meute, sinon nous ne pourrons plus vivre ensemble.
Et en même temps, ce qui est jugé cette semaine ce n’est pas son orientation politique, ni celle du MoDem. C’est la manière dont ils ont utilisé leur fonction.
Bien sûr, mais est-ce que cela justifie une interdiction d’accès à la politique pendant dix ans, notamment pour François Bayrou ? Je ne le pense pas. Ce que je veux dire, c’est que cet acte ne devrait pas empêcher une poursuite de l’action publique.
Ce procès du Garde des Sceaux, quelle que soit l’issue, démontre en tout cas la persistance de la séparation des pouvoirs. Un représentant du pouvoir exécutif peut être mis en cause par le pouvoir judiciaire, qui peut examiner son cas ?
Oui, mais honnêtement je pense que cette Cour de la République est une anomalie, comme beaucoup de gens le disent. Je ne suis pas sûr que cela était une bonne idée. Il est important d’instaurer des garde-fous et des systèmes de financement réglementés. Les personnes qui ne respectent pas les règles doivent être condamnées et appelées à rembourser. Mais au-delà de cela, ne faisons pas de notre société une société de transparence, car cela peut être difficile à vivre.