L’idée que le gouvernement dirigé par Michel Barnier puisse être censuré, grâce aux votes des parlementaires du Rassemblement national et du Nouveau Front populaire, suscite une vive agitation au sein de la sphère politique. Les discussions s’intensifient autour des options qui seraient alors envisageables pour le chef de l’État.
« L’atmosphère est pesante. » Dans les rangs du « socle commun », cette coalition de députés de l’ancienne majorité présidentielle et de la droite qui appuient le gouvernement, l’inquiétude est palpable, explique une députée du parti Les Républicains. La tension s’est intensifiée ces derniers jours avec la menace de déposer une motion de censure à l’Assemblée nationale, brandie par le Rassemblement national (RN) et le Nouveau Front populaire (NFP). En collaborant avec les partis de gauche, le groupe RN dirigé par Marine Le Pen pourrait obliger le gouvernement de Michel Barnier à tomber plus tôt que prévu, dès la semaine du 2 décembre, lorsque le budget de la Sécurité sociale sera à nouveau débattu dans l’hémicycle.
Les gestes récents de Michel Barnier, comme l’annulation de l’augmentation des taxes sur l’électricité, n’ont pas su satisfaire le RN. « Ce n’est pas suffisant », a déclaré Sébastien Chenu, vice-président du groupe RN, sur 42mag.fr, le vendredi 29 novembre. Dans une interview au Monde, Marine Le Pen a donné un ultimatum « jusqu’à lundi » à Michel Barnier pour réagir aux « lignes rouges » qu’elle a posées. « Soit nous remportons une victoire, soit nous obtenons une censure, et nos électeurs comprendront parfaitement », a mentionné un député RN à France Télévisions, jeudi.
« Il y a de grandes chances qu’une motion de censure soit adoptée », anticipait le même jour un député influent d’Ensemble pour la République (EPR). Concernant l’approche des députés d’extrême droite, il ajoutait : « S’ils renoncent, cela ressemblerait à un recul. » Bien que l’incertitude règne sur la décision éventuelle du RN, la classe politique explore déjà plusieurs scénarios pour une possible suite. Le président de la République, bien que retiré de l’avant de la scène depuis la nomination de l’ancien négociateur du Brexit à Matignon, retrouverait alors un rôle central dans la politique nationale. Quelles options resteront à Emmanuel Macron ? Franceinfo en propose quelques-unes.
Reconstituer Michel Barnier avec ses ministres actuels
Une suggestion surprenante a été avancée par la députée LR Valérie Bazin-Malgras dans Le Figaro, le 20 novembre. « Le président de la République doit voir au-delà de cette affaire, il est dans son intérêt d’ignorer la décision des députés. Il pourrait simplifier l’accusation de censure en renvoyant immédiatement Michel Barnier à son poste de Premier ministre, qui pourrait réinstaller instantanément le même cabinet », développe-t-elle dans le quotidien. Elle ajoute : « Vous avez censuré ? Très bien, au revoir. On passe à autre chose et on continue. »
Sur le plan juridique, rien ne s’y oppose. Aucun texte n’impose qu’en cas de renversement du gouvernement, le président doit nommer un Premier ministre avec une équipe totalement différente. Cependant, politiquement, ce choix semble peu viable. « D’une perspective démocratique, réinstaller Barnier et tous les ministres est problématique », soupire un député EPR. « Cela n’aurait aucun sens », déclare un représentant LR, soulignant le risque d’une nouvelle motion de censure, qui elle aussi pourrait survenir de façon imprévisible.
Nommer un nouveau cabinet Barnier II ou un Premier ministre du « socle commun »
Une autre option pourrait consister à réinstaller Michel Barnier tout en modifiant significativement son équipe, en y incluant notamment de nouveaux visages. « Je nommerais de nouveau Michel Barnier, et j’ajouterais dix ministres influents et ambitieux, chacun porteur de réformes dans leur spécialité », imagine un député EPR influent.
Mais cette option présente aussi des limites. « Qui voudrait embarquer sur le navire d’un Premier ministre au mandat fragile ? », se demande un parlementaire proche de Macron. « En cas de second mandat pour Barnier, qui engagerait-il pour contribuer à l’apaisement ? Même pour ouvrir à gauche, il avait déjà eu du mal à trouver Didier Migaud« , rappelle une députée de droite, en se référant au ministre de la Justice. « Un Barnier II produirait les mêmes effets. Barnier aurait démontré son incapacité à négocier. Un succès sur le plan européen, certes, mais sur la scène nationale, il trébuche sur les obstacles », avertit Arthur Delaporte, député PS.
Une autre possibilité serait de nommer à Matignon une figure différente du « socle commun ». Cependant, cela pourrait remettre le président dans la situation rencontrée cet été, lorsque le RN se positionnait comme arbitre. Marine Le Pen avait alors publiquement rejeté la candidature de Xavier Bertrand.
Former un gouvernement technique
Cette idée avait été prise en compte sérieusement avant que Michel Barnier ne soit nommé en septembre. Le nom de Thierry Beaudet, actuel président du Conseil économique, social et environnemental (Cese), avait circulé dans les médias. Mais cette option avait finalement été écartée, le profil technique ne trouvant pas grâce aux yeux d’une partie de la classe politique ni auprès de certains proches du président.
