La hausse des actes de violence dans les communes rurales est vivement critiquée par Marine Le Pen, Jordan Bardella ainsi que d’autres figures du Rassemblement National. Cette controverse survient après le tragique décès d’un adolescent de 16 ans, Thomas, à Crépol dans le département de la Drôme. Nous allons maintenant examiner la véracité de ces affirmations sur l’escalade de ces agressions.
Dans les termes du président Emmanuel Macron, il s’agit d’un « homicide abject ». Cette tragédie a causé une grande émotion. Thomas, un adolescent de 16 ans, est mort pendant une fête de village à Crépol, un petit bourg de la Drôme, durant le weekend du 18-19 novembre. Neuf personnes suspectées sont actuellement en garde à vue, mais les détails précis des circonstances de sa mort sont encore à établir. Le porte-parole de la gendarmerie nationale mentionne une « rixe », terme également utilisé par le procureur de la République, mais ces termes sont âprement débattus.
L’extrême droite, qui est accusée de se servir de cette tragédie à des fins politiques par plusieurs membres du gouvernement, emploie des termes plus virulents. Pierre-Romain Thionnet, le directeur national du mouvement des jeunes du Rassemblement national, décrit le drame comme un « assaut barbare », sur le réseau social X, autrefois appelé Twitter. Laurent Jacobelli, porte-parole du RN, parle d’une « punition expéditionnaire ». Jordan Bardella, qui préside le parti, évoque une « brutalité impressionnante qui chamboule des vies et en détruit d’autres ». Eric Domard, un des cadres du parti, critique que « il y a 30 ans dans les villages, on ne verrouillait pas la porte quand on partait, aujourd’hui on en repart avec son enfant à la morgue ». Marine Le Pen, la dirigeante du parti, affirme que « depuis quelques années, des villages ruraux sont victimes de véritables pillages » et regrette dans le magazine Valeurs actuelles le franchissement d’un « nouveau seuil » de violence dans les zones rurales qui étaient censées être paisibles.
Malgré ces affirmations, qu’en est-il de la réalité ? Y a-t-il réellement une augmentation de la violence dans les campagnes ?
Absence de données officielles sur l’évolution des violences dans les zones rurales
En vérité, au-delà des perceptions et du sentiment d’insécurité croissant, il est complexe de connaître la progression des violences en zones rurales étant donné qu’il n’y a pas de statistiques officielles à ce sujet, ni même depuis plusieurs années, et encore moins sur plusieurs décennies. C’est ce qu’ont confirmé à 42mag.fr la gendarmerie et l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDPR).
Il est toutefois possible de trouver le nombre de « crimes et délits contre les personnes » consignés par la gendarmerie, donc dans les zones rurales et périurbaines, dans les archives du site du ministère de l’Intérieur pour les années 1997 à 2001. Quelque 71 000 cas avaient été consignés par les services de gendarmerie en 1997, proches de 80 000 en 2001.
Cependant, par la suite, la définition de ce qui est considéré comme « crimes et délits contre les personnes » a évolué et la communication ministérielle également, puisque seuls des chiffres globaux, consignés par la gendarmerie et par la police, pour des « atteintes volontaires à l’intégrité physique » puis pour des « violences aux personnes » sont disponibles. Et encore, pas pour toutes les années. Par conséquent, à partir de 2002, il n’est plus possible d’obtenir le nombre de ces infractions uniquement recensées par les gendarmes.
Stagnation des homicides et des vols selon les calculs du Vrai ou Faux
Malgré cela, le site Vrai ou Faux a réussi à compiler des informations à partir des rapports annuels « Insécurité et délinquance » du service de statistiques du ministère de l’Intérieur, créé fin 2014. Ces rapports recensent les faits constatés par les forces de l’ordre, mais ne permettent pas de mesurer ceux qui n’auraient pas été signalés ou relevés par les gendarmes. Pour comparer uniquement ce qui est comparable – avec des infractions définies de la même manière et des chiffres qui peuvent être rapportés les uns aux autres – il a seulement été possible de remonter jusqu’à l’année 2016.
Dans ces rapports, le ministère de l’Intérieur donne les répartitions territoriales de plusieurs infractions pour 1 000 habitants, en fonction des types d’unités urbaines. Ces informations mettent en évidence une stagnation ou une augmentation de cinq types de crimes ou de délits visant des personnes dans les communes rurales de moins de 2 000 habitants. C’est le cas de la commune de Crépol, qui compte environ 500 habitants, où le jeune Thomas a été tué.