Encore aujourd’hui, cette hypothèse suscite peu d’adhésion, entraînant parfois même une certaine irritation. « Qu’entend-on par un gouvernement technique ? », déclare un député affilié à Macron. « Ce serait une façon élégante de stagner », rejette une députée de droite. Pourtant, d’autres envisagent cette piste plus sérieusement. « C’est une solution ultime, mais j’y crois peu. Quel poids aurait un gouvernement technique vis-à-vis du Parlement ? Mais peut-être faudra-t-il en passer par là », se désole un parlementaire macroniste.
Le RN avait du reste fait volte-face sur cette question en septembre. Bien que Marine Le Pen ait publiquement exprimé sa réticence face à un gouvernement technique, son parti avait finalement déclaré accepter un tel gouvernement « limité à la gestion des affaires courantes », à condition qu’il mette en place « le scrutin proportionnel lors des législatives » dans le but de « construire une majorité dans un an » en vue d’une possible dissolution.
Maintenir un gouvernement démissionnaire pendant une période prolongée
Dans ce contexte complexe, Emmanuel Macron pourrait décider de gagner du temps, comme il l’avait fait l’été dernier. Après les élections législatives anticipées, il avait initialement refusé la démission de son Premier ministre, Gabriel Attal, le 7 juillet, invoquant « la nécessité de stabilité pour le pays », avant de finalement l’accepter une semaine plus tard. Le gouvernement Attal démissionnaire était ainsi resté en place durant deux mois et demi, jusqu’à la nomination de Michel Barnier le 5 septembre. Pendant ce temps, le gouvernement démissionnaire avait géré les affaires courantes tout au long de l’été.
Cependant, la situation actuelle est bien plus délicate, notamment en raison de l’impératif d’adopter un budget pour 2025. Un gouvernement Barnier en démission, aux prérogatives restreintes, aurait du mal à faire adopter un projet de loi de finances. « Il n’aurait plus recours au 49.3, donc il serait préférable de vite nommer un nouveau Premier ministre qui pourrait engager sa responsabilité », souligne le constitutionnaliste Benjamin Morel. De plus, l’adoption du budget par ordonnances, comme permis par la Constitution, a été exclue par le gouvernement, selon 42mag.fr. Cela amène une députée LR à affirmer que prolonger un gouvernement démissionnaire serait « préjudiciable, et entraînerait des flottements pour l’économie ».
Élever Lucie Castets à Matignon
Son nom n’avait plus résonné depuis quelques mois. Alors que le poste de Matignon pourrait se libérer, certains évoquent de nouveau Lucie Castets, choisie après de longues discussions désordonnées par le Nouveau Front populaire. La fonctionnaire a fait part de sa disponibilité et participe encore à diverses rencontres politiques, prévoyant pour exemple un meeting à Tours le 5 décembre.
Même si elle reste « un atout considérable pour la gauche », comme le note un député socialiste, sa capacité à établir un gouvernement qui ne serait pas renversé est en question. « Il est impossible de revenir à la situation de Lucie Castets qui, initialement, n’avait pas les conditions pour être soutenue au sein de l’Assemblée nationale », a déclaré François Hollande, désormais député PS, jeudi, à France Inter. « Ce n’est pas la personne elle-même qui est critiquée. (…) Il n’y a pas de majorité permettant qu’un Premier ministre issu des rangs du Nouveau Front populaire soit désigné. » Cette proposition ne séduit pas le « socle commun », comme l’affirme un député de l’aile droite du mouvement macroniste : « Lucie Castets, si c’est pour mettre en œuvre le programme du NFP avec des ministres LFI, c’est la censure assurée.«
Construire une alliance allant de la droite au centre-gauche
Pour résoudre ce casse-tête, Emmanuel Macron pourrait essayer de former une coalition avec une partie de la gauche. Cette idée est séduisante pour certains au sein du « socle commun » et chez les socialistes. « Il est crucial d’éviter d’être constamment sous la menace d’une censure, et la seule issue que je perçois pour le moment réside du côté des socialistes », propose un sénateur macroniste. « Il faut travailler avec la gauche », renchérit un élu de l’aile droite de l’EPR. « On pourrait envisager un gouvernement incluant le MoDem, les macronistes, Liot », affirme un député socialiste.
Le PS a déjà commencé à y réfléchir, et le parti travaille sur « un pacte de non-censure », explique le député Arthur Delaporte. Le but est d’entamer un dialogue avec tous les partis présents à l’Assemblée, à l’exception du RN, pour forger un accord qui permettrait la nomination d’un nouveau gouvernement, « dirigé par une personnalité de gauche », précise l’élu du Calvados. Ce projet a-t-il des chances réelle de succès ? « Il faut qu’on puisse s’accorder sur la démarche », admet-il prudemment.
Cette perspective socialiste pourrait provoquer l’éclatement de l’alliance du NFP, ce qui apparaît risqué pour le PS à l’approche des municipales de 2026 et en vue d’éventuelles législatives anticipées dès 2025. Les insoumis ont déjà fermement rejeté toute interaction avec les macronistes. « Il n’y a aucune possibilité d’accord avec le ‘socle commun’ (…) Nous ne sommes pas disposés à envisager une quelconque collaboration avec les macronistes », a déclaré Mathilde Panot, chef de file des députés LFI, mercredi dernier, face à des journalistes.
Autre point difficile : identifier la personne apte à conduire cette nouvelle coalition s’avère délicat. Certains ressuscitent le nom de l’ancien Premier ministre socialiste Bernard Cazeneuve.