Les homicides n’ont pas augmenté entre 2016 et 2022, dans ces petits villages. On dénombre 0,008 homicide pour 1 000 habitants par an, entre ces deux dates, soit 8 homicides pour un million d’habitants dans les communes rurales, en-dessous de la moyenne nationale qui est de 14 homicides pour un million d’habitants, toutes unités urbaines confondues. Dans le même temps, la proportion d’homicides par habitant est restée stable dans les villes de 200 000 à deux millions d’habitants et a légèrement diminué à Paris, passant de 19 à 12 homicides pour un million d’habitants entre 2016 et 2022.
Les vols avec armes sont également restés stables à 0,02 cas pour 1 000 habitants par an dans les villages ruraux entre 2016 et 2022, tandis qu’ils ont légèrement diminué à Paris. Les vols violents sans arme sont également restés stables, malgré une légère augmentation, passant de 0,07 cas pour 1 000 habitants en 2016 à 0,1 en 2022. Mais entre-temps, en 2020 et 2021, années impactées par le Covid-19, ce chiffre est tombé à zéro. Au niveau national, ce type d’infraction a diminué.
Augmentation des coups et blessures volontaires et des violences sexuelles
En revanche, deux indicateurs ont augmenté : les coups et blessures volontaires et les violences sexuelles. Les premiers ont pratiquement doublé en sept ans, passant de 1,5 cas de coups et blessures volontaires pour 1 000 habitants en 2016 dans les communes rurales à 2,6 en 2022. Il s’agit majoritairement de violences intrafamiliales. Pendant ce temps, les coups et blessures volontaires ont augmenté d’un tiers dans les très grandes villes : ils sont passés de 4,5 pour 1 000 habitants en 2016 à 6,5 en 2022 dans les villes de 200 000 à deux millions d’habitants et de 4,3 à 6,3 pour 1 000 habitants à Paris.
L’augmentation des violences sexuelles a été encore plus importante, triplant presque entre 2017 et 2022, passant de 0,39 à 0,9 cas consignés par les gendarmes pour 1 000 habitants dans les petits villages. Les données territoriales de 2016 ne sont pas disponibles, la communication ministérielle ayant évolué après #MeToo et la libération de la parole des femmes sur les violences sexuelles. Cette augmentation est d’ailleurs en partie attribuable à cette libération de la parole, mais aussi à une meilleure réception des plaintes dans les gendarmeries et à une réelle augmentation des faits. Un mouvement de libération que l’on retrouve aussi dans les très grandes villes, où les cas enregistrés ont doublés entre 2017 et 2022, passant de 0,64 cas à 1,3 pour 1 000 habitants dans les villes de 200 000 à deux millions d’habitants ainsi qu’à Paris.
Les communes rurales, toujours plus paisibles que le reste du territoire
Ces augmentations doivent être replacées dans un contexte global d’augmentation de la délinquance sur tout le territoire français, comme le démontre le dernier rapport « Insécurité et délinquance » de l’année 2022.
Malgré ce contexte, les communes rurales restent les moins touchées, selon deux analyses du service de statistique du ministère de l’Intérieur. « Le nombre d’actes de délinquance pour 1 000 habitants est plus important dans les villes de plus de 100 000 habitants que dans celles de moins de 1 000 habitants, d’un facteur allant de 2 (pour les cambriolages de logement, les violences sexuelles et les coups et blessures volontaires sur personnes de 15 ans ou plus commis dans le cadre familial) à 75 (pour les vols violents sans arme). Ainsi, la délinquance est plus concentrée dans les zones urbanisées que dans les zones rurales », expliquait l’Observatoire national de la délinquance dans sa « Géographie de la délinquance à l’échelle communale » publiée en 2022 sur les données de 2021. En d’autres termes : plus une commune est peu peuplée, moins elle est exposée à la délinquance.
« La majorité des actes de délinquance sont commis dans seulement 1% des communes métropolitaines », notait l’Observatoire national de la délinquance dans son analyse de l’année 2021. Même constat l’année suivante : « En 2022, comme les années précédentes, la délinquance commise à l’échelle communale et enregistrée par les services de police et de gendarmerie est concentrée dans un nombre limité de communes », lit-on dans le rapport publié en 2023.
D’ailleurs, les seules communes où aucune infraction n’avait été relevée par les forces de l’ordre en 2021 étaient situées dans des zones rurales, allant de l’Ardennes aux Pyrénées.